Départ

57 9 39
                                    


Inil

Le parchemin sur les genoux, je me penche pour récupérer ma pinte d'hydromel et l'amener à mes lèvres. Il est peut-être un peu tôt et il fait sûrement bien trop chaud pour s'hydrater avec une boisson alcoolisée, mais je suis seul, donc... Du revers de la main, j'essuie une goutte de sueur qui perle sur mon front. La journée va être brûlante. J'ai voulu profiter de la fraîcheur de la matinée pour m'installer sur la terrasse, pourtant, je sens que je devrais bientôt battre en retraite. C'est étrange comme avec les années, je supporte moins bien la chaleur. Je ramène mon attention sur la multitude de créations que propose cet artisan. Il est doué. Cette table basse sculptée sera du meilleur effet dans mon salon. Je me félicite d'avoir presque terminé la nouvelle décoration de ma demeure. J'en suis très fier, elle est bien plus à mon image. Des bruits de pas me font lever la tête. Ébloui, je me protège de la main des rayons ardents et discerne une silhouette qui approche.

— Inil ?

Cette voix ? Je la reconnaîtrais entre mille. Je bondis de mon siège pour accueillir chaleureusement mon ami, heureux comme jamais de le retrouver.

— Par le Soleil, Gil ! m'écrié-je en le prenant dans mes bras. Que fais-tu là ? Avec Meranwë, vous ne deviez pas rentrer avant des semaines.

Je le maintiens par les épaules pour l'observer. Il m'a tellement manqué. Cela fait pourtant quinze ans que nous ne vivons plus ensemble lui et moi et je subis toujours son absence. Ma joie de le revoir est vite refroidie quand je remarque la fatigue qui tire ses traits et l'inquiétude qui assombrit son regard.

— Que se passe-t-il ? Tu n'es pas ici juste pour me rendre visite, n'est-ce pas ?

Une petite voix cuisante dans ma tête me souffle que, bien évidemment, je ne suis pas assez important pour qu'il abandonne son grand amour et sa vie de couple parfaite. Je l'étouffe dans la seconde face à mon appréhension et son sourire amical.

— J'aurais tellement préféré...

Son regard dévie derrière moi et se pose sur le breuvage qui perd sa fraîcheur chaque minute restée en plein Soleil. Son sourcil se lève dans une expression railleuse.

— De l'hydromel ? À cette heure ?

Gêné, je me racle la gorge, et joue nerveusement avec le lien sur mon poignet. Ce n'est pas comme si je passais ma journée à boire. Forcément, pour une fois que je me laisse aller, il choisit ce moment pour me rendre visite.

— Je crois que tu as bien plus important à me dire. Concentrons-nous sur l'essentiel : pourquoi es-tu à la Cité Blanche ?

Aussitôt, son sourire se fane.

— La reine a disparu.

— Quoi ? m'écrié-je sidéré. Ce n'est pas possible ! Elle s'est retirée dans sa résidence d'été. Elle est à la Forêt d'Onyx.

— Elle n'y est jamais arrivée. Norcàn nous a convoqués pour que nous allions à sa recherche.

Je comprends immédiatement le but de cette visite et un élan comme je n'en ai pas ressenti depuis longtemps me galvanise.

— Nous ? Toi et moi ? Nous repartons sur les routes comme au bon vieux temps ?

Il acquiesce avec un sourire attendri.

— Meranwë nous attend aux écuries.

Il ne m'en faut pas plus, je fais volte-face et entre en courant dans la maison.

— Je vais préparer mon paquetage, lancé-je par-dessus mon épaule.

Un éclat de rire me répond. Une ardeur nouvelle pénètre dans mes veines. Je prends conscience que cette visite inespérée est ce que je désirais depuis longtemps. Pas que je souhaite du mal à la reine, forcément que non, mais je me sens vivre à nouveau. Tout en fourrant quelques affaires indispensables dans mon sac, j'ai la sensation de me retrouver. Tous ces mois, toutes ces années de torpeur et de solitude glissent hors de moi. Il était temps que quelque chose se passe dans mon quotidien morne et sans saveur.

Les chants de l'Est - Romance fantasy MxMOù les histoires vivent. Découvrez maintenant