Je courais à perdre haleine, la gorge en feu. Des halos de vapeur s'échappaient de ma bouche grande ouverte malgré le froid glacée de la période hivernale.
« Madame Helga sera ravie ! » songeais-je joyeusement, finissant de dévaler la colline menant au petit village habité par une centaine d'âmes. Un nombre d'âme ayant récemment diminué de façon drastique. Un restant d'âmes encore détruites par les tueries.
Je ralentissais, à la fois gelée par les basses températures, mais le corps brûlant à cause de cette course nocturne. J'étais encore sous l'effet de l'adrénaline, le cœur battant furieusement contre mes tempes. Je baissais les yeux vers mon trésor serré précieusement contre ma poitrine. La mission de récupération des clous de girofle demandés par Madame Helga avait été un succès !
Madame Helga c'est la cuisinière du village, elle est du métier. Avant... Avant que la guerre ne ravage nos contrées, elle préparait d'incroyables repas dans l'auberge, Le chant du Griffon. Tous les soirs, l'alcool coulait à flots, des bardes et autres musiciens venaient se produire. Il y avait même des aventuriers ! J'eus un sourire rêveur à cette pensée. Moi aussi j'aimerais devenir une aventurière et parcourir le monde plus tard. Mais pas maintenant, je suis encore jeune. Peut-être plus tard. J'espère.
Puis la guerre arriva. Les démons ont détruit, tué, massacré. Je me souviens encore des bâtiments en feu et des cris. Les cris. Horribles. Déchirants. Ils me hantent encore. Surtout la nuit, lorsque je ferme les yeux. Le traumatisme est plus fort lorsque j'entends Monika pleurer. Elle a perdu son fils, Karl. Il avait 10 ans, mon âge. Et son mari a été projeté contre le sol. Il n'avait même pas hurlé. Pourtant, il ne parvint plus à bouger ses jambes. Je me rappelle le vide dans ses yeux. Sa douleur. Je l'évitais. Puis il a mis fin à ses jours.
Depuis, Monika pleure toutes les larmes de son corps. Je crois qu'elle aurait mis fin ses jours si elle n'était pas enceinte.
Beaucoup de gens sont morts. Mutilés. Nous avons tous perdu quelqu'un. Et le peu d'entre nous qui sommes en vie, on se serre les coudes. On essaye de reconstruire ce que l'on peut. Cela prendra du temps. Plus tard, je serais aventurière et moi aussi je ferais partie de ces gens qui ont sauvé le monde. Comme ça, j'empêcherais Monika, Karl, Helga, mais aussi Gerda, Klara, Markolf, Heinz, et tous les autres qui de souffrir.
Le village ne ressemble plus à ce qu'il était. Je me souviens des rires, des conversations au détour d'une ruelle, des jeux d'enfants. Maintenant les affres de la guerre, le souvenir des morts et les ruines, débris, hantent les survivants.
Je pose la main sur la poignée de l'auberge et suis happée par la bouffée de chaleur lorsque j'entre. Je me rends maintenant compte de la fraicheur nocturne maintenant que le sang est retombé. Je retire mes gants et les frictionne l'une contre l'autre pour les réchauffer. J'entends des bruits de conversation autour de moi, quelques rires aussi, plus rares. Je relève la tête, desserre l'écharpe autour de mon cou et observe l'ambiance festive qui imprègne les lieux. Je suis contente que les villageois fassent de leur mieux pour nous partager l'esprit de Noël.
- Erika ! me héla la voix forte de Helga.
Je me retournai vers la femme qui venait vers moi. Elle avait l'air heureuse. Cela faisait longtemps. Son sourire était contagieux et je me mis à sourire lors qu'elle me vit lui tendre ma précieuse cargaison.
- Tenez, je les ai trouvés, dis-je tout doucement.
Elle récupéra les clous de girofle, rayonnante.
- Merci petite, tu as sauvé le rôti, me dit-elle avec un clin d'œil entendu. Va donc profiter de la fête !
Je hochais la tête, remis mes gants et sortie en courant. L'air frais me coupa la respiration. Je pris quelques secondes pour m'acclimater à la température. J'avais les poumons glacés. Pourtant, cela me réchauffait le cœur de voir toute l'agitation qui secouait le village.
Jörg était pendu à une échelle, accrochant des banderoles rouges d'un toit de maison à un autre. Monika lui criait des instructions, le couvant du regard. Le résultat était joli ! A quelques pas, Rudolf et Hannah décoraient un arbre avec des fils de toutes les couleurs. Il y avait du vert, du bleu et du jaune. De l'autre côté de la ruelle, Dieter et Wolf couraient, criant, riant. Tous deux portaient un bonnet, lequel était surmonté d'une clochette, comme celle que l'on utilise pour diriger les cheptels de moutons.
A nouveau, les rires emplissaient les ruelles du village. Pour cette nuit et pour les quelques heures qui allaient suivre, tout le monde rigolait, parlait avec entrain. La vie était revenue, des clochettes tintaient avec vigueur et tous étaient réunis pour fêter Noël.
Déambulant dans la rue principale, je pouvais observer se dérouler différentes activités. D'un côté plusieurs personnes étaient réunies dans le cadre d'un concours de tricot afin de réaliser le plus joli bonnet de Noël. La laine était celle de nos moutons réunis et tondus pour l'occasion. Des friandises avaient été déposées à leurs sabots. A l'autre extrémité, avait lieu une activité de rassemblement de moutons. Une contrainte avait été ajoutée : chaque participant avait un grelot à son poignet. Cela semblait compliqué pour ceux n'ayant jamais dirigé de groupe de moutons. Pour gagner il fallait rassembler à son compte le plus de ces animaux dans un enclos attribué.
Je continuais à marcher, slalomant entre les villageois. Alors que je m'éloignais des festivités, j'entends un sifflement aigu. Alertée, je cherchais frénétiquement la cause de ce bruit. En baissant les yeux, je vis un vieil homme étendu dans la neige. Inerte et vêtu de ses haillons j'aurais facilement pu le confondre avec des morceaux de vêtement. Abandonné.
Seul.
Je me jetais genoux contre le sol pour vérifier s'il respirait encore. Alors que j'approchais ma tête de son torse, je le vis se relever soudainement. Stupéfaite, je le regardais faire.
- Monsieur ? interpelais-je inquiète.
Il cligna des yeux, comme s'il venait à l'instant de remarquer ma présence. A mon tour je le vis. Vraiment. Il était vieux, mais impossible de lui donner un âge précis. Il avait une barbe grisonnante, un visage ridé par les années écoulées et des yeux marrons fatigués. Sa joue droite était marquée d'une cicatrice faisant la moitié de son visage. Des traces de brûlures ornaient son cou.
- Tu devrais me laisser. Va jouer avec les autres enfants de ton âge, murmura-t-il.
Je le regardais, interdite. Je secouai vigoureusement la tête.
- Les aventuriers ils aident les gens, clamais-je sûre de moi en m'asseyant à ses côtés.
Il sembla m'étudier, plus longuement.
- Quel est ton nom ?
- Erika, future grande aventurière ! dis-je avec d'assurance.
Puis je farfouillais dans les recoins de mon habit en prenant soin de ne pas prendre le vent. J'en sortis un morceau de pain confit, l'un de ceux que m'avait donné Helga lorsque je lui avais rapporté les clous de girofle. Je le tendis au vieil homme.
Un sourire étira les lèvres gercées du vieil homme.
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Thèmes imposés
Short Storyll ne s'agit pas d'une histoire mais simplement de textes que j'ai fait pour de petits "concours". Chaque chapitre constituera l'un de ces thèmes imposé pour lequel j'ai composé. En espérant qu'ils vous plaisent.