SECONDE CHANCE : Un homme, deux âges, une vie à refaire

Retour sur les bancs de l'école

Le trajet, assez court, de la maison au collège en voiture avec sa mère lui permet de se remémorer son environnement. Après être descendu de la Citroën Ax de sa mère et lui avoir bonne journée, Eric se dirige vers l'entrée de son ancien collège. Les images sont les mêmes que dans son souvenir ce qui l'encourage à aller plus loin avec confiance. Il traverse la moitié de la cour en direction du préau. À son passage plusieurs enfants lui disent bonjour mais malheureusement ses souvenirs sont visiblement restreins. Il aperçoit dans la cour principale des enfants qui se courent après, des filles qui jouent à l'élastique et dans un parc séparé des enfants qui jouent aux billes. Eric se décide à attendre la sonnerie du début des cours sous le préau dans un coin isolé pour éviter de croiser, si possible, le maximum de gens. Il trouve un recoin inhabité et s'assied par terre, son cartable entre ses jambes. De ce poste d'observation il peut tenter de reconnaitre les amis qui furent les siens en ce temps-là. Il reconnait une première fille, c'est la cousine de son meilleur pote Patrice. Eric tente de se rappeler son prénom :... c'est Alix ... non, c'est Axelle ! Et là-bas il reconnait un de ses amis proche, Thomas, qui fait partie de sa bande des blonds au bol. Plus proche, sous le préau, il voit deux camarades de classe discuter, l'italien Angelo et le hollandais Dicky. Il se souvient qu'une fois, Dicky avait emmené à l'école un cahier avec plein de plans d'avions en papier. Ils avaient tous essayé de les faire afin de voir lequel volait le mieux. Par contre Eric ne se souvient plus si cet événement s'était déroulé en 6ème ou en 5ème. Cela risque de poser un problème s'il se mettait à parler de faits qui ne se serait pas encore passé. Il se dit qu'il va jouer la prudence et éviter de parler de ce genre de choses. Il poursuit son tour d'horizon de la cour et son regard s'arrête brutalement sur la belle Karine. Cette blonde incendiaire l'avait torturé pendant quatre ans. Du CM1 à la 5ème, Eric ne passait ses journées à l'école que dans l'espoir de croiser le regard de cette fille. Bien évidemment tous les mâles de l'école étaient amoureux d'elle. La mère de Karine était prof de math au collège et Eric avait décidé que les maths devenaient sa matière préférée. Il lui doit une fière chandelle car c'est grâce à elle qu'il avait eu son bac S option mathématique. A part ça, elle s'amusait visiblement à faire tourner en rond tous les garçons qui avaient eu le malheur de lui déclarer leur flamme et Eric en avait bien sûr souffert pendant quatre longues années. Alors qu'il observe avec insistance son souffre-douleur, la sonnerie retentit.

Naturellement, Eric se relève et se dirige dans la cour pour se mettre en rang avec ses camarades de classe. Mais il y a un problème de taille, Il ne sait pas dans quelle file se mettre. Il reste planté là à la limite entre le préau et la cour ne sachant quoi faire. C'est un camarade qui le sauve en le hélant : « Hé, Eric, Qu'est-ce tu fous ? Viens ! ». Soulagé, Eric vient se positionner dans le rang avec les autres. C'est l'enseignant qui a cours avec une classe qui doit venir chercher ses élèves bien rangés après une récréation. C'était bizarre quand même, se dit Eric, cette période où l'autonomie des élèves n'étaient pas mis en avant. Etait-ce de la sécurité ou une volonté de contrôle ? Eric ne sait pas mais il est bien content qu'avec le temps les pratiques changent.

Les élèves montent un étage du bâtiment pour se retrouver dans une classe dont les fenêtres donnent sur la cour. Tout le monde s'installe où ils veulent dans la classe. Heureusement car Eric n'aurait pas su où aurait été sa place. Une fille s'assoit à côté de lui car ce sont des tables de deux élèves. Il ne se rappelle pas son prénom et son visage ne lui dit rien. La journée va être longue. Le professeur commence son cours et demande à la classe de sortir son Bled. C'est donc un cours de français. Le Bled étant un petit livre dans lequel sont expliquées les règles d'orthographe et de conjugaison. Eric n'a jamais aimé les cours de français et appréhende de recommencer une année de 5ème. Il pensait vraiment en avoir fini avec tout ça ! L'année va être longue.

Après deux heures de français, la sonnerie envoie tous les élèves en récréation. Eric descend les marches qui mènent à la cour quand un camarade de classe lui demande s'il vient jouer au foot. En un instant Eric se souvient qu'à certaine récré il allait jouer sur un terrain qui se trouve derrière le bâtiment et qui sert aux cours de sport. Ce terrain de foot en terre est encadré par des terrains de basket en béton et le tout est entouré d'une piste de course à pied circulaire en béton elle aussi. Ces terrains sont ouverts aux élèves pendant toutes les récréations. Eric se retourne vers son camarade qui l'avait interpellé et lui répond par l'affirmative. C'est en effet un bon moyen d'éviter des situations compliquées dans la cour, vu sa position.

Suivant son camarade, il remarque que le terrain est déjà bien rempli d'une vingtaine d'élèves. En arrivant sur le terrain, ils choisissent vite d'être dans l'équipe la moins nombreuse et se mettent à courir derrière le ballon. Eric récupère le ballon et se met à dribbler et à faire des petits gri-gris qui ne tardent pas à impressionner tous les enfants autour. Après une passe millimétrée derrière la défense pour l'un de ses partenaires, Eric se rend compte que beaucoup d'élèves le regardent. C'est alors qu'il percute car il a acquis pas mal de compétences et d'expériences en foot tout au long de ses quarante ans de vie mais que visuellement ce n'est qu'un enfant de dix ans. Aucun de ses camarades n'a encore atteint un tel niveau de jeu. Eric a le choix, soit il baisse son niveau pour être plus crédible pour son âge soit il se fait plaisir. Sa décision est rapide et il se remet en chasse du ballon car il adore ce sport. Heureusement ses mocassins l'empêchent d'être trop technique dans ses contrôles de balles et même de courir vite. Ce sont vraiment des chaussures impossibles.

La récréation intercours se passe rapidement et c'est sous les compliments de ses camarades qu'il retourne en classe. En entendant les autres élèves, il comprend vite que le prochain cours est un cours d'anglais. Son niveau n'étant pas le même qu'à ses réels dix ans, Eric est plutôt confiant en sortant son livre « Come in, 6ème ». Il ne peut esquisser un sourire prononcé en voyant l'enseignante entrer dans la classe avec un énorme lecteur cassette portable ressemblant à un ampli de guitare. Et bien entendu, comme Eric le craignait, les élèves se retrouvent, livre ouvert, à écouter une leçon diffusée...mal diffusée par le gros bloc à cassettes. « Lesson four, part two. Where is mummy ? She's in the kitchen. Where is Brian ? He's in the garden. ». Soudain Eric se dit que c'est le moment ou jamais de venger la famille de Brian ! Il lève la main. Le professeur arrête la cassette et dit sans aucun accent : « Yes, Eric ? ». Voulant faire un effet manifeste, Eric se lève et dit : « Ok, Brian is in the garden but can we know why it's mom in the kitchen ? Is she cooking ? Please, we are at the end of the 20th century now. Mom could be at gym or the cinema or at work and Brian could cook himself ! Don't you think ? » Eric se rassoit. Un silence pesant est tombé sur la salle de classe. Son accent n'était pas si mal, il le sait car il a fait deux voyages aux States à seize et à dix-sept ans. Il ressent le poids de tous les regards sur lui. Tout d'un coup il se dit qu'il a peut-être été un peu loin. Après tout, la cinquième est la deuxième année d'anglais pour tous les enfants à cette époque. La surprise est donc totale. Le professeur en oubli sa matière et dit en français :

- Eric, depuis quand tu parles anglais ?

- Euh...j'ai de la famille aux États-Unis.

- Non je veux dire, pourquoi tu as fait semblant jusqu'à maintenant de ne pas savoir parler anglais ?

- Euh...la timidité sans doute.

Le cours reprit normalement et Eric se fit discret pour le reste de l'heure. La matinée se termina par un cours de mathématique. C'est sa matière forte donc pas d'appréhension mais Eric se rendit compte que le niveau cinquième en mathématique va lui poser un autre problème. Il va se faire chier. Généralement il s'éclatait en cours de math et là il se rend compte que ça va être l'inverse. L'année va être longue et compliqué en math.