SECONDE CHANCE : Un homme, deux âges, une vie à refaire

État des lieux

Allongé sur l'herbe du Champ de Mars à Paris par ce bel après-midi de dimanche, Eric se repose les yeux mi-clos. Il apprécie quand la lumière puissante du soleil essaie de se frayer un chemin entre ses paupières. A 39 ans il n'attend plus rien de la vie et la perspective, la quarantaine approchant, qu'il sera à la moitié de sa vie l'effraie un peu. Pas qu'un peu en fait, terriblement. Cela avait commencé il y a quelque temps. Des signaux qui ne trompent pas. Des rides plus prononcées autour des yeux. Il devait reculer un peu les papiers pour les lire traduisant une vue faiblissante. Il sait qu'il allait bientôt devoir prendre rendez-vous chez l'ophtalmo. Quelques faiblesses musculaires ou articulaires dès qu'il se levait ou après un faux mouvement. Mais le pire de tout, à son avis, c'était la calvitie naissante sur le haut du crâne. Lui qui avait toujours admiré les chevelures fournies et exubérantes parfois des stars des années 90, c'est un peu une désillusion qui lui brise le cœur.

"Papa ? Marrante, ça prend 2 t ?"

Pourquoi me demande-t-elle ça, à moi ? Alors que sa mère juste à côté est prof de français. Mais en se posant cette question, Eric comprit. Sa fille Mathilda avait peur du jugement négatif de sa mère envers cette question d'orthographe de primaire alors qu'elle était en 5ème. Que pouvait-elle y faire ? C'est une scientifique, pas une littéraire. Mathilda préférait résoudre des problèmes de math ou de physique plutôt que chercher une hypothétique logique à ce coriace orthographe. Eric tourne la tête vers sa fille assise à ses côtés en lui disant :

"Non ma puce, un seul."

Et gardant sa tête penchée comme ça, il prend le tempsd'admirer sa fille chérie en train d'écrire un texto sur son téléphone, sescheveux blonds tombant devant ses yeux. Derrière elle, Eric aperçoit la TourEiffel essayant de cacher le Trocadéro. Quand il pense à ce qu'avait dû être lepalais du Trocadéro, il se dit que c'est mieux ainsi, cela donne un air deliberté et d'espace indispensable aux parisiens. Tournant la tête de l'autrecôté, Eric regarde amoureusement sa femme Axelle et son fils Yohan assis côte àcôte. Sa femme est plongée dans la lecture d'un Barbey d'Aurevilly, ses cheveuxlongs tombant de chaque côté de son visage, pendant que son fils de 15 ans estlui aussi concentré sur son téléphone. L'adolescence et sa mystérieuse bulle atoujours déconcerté Eric et sa femme, comme à de nombreux couple. A priori,rester calmement à profiter de la nature sans rien faire d'autre que derêvasser est quelque chose d'inaccessible aux adolescents férus de nouvelletechnologie. Le silence aidant et bercé par la chaleur de notre astre de feu,Eric s'assoupit dans l'herbe.