chapitre 1 : la chute

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Dans son rêve, les murs de l'immeuble se lézardaient, les fissures devenaient des crevasses noires, qui montaient jusqu'à lui. Ce n'était plus seulement les mains de son père qui le poussaient dans le vide, mais l'immeuble tout entier qui voulait l'avaler.

Était-ce un rêve, vraiment? Parfois le monstrueux bâtiment et les mains qui jetaient disparaissaient au profit d'un environnement blanc, rythmé par des bips sonores et réguliers, plus sécurisant. Plus réel ?

Finalement, il ne savait pas vraiment. Il replongeait dans le noir pour un temps indéterminé avant de déboucher sur le rêve de l'immeuble mouvant et des mains paternelles ou bien il revenait dans la pièce blanche.

Cela dura. Devint une habitude. Il savait qu'il avait eu autre chose, qui s'appelait vie, existence, mais il était trop fatigué ou trop vite happé par l'obscurité pour y songer sérieusement.

Jusqu'à ce qu'il se souvienne précisément. Il était à table avec sa mère et sa soeur. Le sweat bleu et violet d'Irina était tout irisé, parce qu'il revoyait les événements par le prisme de sa mémoire engourdie par le rêve . Les couleurs étaient différentes, plus marquantes que dans la vie.

Sa mère avait déposé sur la table le gâteau au sirop de grenadine dont il raffolait. Irina avait eu un sourire éblouissant et s'était levée pour le humer. C'était malpoli et ça ne se faisait pas mais ils étaient juste entre eux, n'est-ce pas. Ils pouvaient se permettre certaines libertés.

Alors Morgan avait eu l'idée de tout dire. Il pouvait aussi se permettre cela, il n'étoufferait plus sous le poids de son secret, sous le poids des regards trop appuyés qu'il lançait aux garçons qu'il trouvait mignons. Il fallait qu'elles sachent. Il se sentirait libre de ne plus ignorer la chaleur qui naissait dans son bas-ventre dès que des idées concernant les hommes traversaient son esprit.

- Maman, Irina, j'aime les mecs.

Au même instant, la porte de l'appartement avait claqué et son père avait marché jusqu'à la table. Irina avait reculé. Il était censé travailler sur un chantier à quarante kilomètres de là et sûrement pas revenir au milieu de l'après-midi.

- Je t'ai vu, s'était-il adressé à Morgan sur un ton doucereux qui n'augurait rien de bon. Je t'ai vu tout à l'heure sortir de la fac avec ces deux filles. Je travaillais juste à côté. On n'avait pas les matériaux pour la maison de campagne alors on a fait un chantier rapide. En revenant avec de la peinture blanche, je t'ai vu, répéta-t-il. Aucune n'est ta petite amie, hein. Vous rigoliez, vous vous teniez par les bras, toi au milieu. Vous avez croisé un mec et vous vous êtes retournés tous les trois sur son cul. Tu as maté le cul d'un homme. Tu es un putain de PD!
- Je...j'ai le droit à l'amour... avait commencé maladroitement Morgan, qui ne voulait pas nier et qui avait envie de vomir.
- Le droit à l'amour? Deux hommes ne s'emmanchent pas, chez moi!

Il avait extrait Morgan de sa chaise en hurlant et l'avait traîné jusqu'aux fenêtres ouvertes.
Morgan avait senti le balcon contre son dos puis il avait été retourné, soulevé. Il avait entendu les cris déchirants de sa mère. Il avait peur comme jamais. Il était si frêle et l'autre si costaud. Il avait basculé. Une sensation affreuse. Le vide. L'air, la suspension puis...
Il hurla, se réveilla.

Au creux de tes bras, roman édité, 5 chapitres disponibles. Où les histoires vivent. Découvrez maintenant