Elle reconnaît ce visage, ses yeux, ses cheveux, elle en est certaine, il n'était pas là quand elle est arrivée.
La soirée prend une tournure qu'elle n'aurait pu imaginer, et tout se trouble. Est-ce que cela vient de devenir complètement cauchemardesque ou carrément idyllique, elle ne le sait pas encore. En attendant, ce garçon qui est assis à côté de la place qu'elle a choisie, assis à la place que le garçon niais lui a indiqué comme étant occupée ; celui-là même la regarde avec un air aussi effaré et stupéfait qu'elle. Il bouge les lèvres comme s'il parlait, et peu à peu le son revient à l'esprit de Marion, le temps reprend son cours ; le monde se remet à vivre et le bourdonnement fou qui réapparaît à ses oreilles lui donne presque la nausée. À moins que ce soit lui.
— Marion ? chuchote-t-il, vraisemblablement abasourdi.
Elle se contente de lui sourire, le temps de reprendre ses esprits, et s'installe à sa place. Ses genoux frôlent les siens en s'asseyant et elle sursaute presque. Son cœur reprend ses battements après s'être stoppé. La soirée va être compliquée. Elle n'entend plus que son cœur qui tambourine dans sa poitrine, et elle ne sait pas ce qu'elle doit faire, ou dire. Elle se contente de lui jeter un regard embarrassé en buvant d'une traite une quantité beaucoup trop grande de bière pour que cela paraisse naturel.
En effet, ça ne lui échappe pas.
— Tu as si soif que ça ? demande-t-il d'un ton embarrassé à son tour.
— Je. Euh. Alexandre. Je ne savais pas que tu viendrais...
— Moi non plus. J'ai rencontré Lucie cette année, on prépare le même concours.
— Oh. J'étais au lycée avec elle. Tu n'étais pas sur la conversation Facebook, si ?
— Non, elle m'a invité au dernier moment. Je ne faisais rien alors j'ai accepté. Je ne pensais pas te voir ici....
— Et moi dont...
Un silence s'installe entre eux, un peu embarrassé.
Comment est-on censé la jouer cool avec quelqu'un dont on a été folle amoureuse et qui a cessé de nous donner des nouvelles du jour au lendemain ?
Elle regarde son téléphone sans le regarder vraiment, pendant que la soirée bat son plein à côté d'eux, entre blagues graveleuses et rire exagérés. Ils ne participent pas vraiment à l'ambiance générale, et se sentent en retrait tous les deux. Il finit par briser la glace.
— On se fait chier hein ?
— Si tu savais à quel point je suis d'accord avec toi... dit-elle en rigolant.
— On note ?
Son coeur bat un peu plus fort. Il n'a pas oublié leur passe-temps préferé, le midi au restaurant universitaire, évaluer la beauté des inconnus selon leurs critères hautement exigeants.
— Ok, répond-t-elle avec un clin d'œil, je commence. La fille en face, avec les lunettes ? chuchote-t-elle en se penchant vers lui.
— Mmmh, 4 sur 10. Et toi ?
— 5/10, elle est quand même super bien habillée pour une moche.
Il rit franchement et reprend, très bas. « Le mec à côté de moi ? »
— Je l'ai appelé monsieur super niais dès que je l'ai vu. 3/10. Et toi ?
— Tu es dure. 3.15...
— Lucie ?
— Lucie ? Euh, elle est super jolie je trouve. 6.5
— 6.5 pour toi c'est super jolie ?! À combien est ta copine alors ?!
— 0.
— Oh...
— C'est fini depuis cet été. T'en fais pas, c'est mieux ainsi. Et toi... ?
— 10 !
— Ah...
— C'est le score que devra atteindre mon prochain prince charmant. J'attends encore. Ça vient de se terminer, avoue-t-elle à mi-voix.
L'évoquer à haute voix est douloureux. Elle repense à son Haagen Dazs qui l'attend dans le congélateur et esquisse un sourire triste.
— Mais dis-moi, il y en a qui font connaissance par ici ! crie la voix haut-perchée de Lucie, en s'adressant à eux. Qu'est-ce que vous vous racontez comme confidences ? On dirait que vous vous connaissez déjà !
— En fait c'est le cas... répond le garçon, un peu gêné. Depuis plusieurs années. Mais on s'était un peu perdus de vue on va dire.
"Perdus de vue", sans blague. Trois ans sans nouvelles c'est qu'on peut appeller "perdus de vue" oui...
— Oh mais Alexandre, tu ne m'avais pas dit ! C'est génial ! Je vous laisse les tourtereaux, à plus tard !
Nouveau silence embarrassé. Cette fois, aucun des deux ne semble savoir comment le briser. Le « tourtereau » a fait son effet. Celui d'une bombe. Elle boit à nouveau une grande traite de bière, et se lève brusquement. Des toilettes. Vite.
— Je vais aux toilettes, annonce-t-elle en se levant.
Assise sur les toilettes, elle se passe la main sur le visage et se gratte la nuque, ne sachant trop quoi penser de cette situation. Elle n'aurait jamais pensé le voir ici, elle avait presque fini par le sortir de sa tête et voici que le hasard le met sur sa route. Le plus grand des hasards. À moins que ce ne soit le destin ajoute la petite voix dans sa tête, qu'elle fait taire en riant de sa propre bêtise. Elle ne croit pas à tout ça, ne croit plus à rien en ce qui le concerne d'ailleurs, et ce depuis bien longtemps. Jugeant être partie depuis un laps de temps un peu trop important pour qu'on la pense uniquement partie faire pipi, elle réajuste ses vêtements et repart en direction de la table, après avoir soupiré longuement.
En retournant s'asseoir, elle voit tout de suite qu'il n'est plus là, ni lui ni ses affaires. Son cœur se stoppe un instant, une énième fois. Bientôt la crise cardiaque si ça continue, son cœur ne supporte plus tant d'émotions. Elle retourne à sa place la gorge serrée, et Lucie vient la trouver.
— Je suis désolée chériiiiiie, il est parti, dit-elle de sa voix beaucoup trop enjouée. Il a eu une urgence, mais il m'a dit de te souhaiter bonne continuation et te dire au revoir. Il est trop mignon hein !
Et elle repart aussi sec, chantant à tue-tête l'air que le DJ vient de passer, sa chanson préférée tu peux pas comprendre.
Bonne continuation... Il se moque de qui ? Il va encore disparaître, après ça, quelques mots échangés. Disparaître encore plusieurs mois, plusieurs années ? Elle refoule sa colère en terminant sa bière, et se lève aussitôt commander un nouveau verre. Quitte à passer une soirée pourrie, autant la passer bourrée.
Vodka red-bull, j'ai besoin de quelque chose de fort monsieur le barman, non je me suis pas faite larguer, enfin, pas loin finalement.
Elle descend son verre presque d'une traite, et songe à la tête qu'il aurait fait. C'est lui qui lui a tout appris en la matière cela dit, le maître aurait de quoi être fier de l'élève. L'alcool prend assez peu de temps à faire effet ce soir, et une demi-heure plus tard, elle est au karaoké, chantant à tue-tête un air de Lorie vieux d'une dizaine d'années.
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Il était temps [Nouvelle] 🩷
Short StoryÇa fait des mois qu'ils ne se sont pas parlés, mais ils vont se retrouver le temps d'une soirée. Une nouvelle en huis-clos, où les sentiments peuvent enfin s'exprimer... Il était temps !