LOIN DU FILM
— ♠ —
Pourquoi. Il. Est. Là ?
Je croise les bras, foudroyant du regard l'abruti qui se tient au volant. L'abruti.
Et, bien sûr, ma sœur Luna, installée à sa gauche avec un air satisfait.
Ah oui, j'avais oublié. Elle ne sait pas conduire. Évidemment.
Je reste figée, le cerveau en mode bug système. Est-ce que j'ai demandé un taxi Tyler ? Non. Est-ce que j'ai invité ce crétin glacial à venir me chercher ? Absolument pas.
Luna, visiblement impatiente, lève les yeux au ciel avant de lâcher d'un ton autoritaire :
— Monte.
Je hausse un sourcil.
— Attends... Je rêve où t'as ramené ton chauffeur personnel au lieu de juste venir me chercher seule ?
Elle ne répond pas. Évidemment.
Je tourne mon regard vers l'abruti, qui ne daigne même pas lever les yeux vers moi. Il tambourine ses doigts sur le volant, l'air ennuyé comme si cette mission de sauvetage dérangeait son planning de prince arrogant.
— C'est bon, tu montes ou t'attends un carrosse ? lâche-t-il d'un ton froid, son regard braqué sur la route.
Charmant. Vraiment.
Avec un soupir exagéré, j'ouvre la portière et découvre Dulcinea à l'arrière, le nez dans son téléphone. Ses écouteurs vissés dans les oreilles, elle semble insensible au chaos ambiant.
Enfin... jusqu'à ce qu'elle m'aperçoive.
Soudain, elle arrache ses écouteurs, un énorme sourire sur le visage, et me tire dans la voiture avec une énergie incontrôlable.
— LYSIE CHÉRIE ! s'écrie-t-elle en m'écrasant dans une étreinte d'ours.
Je cligne des yeux, légèrement déconcertée par cette explosion d'affection.
— Euh... moi aussi, je suis contente de te voir ?
Elle relâche enfin son étreinte et s'étire comme si elle venait de gagner la bataille contre l'ennui.
— Dieu merci, je ne serai plus seule à m'ennuyer avec eux !
Je grimace en jetant un regard vers l'avant.
— Ouais, on va bien s'amuser...
— C'est bon, on y va ? grogne l'abruti, visiblement pressé d'en finir.
Luna acquiesce. Le moteur rugit.
Super. Je suis officiellement prisonnière d'une voiture avec le mec glacial, ma sœur et une Dulcinea surexcitée.
Un vrai rêve.
Dulcinea me colle son téléphone sous le nez.
— Regarde mes photos de Tombouctou !
J'observe les images défiler sur l'écran. Des paysages ensoleillés, des rues animées, une immense villa... Ça a l'air incroyable.
— Trop stylé, et alors, t'as aimé ? demandai-je avec curiosité.
Elle hausse les épaules.
— Franchement ? Rien du tout. C'était une punition.
Je fronce les sourcils.
— Tombouctou, une punition ?
— À part la villa de mes deux tantes, y'avait rien de fun.
Waouh. La fille voyage jusqu'en Afrique, et elle trouve encore le moyen de faire la difficile.
— T'étais pas censée voir des éléphants, des lions et des girafes en liberté ? lançai-je, sarcastique.
Elle rit.
— Tu crois que l'Afrique, c'est un zoo à ciel ouvert ?
— J'espérais, au moins pour le cliché...
Elle continue à me montrer une nouvelle série de photos, mais mon attention est soudainement captée par Luna, qui s'exclame, surexcitée :
— J'AI TROP HÂTE POUR LA PROJECTION DU FILM !
Je cligne des yeux.
Film ? Projection ? De quoi elle parle ?
Je tourne lentement la tête vers elle.
— Excuse-moi, on a eu une réunion de famille et j'ai oublié d'assister ou... ?
Elle roule des yeux.
— Le film dont je t'ai parlé ! Avec la bande-annonce de malade !
Je croise les bras, perplexe.
— Ah. Parce qu'en plus, j'étais censée écouter ?
— ♠ —
Pourquoi est-ce que c'est lui qui paie les tickets ?
Je croise les bras en fixant Tyler, alias l'abruti glacial, qui tend son portefeuille avec l'air d'un type forcé de faire une œuvre de charité.
Il ne jette même pas un regard à la caissière en récupérant la monnaie. Il soupire, visiblement agacé par sa propre existence, avant de tourner la tête vers nous.
— Luna, il nous faut combien de bols de popcorn ? demande-t-il d'un ton las.
Luna ne prend même pas le temps de réfléchir.
— Cinq.
Il fronce les sourcils.
— Pourquoi autant ? On est quatre. Et toi, tu n'en prends pas avec ton régime.
Sans la moindre honte, ma sœur me pointe discrètement du doigt avec un sourire innocent.
— Lysie a un gros appétit.
— Oh, oui ! confirmai-je sans la moindre once de gêne.
Tyler pince l'arête de son nez, clairement au bout de sa patience.
— Trois, c'est suffisant.
Luna bat des cils en prenant son air le plus attendrissant.
— Allez, Tty... S'il te plaaîîît.
Dulcinea enchaîne immédiatement, mimant la même expression suppliée.
— Oui, Tyler, fais-le pour notre précieuse Lysie.
Il nous dévisage, sa mâchoire se serrant légèrement. Son regard oscille entre l'agacement profond et l'homicide pur et simple.
— Trois. Point final.
Luna hausse les épaules d'un air faussement détaché.
— Comme tu veux... mais tu regretteras ce choix.
Prédiction : 100 % véridique.
Quelques minutes plus tard, l'abruti revient avec trois bols de popcorn et des sodas pour nous. Luna ne prend qu'une bouteille d'eau et deux barres protéinées sans sucre.
Nous nous installons juste à temps pour le début du film. L'écran affiche en grand :
Sin City : J'ai tué pour elle.
Les premières images plongent immédiatement la salle dans une ambiance sombre et intense. Je me penche vers Dulcinea, curieuse.
— T'as déjà vu ce film ? chuchotai-je.
— Non, mais j'adore ce genre de thriller noir. Et toi ?
— Première fois aussi.
Je plonge la main dans mon popcorn, totalement dans mon élément.
Luna, à côté, semble absorbée par le film, mais je remarque qu'elle jette sans cesse des petits coups d'œil à l'abruti, comme pour s'assurer qu'il apprécie.
Lui, en revanche, est figé comme une statue, ses yeux braqués sur l'écran, aucune réaction visible. Est-ce qu'il est vraiment concentré ou il fait juste genre pour impressionner Luna ? Mystère.
— ♠ —
Trente minutes plus tard.
Mon bol de popcorn ? VIDE.
Le film ? Toujours intense.
Mon ventre ? Commence à protester.
Je tourne lentement la tête vers Tyler. Il tient la main de ma sœur d'un air absent, toujours aussi impassible, le visage baigné dans la lueur bleutée de l'écran.
Bon. Dilemme existentiel.
Est-ce que je brave l'hostilité de l'abruti pour récupérer du popcorn... ?
...OUI.
Je me penche légèrement.
— Euh, Tyler...
Il ne détourne même pas le regard du film.
— Quoi ? répond-il d'un ton sec.
Je lui montre mon bol vide.
Il hausse un sourcil, me jetant un regard froid.
— Tu veux que j'en fasse quoi de ton bol ?
Wow. Tellement aimable.
— Laisse tomber... soufflai-je, exaspérée.
Il ignore royalement ma présence et se replonge dans le film.
J'attends deux minutes.
Mon estomac gargouille.
Je me tourne vers Luna.
— Luna, j'ai encore faim.
L'abruti pousse un soupir d'exaspération, et se lève brusquement.
— J'vais aux toilettes.
Sans un regard en arrière, il disparaît.
Luna glisse immédiatement à sa place, visiblement ravie.
— Ah, enfin.
Dulcinea et moi poursuivons le film, mais mon ventre crie famine.
Je me tourne vers ma sœur.
— Luna, je vais pas tenir.
Elle hausse les épaules, nonchalante.
— Va demander à Tyler, il a sûrement fini.
Elle est sérieuse ?
Mission survie activée.
Je quitte la salle, direction les toilettes des hommes.
La porte est entrouverte.
J'hésite une seconde avant de la pousser.
Vide.
C'est une blague ?
Je vérifie chaque cabine. Rien. Pas d'abruti.
Je commence à me poser des questions, quand un homme entre soudainement.
Il s'immobilise en me voyant et... me dévisage.
Un instant de silence gênant.
Puis, il ressort immédiatement et jette un regard perplexe à la porte des toilettes.
— Je crois que vous vous êtes trompée de salle, ma belle. dit-il, amusé.
Puis, avec un sourire en coin :
— Sauf si vous êtes transgenre, bien sûr.
Je rougis légèrement, prise en flagrant délit d'intrusion.
— Euh, non ! Je suis une fille, en fait, me précipitai-je de dire en me raclant la gorge. Je cherche quelqu'un. Un mec grand, cheveux sombres, tout habillé en noir... et légèrement abruti.
L'inconnu éclate de rire.
— Ah, ouais, je vois de qui tu parles, dit-il avant de marquer une pause, avant d'ajouter, narquois, sauf pour la partie « abruti », ça, j'en sais rien.
Je lève les yeux au ciel.
— Fais-moi confiance, il coche la case.
Il rit à nouveau.
— Je l'ai vu sortir du bâtiment y'a cinq minutes.
QUOI ?
Je remercie rapidement l'inconnu et quitte les toilettes en trombe.
Une fois dehors, l'air frais me frappe immédiatement.
Je remonte mon pull, scrutant les environs.
Où est-ce qu'il est passé, ce foutu crétin ?
Bon. À la chasse à l'abruti.
L'air est lourd, chargé d'une odeur de fer et de sueur. Mes pas ralentissent malgré moi alors que j'arrive près d'une ruelle étroite, dissimulée entre deux immeubles. Une ombre mouvante, des bruits sourds qui résonnent contre les murs de briques. Mon cœur rate un battement.
Quelque chose ne tourne pas rond.
Je devrais faire demi-tour. Ne pas me mêler de ce qui ne me regarde pas. Mais une force plus forte que ma peur m'attire en avant. L'instinct. L'adrénaline.
Je me faufile lentement et me penche juste assez pour voir.
La scène me frappe comme un coup de poing en pleine poitrine.
Tyler.
Il est là, immobile dans la pénombre, son poing fermé, recouvert de sang. Devant lui, un homme au sol tente désespérément de ramper, mais son bras tremble trop pour supporter son propre poids. Juste derrière, deux autres corps gisent, inertes. Peut-être inconscients. Peut-être morts.
Mais c'est Tyler qui me glace le sang.
Ses mouvements sont d'une précision mécanique, froidement calculés. Pas d'essoufflement, pas de tension dans les muscles, aucun tressaillement. Il ne se bat pas avec rage. Il frappe avec méthode, sans émotion.
Comme si ce n'était qu'un exercice.
Un dernier coup s'abat sur la mâchoire du type à terre. Un craquement sec. Il ne bouge plus.
Mon estomac se noue si fort que j'ai envie de vomir.
Je dois partir. Tout de suite.
Je recule d'un pas, puis d'un autre. Mais mon pied bute contre un objet au sol. Un jouet abandonné. Il roule sous ma semelle et un couinement strident transperce le silence.
Merde.
Les coups s'arrêtent net.
Une tension glaciale s'empare de la ruelle.
— Qui est là ?
La voix de Tyler tranche dans l'obscurité. Grave. Lente. Dangereusement calme.
Je retiens mon souffle. Peut-être qu'il ne m'a pas vue.
— Sors. Maintenant.
Chaque syllabe suinte la menace.
Je recule un peu plus, espérant m'enfoncer dans l'ombre, mais avant que je puisse fuir, une main surgit de nulle part et m'agrippe brutalement par le bras.
Je me fige.
Trois silhouettes bloquent la sortie de la ruelle. De grands hommes, à l'aura hostile. L'un d'eux me serre le poignet si fort que la douleur irradie jusqu'à mon épaule.
— Alors, qu'est-ce qu'on a là ? fait l'un d'eux avec un sourire mauvais.
Son regard parcourt mon visage, puis descend lentement, comme s'il me jaugeait, évaluant chaque parcelle de vulnérabilité.
Un autre s'approche. Il sort un couteau et le fait glisser contre ma joue, un sourire paresseux sur les lèvres.
— Elle est mignonne...
Je veux hurler. Me débattre. Mais mon corps refuse d'obéir.
Tyler est juste là. Il va intervenir, n'est-ce pas ?
Je tourne la tête vers lui, cherchant son regard. Mais il ne bouge pas.
Ses yeux, miroitant sous les faibles néons de la ruelle, sont indéchiffrables. Il nous observe, comme si tout cela n'était qu'un spectacle sans importance.
— Hé, toi ! crache un des hommes. Dégage si tu tiens à ta peau.
Un silence.
Puis Tyler se redresse lentement, époussette nonchalamment ses genoux ensanglantés et croise les bras.
— Osez seulement la toucher, et je vous garantis que vous regretterez d'être nés.
Son ton est posé. Presque ennuyé. Pas une once de menace inutile. Juste un fait.
Les types échangent un regard. L'un d'eux éclate de rire, mais son chef, celui qui me tient encore, garde son rictus figé. Il sent ce que je ressens aussi.
Tyler ne bluffe pas.
Le plus grand s'avance, une batte de baseball à la main. Il la fait tournoyer une fois avant de s'élancer vers Tyler.
Il ne comprend pas encore.
Il ne comprend pas qu'il est déjà mort.
Le mouvement est si rapide que mes yeux n'arrivent pas à tout capter. En une fraction de seconde, Tyler esquive, pivote et lui enfonce son genou dans les côtes avec une force effroyable. Un bruit ignoble résonne, suivi d'un hurlement.
L'homme tombe à genoux, hoquetant comme un poisson hors de l'eau.
Tyler ne lui laisse pas le temps de souffrir. Son poing s'écrase contre sa tempe et le silence s'abat de nouveau.
Le chef me lâche enfin.
— Putain... souffle-t-il en reculant.
Il jette un regard à ses hommes au sol, puis à Tyler.
— Ce mec est un putain de monstre...
Il ne croit pas si bien dire.
Il tente de fuir, mais Tyler l'attrape par le col et l'écrase violemment contre le mur. Sa main s'enroule autour de sa gorge, l'étranglant juste assez pour le voir paniquer.
Je suis tétanisée.
Il pourrait le tuer, là, maintenant. Et son visage ne trahirait aucune émotion.
— T'as fait une erreur, mec, murmure-t-il en le rapprochant de son visage. Et je suis de très, très mauvaise humeur.
Le type hoquette. Son corps tremble de peur.
Mais Tyler le relâche finalement et le laisse tomber au sol comme un déchet.
Il se tourne vers moi.
Son regard est vide.
— Tu vas rester plantée là à trembler ou tu vas me remercier ?
Mon souffle est court. Mon cœur tambourine violemment contre ma poitrine.
— Te remercier ? balbutiai-je, encore sous le choc. Tu les as... Tu les as presque tués !
— Et alors ? dit-il d'une voix plate, sans émotion. Ils auraient fait quoi, hein ? T'aurais préféré qu'ils t'emmènent pour jouer avec toi toute la nuit ?
Je recule instinctivement.
Il le voit. Il voit la peur dans mes yeux.
Son expression se ferme encore plus.
Il fait un pas vers moi, et avant que je puisse réagir, il me plaque brutalement contre le mur, une main froide sur ma gorge. Pas assez pour m'étouffer. Juste assez pour m'immobiliser.
Son souffle effleure ma joue.
— T'as voulu voir ce qu'il y avait sous la surface ? murmure-t-il, son ton plus glacé que jamais. Regarde bien. Parce que c'est ça, moi. Ça a toujours été ça.
Mon corps entier est crispé. Il relâche lentement sa prise, mais le message est clair.
Il s'en fout.
De moi. De ce que je ressens. De ce que je pense de lui.
Il se recule enfin et tourne les talons, quittant la ruelle sans un mot.
Je reste là, figée, au milieu des corps inertes.
Et pour la première fois, je réalise à quel point ce type est dangereux.
La ruelle est silencieuse à présent, presque trop silencieuse. Le vent, léger, serpente entre les murs fissurés et souffre un frisson dans ma nuque. Le sang sur mes mains, sur le sol, dans l'air, semble encore m'envelopper. C'est moi qui suis restée là, spectatrice. Seule. Ce n'est pas un film, c'est réel, et je suis entourée de cette violence que Tyler a semée sans un regard en arrière.
Je force mes jambes à bouger, chaque pas m'enfonçant un peu plus dans le poids de ce qui vient de se passer. J'avance lentement, comme si la terre sous mes pieds avait soudainement gagné en poids. Chaque respiration est un effort.
Quand je sors enfin de la ruelle, l'éclat des lampadaires me frappe en plein visage, mais la lumière ne parvient pas à dissiper l'ombre de ce qui m'a suivie. J'aspire une bouffée d'air frais, mais elle semble lourde, pleine d'amertume. Je n'arriverai jamais à oublier ça.
Mon esprit cherche une échappatoire, un retour à la normalité. Je décide de retourner au cinéma. Au moins là, tout semble figé dans un semblant de routine, loin de ce chaos.
À l'intérieur, la lumière tamisée me frappe comme un baume. Dulcinea et Luna sont là, derrière le comptoir, leurs visages marqués par l'inquiétude. Mais ce qui attire immédiatement mon regard, c'est Tyler, appuyé contre le comptoir, détendu, presque supérieur. Il porte un air suffisant, comme si rien de ce qui venait de se passer ne l'affectait. Une coupure sur son arcade sourcilière, un bleu sur la joue, mais rien qui semble le déranger.
Dulcinea, en revanche, réagit immédiatement.
– Enfin, te voilà ! Qu'est-ce qui s'est passé ? s'exclame-t-elle, en se précipitant vers moi.
Je tente un sourire, mais il se brise sur mes lèvres. Chaque fibre de mon corps tremble, mais je dois rester calme. Je n'ai aucune explication plausible. Alors je parle. Je dis des mots, même si je sais qu'ils sonnent faux, qu'ils ne font sens ni pour moi, ni pour elle.
– Rien de grave, balbutiai-je. Tyler... était sorti... et je l'ai suivi. Il a eu un problème avec des gars, mais tout va bien maintenant.
Elle me regarde, suspicieuse, mais elle ne dit rien. Elle accepte mes mots, même si ses yeux restent scrutateurs.
– Mais pourquoi tu ne nous as rien dit ? interroge-t-elle, se tournant vers Tyler.
Un silence. Tyler ne lève même pas les yeux. Il se contente de hausser les épaules. Un geste qui me déstabilise encore plus. Puis il repousse la main de Luna qui essaye de lui appliquer une compresse.
– Je n'avais pas envie de parler, grogne-t-il, son ton comme une lame de rasoir.
Luna se recule, vexée mais résignée, et croise les bras. Les questions restent suspendues dans l'air, inutiles, figées. Dulcinea, elle, se tourne vers moi. Son regard est lourd, plein de doutes non formulés, d'inquiétudes qu'elle ne peut pas poser. Je détourne le regard, mal à l'aise.
Le silence tombe à nouveau, mais il est oppressant, comme un poids de plomb sur mes épaules. Puis Tyler se redresse, les yeux toujours braqués sur la sortie.
– On y va.
Il tourne les talons sans un mot de plus. Luna le suit, silencieuse, sans un regard pour moi.
Le trajet en voiture est suffocant. L'air dans la voiture devient épais, chargé de non-dits. Personne ne parle. Tyler ne lève même pas un regard vers Luna, qui lance des regards furtifs dans sa direction. Ses yeux sont fixes, sur la route. Immobile. Froid.
Il dépose d'abord Dulcinea chez elle, puis il prend le chemin de la maison. Les minutes s'étirent, lourdes, et j'ai l'impression que chaque seconde passée à côté de lui est une éternité. Le silence dans la voiture est une épreuve, un gouffre qui avale mes pensées. Je n'ose pas ouvrir ma bouche. Je ne sais même plus quoi dire. La terreur du moment passé reste accrochée à moi, et je ne trouve aucun moyen de l'enlever.
Quand la voiture s'arrête enfin devant la maison, je sors précipitamment, murmurant un « merci » qui se perd dans l'air, et je m'éclipse à l'intérieur. Je me sens comme si je venais de fuir un abattoir.
Dans ma chambre, je m'effondre sur le lit, comme si le poids des événements m'écrasait encore plus maintenant que la porte est refermée. Mes pensées tourbillonnent, comme des débris dans un cyclone. Pourquoi a-t-il agi ainsi ? Pourquoi m'a-t-il regardée avec tant de colère, de détachement ? Chaque image de la scène me revient. Le fracas des poings, les corps qui tombent, le regard de Tyler.
Il m'a protégée. Mais il m'a aussi brisée. Il a agi avec une froideur qui me ronge de l'intérieur. Est-ce que ça le touche, au fond ? Ces corps qu'il a laissés derrière lui, ces vies qui se sont arrêtées en un instant, ou peut-être pas. Ou est-ce qu'il les considère juste comme des obstacles insignifiants, à écraser sans même y penser ?
Je repense à ses mots, à son regard glacial, à la dureté de sa voix quand il m'a plaquée contre ce mur, quand il m'a fait sentir la fragilité de ma propre existence. Il m'a protégée d'un côté, mais il m'a aussi laissée invisible de l'autre. Il m'a réduite à une simple spectatrice.
Je me lève et m'approche de la fenêtre. La nuit est calme. Silencieuse. Un soupir m'échappe. Peu importe ses raisons. Peu importe à quel point il veut me garder éloignée de tout ça, je vais comprendre. Pas pour lui, mais pour moi. Parce que je ne veux pas rester une victime de cette violence sans nom.
Mais plus je le regarde, plus je sens qu'il est une tempête que je n'ai pas envie de croiser à nouveau, et pourtant, quelque part, je suis déjà trop près.
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If you knew [ EN CORRECTION ]
Romance« DEUX ÂMES PERDUES » C'est ainsi que certains résument les histoires d'amour : deux êtres égarés, dérivant dans l'immensité de leur solitude, jusqu'à ce que leurs errances se croisent. Elle aussi était perdue. Mais contrairement à ces récits enjoli...