PARDON
— ♠ —
Un mois plus tard.
Un mois s'est écoulé.
Un mois que mon cher grand frère est reparti à l'université, emportant avec lui l'amour de sa vie : sa PlayStation. Ça paraît stupide, mais il me manque vraiment. Pas juste pour nos soirées à jouer jusqu'à l'aube, ni pour nos débats interminables sur tout et rien. Ce qui me manque le plus, c'est cette présence rassurante, ce lien unique qu'on partageait. Même ses conseils maladroits me manquent – ceux qu'il donnait avec une prétention exagérée, comme s'il était un sage vieux de mille ans.
Maintenant, la maison est plus vide. Plus silencieuse.
Pendant ce temps, mon oncle James passe de moins en moins de nuits à la maison. Les raisons sont évidentes : le travail... ou Samantha. Mais soyons honnêtes, c'est surtout Samantha. Et même si je ne la connais pas tant que ça, quelque chose me dérange chez elle. Trop parfaite, trop lisse. Comme si elle jouait un rôle.
Luna, de son côté, a profité de ce mois pour effacer la coloration rouge sur quelques mèches de mes cheveux. Elle insiste pour que je reste « naturelle » avec mes cheveux bruns, mais honnêtement, ce n'est pas à elle de décider. Sauf qu'avec son air autoritaire et son obsession pour l'apparence, c'est toujours un combat perdu d'avance. Mais tout de même toujours ma coloration noire qui couvre tous mes cheveux.
Si ma vie à la maison est fade, celle au lycée est une cacophonie... et son refrain est toujours le même : Tyler.
Tyler ici, Tyler là. Tyler et Luna. Tyler avec la pom-pom girl. Il suffit qu'il traverse un couloir pour que l'air s'imprègne de son prénom. Il est devenu une légende vivante. Tout ça parce qu'il est avec Luna, la reine autoproclamée du lycée. Apparemment, sortir avec une pom-pom girl ouvre toutes les portes. Les gens l'admirent, le jalousent, chuchotent à son passage comme si c'était une rockstar descendue de scène.
Et moi ? Je suis juste à côté. Invisible.
Chaque matin, en arrivant au lycée, j'entends toujours la même rengaine :
— Hé, regardez qui vient d'arriver ! Tyler et Luna !
Personne ne mentionne celle qui marche deux pas derrière eux. Moi.
Et honnêtement, ce n'est pas plus mal.
L'attention est un territoire hostile, un terrain où je refuse de mettre les pieds. Mon idéal ? Être un fantôme. Ne pas attirer les regards, ne pas être le sujet des discussions, ne pas exister aux yeux de ceux qui se nourrissent du drame et des apparences.
Ça, c'est le domaine de Luna et Cassie. Surtout Luna. Elle se nourrit de l'admiration qu'on lui porte, comme une plante a besoin du soleil. Les regards qui se tournent vers elle, les murmures flatteurs, la popularité qui l'entoure comme une aura scintillante... Elle vit pour ça.
Et moi ?
Je suis juste sa petite sœur.
Un détail insignifiant dans son univers de projecteurs et d'attention.
Je pense à tout ça, un croissant au beurre à la main. Rien de tel que du feuilleté croustillant et fondant pour essayer d'oublier cette journée. Les croissants au beurre, les meilleurs ! J'en avais acheté en passant devant la boulangerie, une impulsion dictée par la faim et le besoin de réconfort.
Mais alors que je croque dans mon deuxième, mon esprit revient sur un sujet qui me tracasse depuis ce matin : l'invitation d'Henriette Winnie-Slow.
Elle m'a appelée pour m'inviter à sa soirée d'Halloween. Une de ces fêtes extravagantes dont elle a le secret, où tout le monde veut être vu, où l'alcool coule à flots et où les rumeurs naissent plus vite que les amitiés.
Henriette.
Elle appartient à la génération d'Andrew. Son ex du lycée. Une fille qui aurait pu devenir ma belle-sœur, si seulement mon frère n'avait pas ruiné leur relation en la trompant avec sa meilleure amie. Charmant, hein ?
Mais Henriette n'a jamais été du genre à pleurer longtemps. Elle est née dans l'opulence, fille d'un homme d'affaires influent, habituée à obtenir tout ce qu'elle veut d'un claquement de doigts. Comme Cassie. Henriette ne s'est jamais vantée de sa richesse pour écraser les autres. Elle l'affichait, oui, mais pour s'amuser. Son plaisir, c'était de transformer chaque instant en spectacle, de faire en sorte que ses fêtes soient légendaires.
À l'époque, elle me suppliait pour que je vienne, mais je n'y ai jamais mis les pieds.
Et pourtant...
Aujourd'hui, elle m'a de nouveau invitée, à sa soirée qui aura lieu demain.
Et cette fois-ci, Cassie et Addison m'ont forcée à accepter.
Je n'arrive toujours pas à croire que j'ai dit oui.
La sonnerie stridente de la porte résonne dans la maison, brisant le silence confortable que j'appréciais. Je sursaute légèrement avant de lâcher un soupir agacé et de me lever.
Quand j'ouvre la porte, je tombe nez à nez avec Luna... et l'abruti de service.
— T'as pas réunion, toi ? demandai-je, surprise de la voir ici aussi tôt, encore plus avec lui.
— Elle a pris fin il y a une quinzaine de minutes, répond-elle en haussant les épaules.
Génial.
Je m'écarte pour les laisser entrer, non sans une pointe d'hésitation. L'abruti me lance un regard furtif, une de ces œillades brèves et indéchiffrables qui m'agacent encore plus que son arrogance habituelle. Il passe le seuil, les mains dans les poches, l'air d'un mec qui a mille fois mieux à faire que d'être ici.
Depuis cette nuit-là, il y a ce mur invisible entre nous. Un mur de silence et de non-dits, renforcé par les traces encore visibles sur son visage. La coupure sur son arcade s'est estompée, mais une ombre de cette violence qu'il traîne comme un souvenir encombrant.
Sans un mot, il se dirige vers la cuisine, comme si la maison était la sienne, comme si son existence ne me tapait pas sur les nerfs chaque fois qu'il était dans la même pièce que moi.
Je referme la porte derrière lui, tentant de ravaler mon irritation.
— Dulcia n'est pas avec toi aujourd'hui ? demandai-je à Luna en rejoignant le salon, curieuse de l'absence de sa meilleure amie.
— Elle avait rendez-vous chez le dentiste, répond-elle depuis la cuisine.
Je me laisse tomber sur le canapé, appréciant l'instant de répit, jusqu'à ce que Luna bondisse littéralement vers moi avec un enthousiasme qui me donne déjà mal à la tête.
— Lysie, on va faire un gâteau ! s'exclame-t-elle, les yeux brillants d'excitation. Nous trois !
Je fronce les sourcils. Nous trois ?
Juste derrière elle, l'abruti s'arrête net, son expression passant de l'ennui à une incompréhension totale. Il se tourne lentement vers sa copine, comme s'il venait de comprendre qu'il allait être obligé de passer du temps avec moi.
— Non ! protestons-nous en chœur, aussi horrifiés l'un que l'autre.
Ma sœur croise les bras, visiblement vexée.
— Je ne comprends vraiment pas pourquoi vous ne vous aimez pas, dit-elle d'un ton faussement innocent.
Si tu savais.
— Ce gars est juste... naze. Il me répugne, dis-je.
— Cette fille est... envahissante, rétorque l'abruti avec un rictus de dégoût.
Je croise les bras, lui lançant un regard assassin.
— T'es gonflé de parler d'envahissement alors que tu squattes chez nous comme si t'avais pas de maison.
Luna attrape nos poignets et nous tire de force vers la cuisine, ignorant nos protestations.
— Apprenez à vous connaître. Pour moi. S'il vous plaît.
On échange un regard exaspéré avant de soupirer à l'unisson.
— Je le fais juste pour toi... et parce que j'ai envie d'un gâteau, dis-je.
L'abruti me dévisage avant de lever les yeux au ciel.
Luna commence à sortir les ingrédients et les pose sur le plan de travail.
— On fait un gâteau au chocolat !
Je récupère un tablier accroché à la porte. Franchement, pourquoi on en a autant ?
— Toi, dis-je en désignant l'abruti, préchauffe le four à 180 degrés. Lulu, passe-moi la farine, le sucre et la levure. Ensuite-
— Non.
Je me fige.
— Quoi ?
— Je vais pas recevoir d'ordres de toi.
J'éclate de rire, un rire sans joie.
— T'as déjà fait un gâteau dans ta vie, au moins ?
— Oh, bien sûr. Les meilleurs que t'auras jamais mangés dans ta misérable petite vie.
— Vraiment ? Alors faisons un défi. Chacun fait son gâteau et on verra lequel est le meilleur.
Luna nous regarde, bras croisés, l'air furieuse.
— Vous êtes insupportables.
Puis, sans prévenir, elle tourne les talons et quitte la cuisine.
— Lu-
— Laissez-moi tranquille, et ne me suivez pas, dit-elle en montant les escaliers.
Silence.
Je fixe Tyler, il me fixe.
— Tout ça, c'est de ta faute.
— La mienne ? m'étonnai-je en me retournant vers lui. Si t'avais juste fait ce que je t'ai dit, on n'en serait pas là.
— C'est toi qui m'as provoqué en me demandant si j'avais déjà fait un gâteau.
— C'était une question !
— C'était une provocation.
Ce mec...
Je prends une grande inspiration, tentant de me rappeler que Luna voulait juste qu'on s'entende pour UNE fois.
Je ferme les yeux, expire lentement, puis les rouvre.
— Écoute. Je sais qu'on se supporte pas, mais juste pour aujourd'hui, faisons un effort. Pour Luna.
Il arque un sourcil, comme si je venais de lui parler en klingon.
— Comment ça ?
Je croise les bras et le fixe. Il comprend immédiatement et secoue la tête.
— Non.
— Allez... juste un gâteau.
— Fais-le toute seule. C'est non négociable.
Je m'approche de lui, les mains derrière le dos. Je sais que je vais regretter ce que je m'apprête à faire.
Il me regarde avec méfiance, levant un sourcil.
D'un geste rapide, je me hisse sur la pointe des pieds et dépose un baiser rapide sur sa joue.
Il recule si brusquement qu'il manque de trébucher.
— T'es malade ? s'étrangle-t-il.
Je plisse les yeux, savourant chaque milliseconde de son inconfort.
— Si tu refuses de faire ce gâteau avec moi, attends-toi à recevoir encore plus d'affection de ma part.
Juste prononcer ces mots me file une nausée.
L'abruti me scrute un instant, et soudain, un sourire en coin étire ses lèvres.
— Et qui t'a dit que ça me dérangerait ?
Je roule des yeux. J'avais oublié à quel point c'est un abruti.
— Sois sérieux.
Il soupire, visiblement au bord de l'implosion.
Finalement, il lâche un « OK » à contrecœur.
Je claque des doigts, satisfaite.
— Parfait.
On retourne aux fourneaux.
Une tension qui monte
Je dois l'admettre : il est doué en cuisine. Bien plus que je ne l'aurais cru venant d'un abruti comme lui. Nos mots restent froids, mais nos gestes s'accordent avec une fluidité inattendue.
Le silence s'installe entre nous, ponctué seulement par les bruits des ustensiles et du fouet qui frappe la paroi du bol. Il attrape le mixeur, le déclenche et commence à incorporer le lait en poudre et l'eau.
Je suis sur le point de lui dire qu'il s'y prend mal quand une éclaboussure du mélange crémeux atterrit sur mon visage.
Je cligne des yeux.
Puis l'abruti explose de rire.
Un rire sincère et profond, un son que je n'ai jamais entendu venant de lui. Un rire qui fait vibrer l'air, qui fait grincer mes nerfs.
— Tu ressembles enfin à ton espèce, ricane-t-il.
Je reste figée une seconde, puis roule des yeux avant d'éteindre le mixeur.
— T'as bien rigolé ?
Sans attendre, j'attrape une poignée du mélange et lui balance en pleine figure.
Le rire s'étrangle dans sa gorge. Son visage se ferme instantanément.
L'ambiance change.
Son sourire s'efface comme s'il n'avait jamais existé. Il baisse les yeux vers le sol, figé, puis relève lentement son regard vers moi.
Et ce n'est pas un regard normal.
Ce n'est pas l'un de ses regards prétentieux ou moqueurs. C'est un regard froid. Tranchant. Dangereux.
Un regard qui me coupe le souffle.
Merde.
Chaque instinct de survie me crie de détourner les yeux, de reculer, de fuir. Mais je ne peux pas bouger.
Un frisson glacé me traverse l'échine alors que nous restons figés, face à face.
— Oups...
Ma voix est plus faible que je l'aurais voulu.
J'attrape une serviette sur la cuisinière, hésite une seconde, puis tend lentement la main vers son visage.
Il ne bouge pas. Il attend.
— T'attends quoi ? demande-t-il, sa voix plus basse, plus dure.
Je sursaute légèrement avant d'essuyer délicatement son visage. Lentement, prudemment. Je sens la rigidité de sa mâchoire sous mes doigts. La tension dans son corps est palpable.
Mon propre souffle est irrégulier.
Je n'aurais pas dû lui jeter ça. Il est imprévisible. Il aurait pu réagir autrement.
D'un geste hésitant, je retire la serviette, mais il ne détourne pas les yeux.
Toujours ce regard. Glacial. Tranchant. Intrusif.
S'il croit que je vais m'excuser, il peut toujours bouffer cette serviette.
Je détourne le regard, passe de l'eau sur le tissu et m'essuie à mon tour. Je le sens toujours me fixer.
Il m'observe avec une intensité qui me met mal à l'aise, comme s'il me disséquait.
Je continue d'essuyer mes cheveux, essayant de feindre l'indifférence, quand il attrape le bas de son t-shirt noir et le retire d'un geste rapide.
Mon cœur rate un battement.
Putain.
La bouche entrouverte, je fixe son torse sculpté, ses épaules larges, sa peau légèrement hâlée marquée par quelques cicatrices discrètes.
Je devrais détourner le regard.
Je devrais.
Mais mes yeux trahissent mes pensées et s'attardent une fraction de seconde de trop sur ses abdos.
Il enfile le tablier sans broncher, puis tourne la tête vers moi.
Un sourire narquois se dessine sur son visage.
— Pourquoi tu me mates comme ça ?
Son ton est neutre, mais je vois la provocation briller dans son regard.
Je cligne des yeux. Il croise les bras, et rétorque sèchement :
— Je te signale que t'es la salope qui a sali mon haut.
Il passe à côté de moi. Je l'entends recommencer à préparer la pâte, comme si de rien n'était.
Je prends une inspiration, attrape la serviette et la dépose sur le plan de travail avant de m'asseoir sur le comptoir.
Je l'observe du coin de l'œil, des questions s'accumulent dans mon esprit.
A-t-il des crises de colère ?
Est-ce qu'il réfléchit à la méchanceté de ses mots ?
Comment peut-il frapper sans montrer la moindre émotion ?
Et bordel, comment fait-il pour avoir un corps pareil ?
Le bruit du four qui se referme me sort de mes pensées.
Il se retourne, croise les bras et me fixe avec ce regard perçant.
— Quoi ? ironise-t-il. Tu veux encore jouer à la pâtissière en chef ?
Son ton est moqueur, mais son regard est toujours aussi glacial.
Je serre la mâchoire.
Il y a à peine une demi-heure, il était furieux.
Je roule des yeux, descends du comptoir et lance d'un ton détaché :
— Non, je préfère m'éloigner de toi. Tu as une influence toxique.
Je tourne les talons pour partir, mais sa voix me cloue sur place.
— C'est ça, va te cacher.
Mon sang se glace.
Lentement, je me retourne.
— Écoute, soufflai-je en gardant mon calme. Je fais ça pour ma sœur. Alors si tu peux juste me laisser tranquille, ça ne serait pas de trop.
Il me fixe un instant, silencieux.
Puis, il hausse légèrement un sourcil.
Mais il ne dit rien.
Bon. Une victoire.
Je pousse un soupir de soulagement et me dirige vers le salon.
Je m'affale sur le canapé et ferme brièvement les yeux. Je peux encore sentir sa présence.
Je glisse une main dans ma poche et sors mon téléphone. Une notification apparaît.
/James
> Je ne rentrerai pas ce soir non plus.
La routine.
— Tu me dois un t-shirt, lance la voix de l'abruti, brisant le silence.
Je lève les yeux vers lui alors qu'il s'avance, un sourire en coin sur le visage.
— Oh, monsieur n'est plus en colère ? rétorquai-je, sarcastique.
Il s'arrête à quelques pas, son sourire s'élargissant.
— Pas autant que mademoiselle est peureuse dès qu'on lui parle sur un ton dur.
Je lève les yeux au ciel.
Ce mec adore me provoquer.
— Si tu t'ennuies, va voir ma copine. Je n'ai pas besoin de tes conneries.
Je fixe mon téléphone, feignant l'indifférence, tandis qu'il s'assoit à côté de moi, bras croisés.
Un ricanement étouffé se fait entendre.
— Pourquoi tu ris ?
Il hausse les épaules.
— J'ignorais que t'aimais les sites de rencontre.
Je fronce les sourcils, puis regarde mon écran.
Un site de rencontre.
Putain.
Je me suis connectée dessus par erreur.
Je mets aussitôt mon téléphone en veille, détournant le regard, balançant mes pieds nerveusement.
Mais l'abruti rit toujours.
— Sérieusement, t'as rien de mieux à faire ? soufflai-je, exaspérée.
Il me fixe avec ce sourire moqueur qui commence sérieusement à m'agacer.
— C'est plutôt divertissant de te voir perdre ton sang-froid.
Je le fixe, serrant les dents.
Je me demande comment il peut être aussi calme... alors qu'il semble avoir tant de rage en lui.
— ♠ —
— Donc, t'as une sœur.
— Quel est son prénom ?
— Annabelle. Elle a quatorze ans, si tu veux savoir aussi.
Puis, sans prévenir, il lâche :
— Quand je te vois, tu me rappelles elle.
J'ouvre la bouche, mais il ajoute aussitôt :
— Vous feriez la paire toutes les deux, deux gamines ensemble.
Je fronce les sourcils.
— Qui est-ce que tu traites de gamine ? m'insurgeai-je.
Il esquisse un sourire en coin, mais son regard ne perd rien de son tranchant.
— Bah, vous deux.
Puis il hausse un sourcil, feignant la réflexion :
— Quoique... Annabelle ? Une gamine ? Il secoue lentement la tête. Elle est plus mature que toi.
Je roule des yeux et décide de l'ignorer, me tournant plutôt vers le four. Une odeur sucrée flotte dans l'air, signalant que le gâteau est prêt.
Je tends la main vers la poignée, prête à l'ouvrir.
Mais l'abruti m'interrompt.
Sa main se referme sur mon épaule avec une fermeté calculée.
Je me fige.
Ce n'est pas une prise brutale, mais c'est un contact que je n'attendais pas.
— Laisse, dit-il d'un ton neutre. Je vais m'en occuper.
Je fronce les sourcils et me dégage doucement de son emprise.
— Pourquoi pas moi ?
Il incline légèrement la tête et, pour la première fois, je remarque à quel point son regard est froid.
Aucune moquerie. Aucune irritation. Juste une autorité glaciale.
— Regarde l'état de la cuisine.
Je balaie la pièce du regard.
C'est un putain de champ de bataille.
La farine recouvre une partie du plan de travail, des ustensiles traînent un peu partout, et une légère couche de poussière s'est mêlée au désordre.
Je siffle doucement.
— Ouais...
Je lui lance un regard, puis, sans demander mon reste, je tourne les talons et file vers ma chambre.
— Tu vas finir par nettoyer ! me lance-t-il alors que je disparais dans le couloir.
— C'est ce qu'on verra, abruti !
J'entre dans ma chambre et referme la porte derrière moi, m'appuyant contre elle.
Pourquoi il a réagi comme ça ?
Je ferme les yeux, essayant de calmer mon irritation. Il est toujours imprévisible.
Quelques minutes plus tard, un bruit me sort de mes pensées.
Des coups frappés à ma porte.
Je me redresse légèrement, hésitante.
— Oui ?
Silence. Puis une voix, basse et détachée :
— Ta part est dans le frigo.
C'est l'abruti.
Je fronce les sourcils.
C'est tout ? Pas de moquerie ? Pas de remarque cinglante ?
J'attends un instant, tendant l'oreille.
J'entends des pas s'éloigner, puis la porte de la chambre de Luna se refermer.
Un silence s'installe à nouveau.
Prudemment, je sors de ma chambre.
Lorsque j'arrive dans la cuisine, je me fige.
Tout a été nettoyé.
Tout.
Les surfaces brillent, il n'y a plus une trace de farine, plus aucun ustensile qui traîne. L'endroit est impeccable.
Et c'est l'abruti qui a fait ça.
Je me dirige lentement vers le réfrigérateur, l'ouvre, et repère immédiatement ma part de gâteau.
Soigneusement emballée.
Juste à côté, une note.
Je l'attrape du bout des doigts et la lis.
« Désolé pour tout le mal ».
Je reste immobile.
Un mélange de sentiments m'envahit. D'abord de la surprise.
Puis de la reconnaissance.
Et enfin, un soupçon de culpabilité.
Il s'est excusé.
Tyler Anderson s'est excusé.
Je serre légèrement la note entre mes doigts, mon regard fixé sur ces quelques mots.
Il est froid, cruel parfois. Mais ce geste...
Pourquoi a-t-il fait ça ?
Je repasse les événements dans ma tête, mais aucune explication logique ne me vient.
Il a simplement... agi.
Sans rien attendre en retour.
Je repose lentement la note sur le comptoir et fixe un point invisible devant moi, perdue dans mes pensées.
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If you knew [ EN CORRECTION ]
Romantik« DEUX ÂMES PERDUES » C'est ainsi que certains résument les histoires d'amour : deux êtres égarés, dérivant dans l'immensité de leur solitude, jusqu'à ce que leurs errances se croisent. Elle aussi était perdue. Mais contrairement à ces récits enjoli...