Chapitre 19

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DEUX EN UN
— ♠ —
— Mais tu vas la fermer ?!
La voix claque dans l'air comme un coup de feu.
Je me fige.
Puis, comme si mon corps réagissait avant même que mon cerveau ne comprenne, je me jette contre lui, m'agrippant à son sweat comme si ma vie en dépendait.
L'abruti.
Celui que j'aurais juré détester. Celui dont la simple présence me tape sur les nerfs. Et pourtant, en cet instant, je ne veux plus le lâcher.
Il reste raide un instant, surpris par mon geste. Je sens ses muscles se tendre sous mes doigts. Puis, lentement, il referme ses bras autour de moi, hésitant d'abord, presque maladroit, comme s'il ne savait pas comment gérer une fille en larmes accrochée à lui.
Mais moi, je sais.
Je m'accroche comme si je voulais m'ancrer dans la réalité. Comme si je pouvais effacer ce qui vient de se passer simplement en sentant sa chaleur contre moi.
Et puis, il cède.
Son étreinte se raffermit. Son torse se soulève au rythme d'une respiration calme. Je ferme les yeux un instant, écoutant les battements réguliers de son cœur. Il est là. Je suis en sécurité.
Ma gorge est serrée, mes jambes tremblent encore sous l'adrénaline.
— Putain, où étais-tu ?
Ma voix craque, brisée sous le poids de la peur qui refuse de me quitter. Les larmes continuent de couler, brûlantes, incontrôlables.
— Tu me cherchais ?
Il a cette façon de le dire, comme s'il voulait m'obliger à l'admettre.
Les mots se coincent dans ma gorge. Comment expliquer cette panique viscérale, ce sentiment d'avoir frôlé l'horreur absolue ?
Je prends une inspiration tremblante et me détache légèrement, relevant les yeux vers lui. J'ai besoin de voir son expression, de trouver quelque chose à quoi m'accrocher.
Ses doigts effleurent mes joues, balayant mes larmes du bout des pouces. Un geste inattendu, trop doux venant de lui.
Et dans son regard... quelque chose a changé.
Plus de froideur. Plus de désinvolture. Juste une intensité étrange, un truc qui me retourne le ventre.
— Tes larmes sont magnifiques, petit poussin.
Un frisson me traverse.
Petit poussin.
Je n'arrive pas à détourner les yeux. Il a toujours eu ce ton moqueur, ce sourire en coin agaçant. Mais là, c'est différent.
S'il est là... ça veut dire qu'il savait.
Je déglutis, le fixant avec une soudaine méfiance.
— Tu me suivais ?
— Eh bien... je pensais que le mec bizarre te suivait.
Mon cœur manque un battement.
— Donc... tu étais inquiet pour moi ?
Un silence. Son regard glisse ailleurs, comme s'il cherchait une excuse valable.
— Quoi ? Non !
Sa réponse fuse trop vite, trop défensive.
— Je veux juste dire que si quelque chose t'arrive, on me tiendra pour responsable.
Logique.
Un sourire étire lentement mes lèvres. C'est tellement lui.
Je plante mon regard dans le sien, amusée malgré moi.
— T'es un abruti, tu sais ça ?
Un rictus effleure ses lèvres. D'un geste fluide, il passe un bras autour de mon cou, m'attirant contre lui comme si de rien n'était.
— Allez, viens, petit poussin. On sort de ce trou à rats.
Et il m'entraîne à travers les arbres, me guidant hors de l'obscurité.
— Pourquoi tu marchais partout comme ça ?
Sa voix me ramène brutalement à la réalité.
Je me dégage aussitôt de son emprise, comme si son simple contact me brûlait. Qu'est-ce que je suis en train de faire ? Je me rappelle d'un coup que je ne veux pas de lui ici, que je ne veux pas lui parler, encore moins ressentir une quelconque proximité avec lui.
Sans un mot, je tourne les talons, les mains enfoncées dans les poches de mon sweat, accélérant le pas pour mettre de la distance entre nous.
Mais il ne me laisse pas partir.
Au lieu de s'éloigner comme il le fait d'habitude, détaché et indifférent, il marche à ma gauche, s'ajustant à mon rythme.
Mon cœur se serre. Je ne comprends pas.
Je jette un coup d'œil furtif dans sa direction, espérant capter quelque chose. Une intention, une explication, une raison à cette obstination soudaine. Mais il garde son regard fixé droit devant lui, comme si ma présence lui était aussi naturelle que l'air qu'il respire.
Puis, son regard dérive. Vers l'étang. Je suis son regard. Là-bas, un arbre solitaire.
Je plisse les yeux.
Soudainement, tout bascule.
Des éclats lumineux envahissent mon champ de vision. Comme des flashs, des bribes d'un monde qui ne devrait pas être là. J'ai à peine le temps de cligner des yeux que l'automne disparaît.
Les branches de l'arbre ploient sous le poids de feuilles vertes, vibrant sous un soleil d'été. La lumière est éclatante, trop vive, trop chaude.
J'ai du mal à respirer.
Les flashs continuent.
Une allée grouillante de vie. Des enfants rient en courant. Un marchand de glaces agite une clochette. Un vieux couple marche main dans la main.
Ce ne sont pas mes souvenirs.
Mais je les ressens, comme une empreinte brûlée dans mon esprit.
L'angoisse m'étrangle.
Les images se superposent à la réalité, comme si deux mondes coexistaient en moi. Mon crâne me lance, une douleur aiguë martelant mes tempes.
Stop.
Mes mains viennent s'y plaquer dans une tentative vaine de faire taire la folie.
— Arrête... arrête... murmurai-je entre mes dents, les genoux tremblants.
Je ferme les yeux. Mais ça ne s'arrête pas.
Je suffoque.
Puis, un choc.
Deux mains fermes se posent sur mes épaules. Une chaleur brutale m'envahit.
L'instant d'après, tout disparaît.
Je rouvre les yeux.
Tout est redevenu normal.
Mon souffle est saccadé, mon corps en tension extrême. Mais je suis là. Je suis revenue.
Et c'est là que je le vois.
Lui.
Ses mains sur mes épaules. Son regard vissé au mien, un mélange d'inquiétude et d'incompréhension dans les yeux.
— Tout va bien ?
Sa voix est plus douce que d'habitude.
Trop douce.
Un dégoût soudain me traverse. Je réalise que c'est lui qui m'a ramenée. Que c'est son toucher qui m'a ancrée à la réalité.
L'horreur de cette prise de conscience me frappe comme une gifle.
Je le repousse violemment.
— Retire tes sales mains de mon corps.
Ma voix tremble de colère, de rejet, de panique pure.
Il recule aussitôt, levant les mains en l'air en un geste de paix. Je vois l'incompréhension dans son regard.
— Mais-
— Tais-toi !
Il obéit. Mais il ne détourne pas le regard.
— Je voulais juste t'aider.
— Je ne parle pas aux gens comme toi.
Chaque mot est craché comme un venin.
Un silence oppressant s'installe. Mais il ne part pas.
Il reste là. À mes côtés. Comme s'il refusait de comprendre que je le déteste.
Il finit par briser le silence.
— T'es déjà venue ici quand t'étais petite ?
Je me crispe.
— Je me demandais si-
— TA GUEULE !
Mon hurlement résonne dans la nuit.
— Retourne au banc, à ta putain de voiture, mais dégage !
Il hausse simplement les épaules.
Et continue de marcher à mes côtés.
Comme si de rien n'était.
— ♠ —
Une soirée tranquille ? Évidemment, c'était trop demander.
Tout ce que j'avais fait, c'était mentionner que j'avais froid. Une simple remarque. Et pourtant, monsieur l'abruti avait trouvé le moyen de répondre, du haut de son mépris habituel :
— Si t'as froid, rentre chez toi.
J'aurais pu ignorer. J'aurais dû ignorer. Mais c'était plus fort que moi.
— Ouvre encore ta bouche et tu finis ta marche tout seul ! lançai-je, furieuse. Ah, c'est vrai. Tu n'as pas besoin de moi, je-
— Parles trop.
Son ton sec, son regard froid. Tout en lui me provoque.
Je m'arrête net, me tourne vers lui, les poings serrés.
— Parle-moi mieux ! criai-je.
Il hausse un sourcil, son air parfaitement blasé.
— Malheureusement pour toi, je n'ai pas envie de te parler.
Mon sang ne fait qu'un tour.
— Et qu'est-ce que tu viens de faire là, alors ?!
Il esquisse un sourire moqueur.
— Te faire comprendre que tu peux parler sans hurler.
Ce. Mec.
Je prends une inspiration pour l'insulter proprement, mais un mouvement attire mon attention.
Le chaton.
Celui que j'avais aperçu plus tôt. Il est là, juste devant nous, ses petits yeux brillants et curieux.
— Oh, c'est lui ! m'exclamai-je, ravie.
Erreur. Mon enthousiasme fait sursauter le pauvre animal, qui disparaît aussitôt dans les buissons.
— Félicitations. Même les animaux te fuient, commente-t-il d'un ton faussement compatissant.
Je le pousse légèrement, croisant les bras. Il rit. Carrément. Son rire sec, moqueur, insupportable.
— T'es une plaie, tu sais ça ? grommelai-je.
— Oh, j'en suis très conscient.
Et pourtant...
— Viens, allons le chercher, dit-il soudainement.
Je le fixe, méfiante. Depuis quand il a un cœur, lui ?
— Sérieusement ?
Il hausse les épaules, détaché.
— Fais comme tu veux.
Et il part. Juste comme ça.
Je le regarde s'éloigner, luttant contre mon propre orgueil. Rester ici seule, dans cet endroit glauque ? Pas question.
Avec un soupir, je me dépêche de le rattraper.
— Tu t'es décidée, finalement.
— Tais-toi.
Il rit encore. Il avance avec son habituelle assurance, tandis que je scrute les alentours avec beaucoup moins de sérénité. Chaque pas produit est un craquement sinistre sous la neige. L'air est plus froid. Plus lourd.
Un frisson me parcourt.
— Si tu flippes autant, tu peux toujours t'accrocher à mon bras, propose-t-il.
Je roule des yeux.
— T'es sérieux ?
— Je constate juste un fait.
— Même si un ours apparaissait devant nous, je ne m'agripperais jamais à toi.
— Comme tu veux...
Et soudain, il s'arrête net.
Son regard est figé devant lui. Froid. Alerte.
Mon cœur rate un battement.
— Pourquoi tu t'arrêtes ? demandai-je, la gorge sèche.
Il met un instant avant de répondre.
— Ne... regarde pas... le sol.
— Pourquoi ?
— Juste... fais ce que je dis.
Son ton. C'est ça qui me fait paniquer.
Ma respiration s'accélère. J'ai besoin de savoir.
Alors je regarde.
Et avant même que je comprenne ce que je vois-
Il se met à courir.
Il court.
Sans réfléchir, je hurle et me précipite après lui.
— ATTENDS-MOI, BORDEL !
Mais il ne ralentit pas. Il disparaît entre les arbres.
Et je suis seule.
La panique explose en moi.
Je jette un regard frénétique autour de moi. Les arbres me paraissent plus grands. Plus oppressants. Le vent siffle, transportant avec lui des murmures imaginaires.
Quelque chose est là.
Quelque chose me regarde.
J'ai envie de vomir.
Mais une voix perce ma terreur.
Mon prénom.
C'est lui.
Sans hésiter, je me rue vers le son, courant plus vite que jamais.
Je le vois enfin. Debout, m'attendant, l'air parfaitement calme.
Son sourire narquois s'élargit en me voyant.
— Je te hais ! lançai-je, hors d'haleine.
— Ça, je le sais. T'as vraiment flippé ?
— À ton avis ?!
Il éclate de rire. Un vrai rire. Clair. Moqueur. Insupportable.
— Putain, t'aurais vu ta tête !
L'horreur me frappe.
— Tu... Tu te fous de moi ?!
— Évidemment.
Je reste figée, mon corps entier tremblant de colère et de soulagement mêlés.
— Il n'y avait rien, admet-il finalement. Je voulais juste te faire peur.
Un silence.
Puis une vérité glaciale.
— Et c'est censé être amusant ?
— Bah... oui ?
Ses rires continuent de résonner.
Mais moi, je ne ris plus.
Je le fixe. Quelque chose me dérange.
Ce n'est plus l'endroit qui me fout la trouille.
C'est lui.
Il me regarde autrement. Avec une lueur étrange dans le regard.
— C'est tellement excitant de te voir comme ça, murmure-t-il.
Un frisson.
Son sourire est différent. Plus sombre.
Je recule d'un pas.
Et sans prévenir-
Il court encore.
— QUOI ⁈
Cet enfoiré recommence.
Je me précipite après lui, encore une fois.
Mais cette fois, je ne fais pas attention.
Une racine.
Une chute.
Les feuilles mortes contre mon visage.
Je reste là un instant, honteuse.
Puis, en levant les yeux...
L'allée.
Je suis sortie de cette putain de forêt.
Je souffle, un mélange de soulagement et de rage montant en moi.
Il va me le payer.
Je continue d'avancer, le froid mordant ma peau, quand un miaulement brise le silence sur ma gauche, derrière un buisson dense. Mon cœur rate un battement. Instinctivement, je me dirige vers la source du son, écartant prudemment les branches du bout des doigts.
Et là, je le vois.
L'abruti. Accroupi de dos, immobile, presque absorbé par quelque chose devant lui.
— C'est toi qui miaule ? lançai-je, moqueuse.
Il ne tourne la tête que légèrement, juste assez pour que je distingue une minuscule boule de poils noire et blanche, recroquevillée, tremblante. Le chaton miaule à nouveau, sa petite voix brisant la nuit.
Lui, en revanche, reste silencieux.
Intriguée, je m'approche sur la pointe des pieds, prenant soin de ne pas effrayer l'animal. Je parle du chaton, hein.
Un sourire étire mes lèvres. Je m'accroupis lentement à ses côtés, mes yeux rivés sur la fragile créature. Ma main se tend vers elle, hésitante, douce.
Mais d'un coup, le chaton recule avec un petit sursaut apeuré.
— Trop chou... soufflai-je, incapable de cacher l'attendrissement qui m'envahit.
Et puis, je tourne la tête vers lui.
Il est toujours accroupi. Son expression est différente. Il caresse lentement le cou du chaton, sa main étonnamment délicate, presque... protectrice.
— Tu le connais ? murmurai-je.
Il garde les yeux rivés sur l'animal, comme s'il réfléchissait à sa réponse.
— Je l'ai vu pour la première fois avec toi.
Sa voix est plus basse que d'habitude.
— Il était aussi distant avec moi au début. Mais il a fini par s'habituer.
Son ton est calme, posé.
Je l'observe, fascinée par cette scène inhabituelle. Lui, le cynique, l'agaçant, le sarcastique, caressant un chaton tremblant avec une patience infinie. Un léger frisson me parcourt, mais ce n'est pas le froid cette fois.
Puis, il attrape ma main.
Sans prévenir, sans hésitation.
Je me fige.
Sa paume est froide contre la mienne. Lentement, il guide mes doigts vers la petite tête du chaton. J'ai à peine le temps de respirer.
Et cette fois, l'animal ne recule pas.
Il se laisse faire, acceptant mes caresses avec un faible ronronnement.
Un sourire involontaire étire mes lèvres. Mais lorsque je lève les yeux pour le lui dire, nos regards se croisent.
Et c'est là que tout bascule.
Il me fixait déjà.
Pas avec son habituel air moqueur ou désinvolte. Non. Son regard est intense, brûlant, insondable. Il me dévisage comme si je venais de dire quelque chose d'important, quelque chose qu'il ne comprend pas encore, mais qui le trouble.
Le monde semble se figer autour de nous.
Plus de sarcasmes. Plus de provocations. Juste nous.
Et pour la première fois, j'ai l'impression de vraiment le voir.
De voir au-delà de ses piques acerbes, de son détachement feint, de cette façade indéchiffrable qu'il arbore en permanence.
Je ressens un étrange vertige, une montée d'adrénaline que je ne sais pas expliquer. Ce regard, cette proximité, ce silence qui en dit bien trop...
J'ai envie de dire quelque chose. N'importe quoi.
Mais mes lèvres restent closes.
Et lui, il ne détourne pas les yeux.
Mais les voix de mes amies brisent soudainement l'instant, comme une gifle ramenant brutalement à la réalité. Je détourne aussitôt le regard, brisant ce moment étrange entre lui et moi.
En sortant rapidement des buissons, je les aperçois accourir, leurs sacs de shopping bondés de maquillage rebondissant à chaque pas.
— T'étais passée où ? On vous a cherchés partout, Tyler et toi ! s'exclame Addison en fronçant les sourcils. D'ailleurs, il est où ?
Avant que je puisse répondre, l'abruti émerge des buissons à son tour, et... je reste interdite.
Il ne porte plus que son t-shirt moulant, détail qui ne m'intéresse absolument pas, évidemment, et son sweat est soigneusement replié dans ses bras.
Puis un faible miaulement s'échappe du tissu.
— Pourquoi tu portes ton pull comme un bébé ? demande Cassie en s'approchant.
Elle plisse les yeux, hésitante, jusqu'à ce que le sweat bouge légèrement.
Un autre miaulement.
Cassie hurle.
Elle bondit en arrière comme si le sweat venait de se transformer en démon et se réfugie immédiatement derrière Addison.
— D'où... d'où vient ce truc ?! s'époumone-t-elle, les yeux écarquillés d'effroi.
— On l'a trouvé, ton cousin et moi, répondis-je, amusée par sa réaction.
— Quoi ?! Mais... Vous allez en faire quoi, merde ?! balbutie-t-elle, l'air absolument terrifiée.
Un sourire narquois étire les lèvres de l'abruti. Lentement, très lentement, il s'avance vers sa cousine, le sweat tendu devant lui.
— Tu veux le tenir ? propose-t-il innocemment.
Cassie lâche un cri strident et détale comme un lapin, provoquant notre éclat de rire général.
Enfin, nous quittons le parc. Cassie, déjà à l'abri près de la voiture, nous attend avec un regard assassin.
— Ce chat ira dans le coffre ! ordonne-t-elle en restant prudemment de l'autre côté du véhicule, comme si le chaton risquait de lui sauter dessus.
Tyler ne lui accorde même pas un regard et me tend son sweat avec une douceur surprenante.
— Tu seras devant avec moi, vu que Cassie refuse d'être près de Bazooka.
Je cligne des yeux.
— Bazooka ? répétai-je, interloquée.
De quoi... ou plutôt, de qui parle-t-il ?
Mais il ouvre déjà la portière du conducteur, me laissant perplexe.
Nous nous installons dans la voiture : moi à l'avant, toujours enveloppant le chaton dans le sweat, et mes amies sur la banquette arrière. La boule de poils se love immédiatement contre moi, ronronnant faiblement.
— Pourquoi tu le portes ? Tu vas choper des infections ! s'exclame Cassie, toujours aussi horrifiée.
— Cassie, tu peux la fermer ? Catherine n'aime pas le bruit, répliquai-je en sentant les tremblements du chaton sous mes doigts.
Un silence.
Puis un froncement de sourcils.
Je tourne la tête vers l'abruti, qui me fixe, un sourcil levé.
— Cath-quoi ? articule-t-il comme si le mot était une insulte. Ce chat s'appelle Bazooka.
— C'est une femelle, abruti, rétorquai-je sèchement.
— D'accord, dit-il en marquant une pause. Donc elle s'appelle Bazooka.
— Tu veux mourir, c'est ça ?
— Tu veux la traumatiser avec ton prénom de vieille dame ?
Je le fusille du regard. Il est sérieux, là ?
— Elle s'appelle Catherine.
— Elle s'appelle Bazooka.
— Catherine !
— Bazooka.
— Catherine.
— Bazooka.
— Je vais te frapper.
— Fais donc, mais elle s'appellera toujours Bazooka.
— Et toi, tu trouves ça normal de nommer un chat comme une arme de guerre ? m'exclamai-je, exaspérée par son entêtement absurde.
— C'est stylé.
— C'est débile.
— T'as des goûts éclatés, voilà tout.
— Ne critique jamais mes goûts, lâchai-je en croisant les bras.
— Et toi, n'essaie pas de m'imposer tes décisions.
— Moi ? dis-je en riant jaune. Parce que c'est pas exactement ce que tu fais là, peut-être ?
— C'est moi qui vais m'occuper d'elle, donc c'est moi qui décide.
— Pardon ?!
— Bah oui, c'est moi qui l'ai trouvée.
— Hein ? dis-je en fronçant les sourcils. Tu plaisantes, j'espère ?
— Pas du tout.
— C'est moi qui l'ai repéré en premier !
— Et alors ? dit-il avec un sourire qui s'élargit. C'est moi qu'elle préfère.
J'ouvre la bouche, outrée, mais Addison intervient avant que je puisse l'étrangler.
— Stop ! s'écrie-t-elle, exaspérée. Vous réglerez ça à l'appartement.
Je lance un dernier regard assassin à l'abruti avant de croiser les bras, vexée.
Le reste du trajet se fait dans un silence tendu, uniquement perturbé par les ronronnements paisibles du chaton.
Puis, d'une voix traînante, je murmure :
— J'ai pitié pour tes futurs enfants qui auront des noms aussi ridicules.
Il ne tarde pas à répliquer :
— Heureusement, tu n'en seras pas la mère.
Je serre les poings.
— Quant à la leur, continue-t-il, un sourire suffisant aux lèvres, je te promets qu'elle sera à mon goût et ressemblera à la splendeur du mot « magnifique ».
Je lève les yeux au ciel et me laisse tomber contre la vitre, exaspérée.
Mais n'importe quoi.
— ♠ —
Le bruit des fourchettes raclant les assiettes est la seule chose qui brise le silence du dîner. L'abruti a daigné réchauffer les spaghettis bolognaises qu'Ava l'avait laissés, et honnêtement, vu la quantité, je me demande si elle n'avait pas prévu de nourrir une armée en plus de nous.
Cassie, elle, est recroquevillée sur sa chaise comme si elle s'attendait à une attaque imminente. Ses genoux plaqués contre sa poitrine, elle jette des regards méfiants autour d'elle.
— T'as avalé un bâton ou quoi ? marmonne son cousin sans lever les yeux de son assiette.
— J'empêche cette chose de m'approcher, réplique-t-elle en serrant ses jambes un peu plus fort.
Je suis son regard et tombe sur la petite chatte, profondément endormie sur le canapé.
— Tu sais qu'elle dort, hein ? souligne l'abruti.
Cassie ne relâche pas sa posture défensive.
— On n'est jamais trop prudent, murmure-t-elle.
Je ne peux m'empêcher de soupirer.
— Tout ça à cause d'un chihuahua... ajoute son cousin, l'air blasé.
Cassie lui lance un regard assassin, mais moi, je redresse aussitôt la tête, intriguée.
— Attends, quoi ? C'est quoi cette histoire ?
Tyler esquisse un sourire en coin, ce qui ne me dit rien de bon pour Cassie. Il repose sa fourchette, s'adosse nonchalamment à sa chaise et commence à raconter l'anecdote avec une satisfaction cruelle.
À mesure qu'il parle, l'image mentale se dessine dans mon esprit : une Cassie terrorisée, pourchassée par une minuscule boule de poils surexcitée, grimpant sur une table dans un hurlement paniqué pendant que le chihuahua remuait la queue en bas, ravi de son effet.
Je hurle de rire.
— Non... Sérieusement ? haletai-je entre deux éclats.
— Je vous déteste tous, grogne Cassie en croisant les bras, vexée.
Mais c'est trop tard, l'ambiance est partie en vrille. Même Addison, qui ne connaissait pas l'histoire, a les larmes aux yeux tant elle rit.
Cassie finit par se lever précipitamment, probablement pour fuir notre hilarité à ses dépens. Elle débarrasse son assiette, jetant des coups d'œil furtifs vers la petite chatte toujours en train de dormir paisiblement, comme si elle s'attendait à la voir bondir d'un instant à l'autre.
Addison se lève à son tour, mais contrairement à Cassie, ce n'est pas pour fuir. Elle attrape son sac et son manteau, ce qui m'arrache un froncement de sourcils.
L'abruti et moi échangeons un regard, visiblement aussi perplexes l'un que l'autre.
— Vous allez où ? demandai-je.
— On te l'avait dit : chez Candace. On passe la nuit là-bas, répond Cassie en attachant son écharpe.
— Pardon ? lâche Tyler d'un ton tranchant. Tu m'avais dit que tu dormais ici.
Cassie évite soigneusement son regard.
— C'est ce que j'ai raconté à maman. Addison et moi allons dormir chez une pote, et je compte sur vous pour garder le secret.
Silence.
Je me tourne vers Tyler, curieuse de voir sa réaction. Il ne bouge pas d'un millimètre, sa fourchette suspendue dans les airs. Puis, lentement, il repose son couvert, lisse son t-shirt et lève sur Cassie un regard glacial.
— Ton secret, tu peux le mettre dans ta chatte, lâche-t-il d'un ton incroyablement calme avant de reprendre une bouchée de spaghettis. Si tes parents m'appellent, je leur dirai que leur fille a décidé de disparaître pour la nuit.
Je m'étouffe littéralement avec ma propre salive.
— Pardon ?!
Il m'ignore royalement.
Cassie, elle, blanchit.
— Oh allez, s'il te plaît ! supplie-t-elle, les mains jointes. C'est une soirée pyjama, et on a été invitées...
Tyler ne répond pas tout de suite. Il la fixe encore un instant, sans expression, avant de rouler des yeux et de lâcher un soupir résigné.
— Tss. Fais ce que tu veux.
Je cligne des yeux.
— Tu plaisantes ? Tu acceptes ça ? m'écriai-je, outrée.
— Elle me doit du chocolat après tout, répond-il, un sourire en coin.
— QUOI ?
Il hausse les épaules.
— On a passé un deal.
Je le fixe, incrédule.
— Et c'est tout ce qu'il faut pour acheter ton silence ? Une tablette de Milka ?
— Non, une boîte de Ferrero Rocher.
— Oh, mais bien sûr ! Oublions toute notion de responsabilité et d'intégrité pour une poignée de chocolats de luxe ! ironisai-je en levant les bras au ciel.
— Je savais qu'on finirait par se comprendre, répond-il avec une nonchalance absolue.
J'expire bruyamment et me tourne vers Cassie.
— Et moi, je reste avec qui, du coup ?
— Avec Tyler ! s'exclame Addison avec un sourire bien trop malicieux à mon goût. Je suis sûre que vous allez bien vous entendre.
J'ouvre la bouche pour protester, mais avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, elles détalent comme des voleuses.
— Bye !
La porte claque derrière elles.
Et tout d'un coup, un silence pesant envahit l'appartement.
La seule chose qui brise cette immobilité, c'est le léger bourdonnement de la télévision laissée allumée.
Je laisse mes bras tomber mollement sur la table.
— Super.
Pas de réaction. Tyler continue de manger comme si de rien n'était.
Je le fixe, attendant qu'il dise quelque chose, mais il n'a pas l'air décidé à faire le moindre effort.

If you knew [ EN CORRECTION ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant