- Anna !
Je sursautai et me dépêchai de remettre ma précieuse pochette dans sa cachette. Je n'osai imaginer ce qu'ils me feraient endurer si jamais ils apprenaient son existence. Et je ne comptai pas leur laisser le découvrir.
- Anna !
La voix se fit plus pressante et je frissonnai.
Il fallait que je me dépêche sinon j'allais me faire punir.
Je bondis sur mes pieds et époussetai mes vêtements. Je saisis mes lunettes que j'avais négligemment posées sur le sol et les mis en vitesse. Je dévalai les escaliers et ralentis vers la fin.- Ah, tu es là ! Dépêche toi ! Et regarde moi cette allure ! On dirait une paysanne.
Son visage était aussi glacial qu'à son habitude et ses yeux aussi froids que le blizzard. Mais j'avais l'habitude.
- Dépêche toi d'aller dans la cuisine ! Et attache moi ces cheveux de sauvageonne !
Je ne me le fis pas dire deux fois et disparus de sa vue. J'entrai dans la cuisine en reniflant gourmandement l'air.
- Anastasia chérie, tu as pleuré à nouveau, je me trompe ?
J'adressai un sourire rassurant à la femme rondouillarde qui me faisait face.
- Ne t'inquiète pas Martha. Je vais bien.
Elle m'entoura de ses lourds bras et enfuit ma tête dans son giron.
- Ma pauvre petite. Je voudrais pouvoir t'aider.
Je lui souris gentiment.
- Tu es là, c'est plus qu'assez ! Je ne sais pas ce que je serais devenue si tu n'avais pas été là.
- Hum. Hum.
Martha me lâcha précipitamment. Un homme d'une quarantaine d'années nous observait sévèrement.
- Tout attouchement est strictement interdit !
- Oh. Richard, ce n'est que toi ! dit Martha d'un ton soulagé en s'apercevant que c'était seulement le majordome.
- Ce n'est que moi mais imagine si cela avait été madame Chevalier ou le jeune Wittrock... Si tu tiens à garder ton boulot Martha, tu devrais être plus prudente. Et quand à vous, Mlle Chevalier, n'oubliez pas qui vous êtes...
Je baissai honteusement la tête.
Quand je relevai la tête, j'aperçus Richard sourire brièvement.
Il s'inquiétait seulement pour moi.
Je m'occupai de peler les pommes de terre tandis que Martha tranchait le rôti en fine tranche. Je laissai mon esprit vagabonder loin d'ici. L'image du héron volant au gré du vent me revint en mémoire. Je m'imaginai à sa place, ne faisant qu'un avec le ciel. La brise caressant mes plumes cendrées. Et tendant le bec vers le firmament, je me laisserai porter par les courants aériens. N'ayant que le ciel pour limite.
Je soupirai à nouveau. Martha m'adressa un regard chagriné.- Je vais bien, je t'assure !
Elle dodelina de la tête, peu rassurée.
Je coupai rapidement les pommes de terre en quatre. Mon ventre gronda et je mordis dans un bout de pain en cachette. Je fermai les yeux, profitant que Martha ne regardait pas dans ma direction. La boule dans ma gorge revenait, emmenant avec elle des larmes de solitude. Je battis des cils plusieurs fois avant de me donnais une contenance.
C'est ça, Anna. Continue de jouer le jeu !
Martha finit d'enfourner le plat dans le four et je saisi l'occasion pour me moucher discrètement dans un bout de papier usagé. Je ne voulais pas inquiéter Martha et encourir le risque qu'elle se fasse prendre en train de me montrer un intérêt maternel. Je savais ce qu'elle risquait. Je le savais mieux que quiconque.- Va vite te laver, le repas sera bientôt prêt !
Le pire moment de la journée allait arriver...
Je me levais, le souffle court. Je marchai jusqu'à l'entrée en pensant à ce qu'ils pourraient encore m'infliger pendant le diner. Dans la lune et déconcentrée, je ne vis pas l'obstacle et entrai en plein dedans.- Putain, t'es conne !
Je pouvais reconnaître cette voix entre mille. Suave comme le poison du serpent. Enjôleuse. Moqueuse.
Ô comme je haïssais cette voix !
Je sentis qu'on me poussa à terre. Je continuai à garder la tête baissée.- Regarde moi, grosse vache !
Je relevai la tête mais m'abstins de répondre à cet imbécile. Il se tenait, dédaigneux, une marche au dessus de moi. Ses yeux brillaient d'une lueur malveillante et son visage était éclairé par un sourire tordu que j'avais appris à craindre. Je retins ma respiration.
Qu'est-ce qu'il allait me faire ?
Je me recroquevillai sur moi-même prête à encaisser mais à mon plus grand étonnement, il ne fit rien. Il éclata simplement de rire et m'enjamba sans rien me faire. Je me redressai surprise.- Oh, ne crois pas que je suis devenu gentil. Je te manège seulement pour ce qui va arriver !
Il me décocha un dernier regard railleur et disparut dans le salon.
Ce qui va arriver ?
Qu'est-ce qu'il va m'arriver ?
J'avais vécu assez de temps avec lui pour savoir que ça n'augurait rien de bon. Je finis de monter les escaliers à toute vitesse et m'engouffrai dans ma chambre, au bord du malaise. Mais ce qui m'attendait dans ma chambre était bien pire. Une jeune fille était assise nonchalamment sur mon lit. Elle rejeta ses longs cheveux blonds en arrière et me dévisagea avec une moue hautaine.- Tu as mon devoir ? demanda-t-elle en souriant méchamment.
- Oui.
- Oui qui ?
- Oui, Mlle Wittrock.
Mon ton ironique ne lui échappa pas.
- Ne joue pas avec le feu, Anastasie ! Maintenant donne moi mon devoir !
Je baissai les yeux en geste de soumission mais intérieurement, je bouillonnai. Je saisis mon sac et en extirpai deux feuilles écrites à l'ordinateur. Je les lui tendis mais au lieu de s'en saisir, elle m'arracha le sac des mains et s'approcha de la fenêtre en souriant.
Et avant que je n'ais le temps d'esquisser un geste, elle vida mon sac par la fenêtre. Je courus à celle-ci et ne pus que regarder le contenu de mon sac se répandre sur le sol une vingtaine de mètre plus bas. Je reçus comme un coup de boule dans le ventre. Je me retournai et sortis de la chambre en courant sans un regard pour Désirée. Mais son rire exalté me parvint tout de même. Je bondis dans l'escalier et fonçai jusqu'à la porte d'entrée.- Où comptes-tu aller, Anna ? dit soudain une voix aigre dans mon dos.
- J'ai fait tomber un chose par la fenêtre et...
- Tu iras le récupérer après. Le diner va être servi.
- Mais...
Le regard froid qu'elle me lança refroidit mon tempérament et je déclarai :
- Oui, Mère.
- Ne t'ai-je pas dit plus tôt que tu ressemblais à une sauvageonne accoutrée ainsi ? Enfin soit, il est trop tard maintenant pour remettre de l'ordre dans ta tenue. Allons diner.
Je suivis cette dame que je devais appeler ''mère'' alors qu'elle n'était qu'une inconnue à mes yeux.
Une mère ne doit pas traiter ses enfants comme elle le fait. Une mère ne préfère pas les enfants des autres aux siens. Une mère est douce et aimante et non pas froide et inhumaine.
Je ne me souviens pas d'avoir été aimé par elle.
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Le subtil chuchotement de la liberté
General FictionQu'ai-je fait pour mériter une telle vie ? Mon père est mort quand j'étais petite et ma mère est la gouvernante d'une riche famille, les Wittrock. Je mène une vie d'esclave et de martyre dans leur magnifique château, victime des incessantes cruauté...