Chapitre 3 : interminable nuit

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Nous arrivâmes dans une salle richement décorée. Une longue table bien garnie occupait presque tout l'espace. Le couvert était mis pour cinq personnes. Trois chaises étaient déjà occupées. Un homme aux cheveux gris et en costume chic occupait la première, c'était le grand père paternel. Il avait décidé de faire une visite de courtoisie entre deux vols. Les deux autres étaient occupées par Désirée et son frère jumeau Léonardo. Ils étaient tous deux d'une beauté saisissante.

Je ne savais lequel, je détestais le plus.

Désirée et son port de princesse ou Léonardo et ses yeux verts glacials.
Ils étaient l'incarnation du mal. Les faces d'une même pièce taillée dans les forges des enfers.
Martha entra, poussant devant elle un chariot fumant. Elle commença à servir. Léonardo prit à lui tout seul la moitié des tranches du rôti. Et quand mon tour vint enfin, il ne restait plus qu'un ridicule morceau de viande marinant dans la sauce. Martha m'adressa un sourire désolé.

- Désirée, as-tu fini ta dissertation ? s'enquit ma mère.

- Oui, tout à fait. Je suis très fière de moi. C'était dure mais j'en suis venue à bout avec brio, répondit cette dernière en m'adressant un clin d'œil moqueur. Je pense que j'aurais encore 20...

Ils parlaient du devoir que j'avais fait à sa place...

- Mais je ne suis pas sure que ce soit le cas d'Anastasie... continua-t-elle avec une fausse moue inquiète.

Ma mère ne reprit pas Désirée sur mon prénom.

A quoi bon espérer l'impossible.

Ma propre mère ne m'appelait plus par mon prénom complet ; trop beau, trop aristocratique pour une fille comme moi.

Et puis pourquoi reprendre Désirée quand ce surnom me collait que trop bien.

Anastasie, la belle-sœur de Cendrillon...

Quelle ironie !

Une sorte de jeu de mot sur mon prénom.

Désirée avait trouver la blague à son gout et l'avais adopté pour toujours.

Je sentis mon cœur se serrer.

- Anna, tu n'as pas fini ton devoir ? lança ma mère cinglante.

J'allais répondre par l'affirmative quand je me souvins qu'il devait être quelque part dans le jardin, perdu à jamais.

- Presque, mentis-je.

Désirée souriait de toutes ses dents. J'éprouvai l'envie soudaine de lui faire faire avaler son devoir. L'image de cette dernière, s'étouffant avec les feuilles de papier, me fit oublier ma frustration et je mordis plus gaiement dans ma viande.

Le repas fini, je courus dehors.

Mais je savais au fond de moi qu'il était déjà trop tard.

Le ciel s'était assombrit et de grosses goutes tombaient sur le jardin, mélangeant terre et eau.

Je contournai la maison sur le chemin de gravier qui l'encerclait. J'aperçus ma trousse enfuie dans un des trois carrés de terre boueuse que le jardinier avait fraichement préparé pour planter des rosiers. Je me jetai à genoux, les cheveux dégoulinants d'eau. Je dégageai la trousse et la jetai sur les graviers.

S'il-vous-plait, faites qu'il soit là !

Je plongeai à nouveau mes mains dans la terre et la fouillai à la recherche de mon devoir. Je finis par le retrouver mais il était à présent illisible. J'étouffai un cri de colère et de peine. Je mordis dans mon poing pour tuer mon indignation dans l'œuf.

Le subtil chuchotement de la libertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant