Chapitre deux.

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Pénélope Featherington avait toujours trouvé meilleure compagnie en se perdant inlassablement dans ses bouquins. Elle ne s'était jamais sentie véritablement à l'aise en société, elle savait très bien que les gens ne la trouvaient pas intéressante. Elle avait, depuis aussi loin qu'elle se souvienne, eut l'impression d'avoir le mot « terne » gravé en grosses lettres sur son front. Et autrefois, cela l'avait profondément blessé. Mais désormais, elle n'avait même plus envie de se demander pourquoi puisqu'au fil des années, la question restée en suspens en son être ne lui importait plus tellement. La même phrase répétée par le tout-Londres lui avait amplement suffit. « Mademoiselle Featherington ! Je ne vous avais pas vu. », elle soupira alors qu'elle tenait maladroitement sa flûte de champagne de la main droite, sentant des picotements se manifester sur sa nuque. Comment pouvaient-ils ne pas me voir alors que je portais toujours du jaune ? Pensa-t-elle malgré elle.

Il était évident qu'au début, le tout lui avait semblé difficilement supportable puisqu'après tout, elle restait humaine. Elle était dotée de sentiments, d'émotions particulièrement présentes et surtout, d'un cœur ── bien qu'il fut brisé presque un an auparavant. Non, elle ne voulait pas penser à cela. Là n'était ni l'endroit, ni le moment. D'ailleurs, là ne serait jamais plus le moment.

Pénélope s'était rendue, ayant été forcée par sa maternelle, à la soirée qu'organisait Lady Danbury. Cette femme que la ville entière redoutait éveillait en elle un sentiment étrangement serein. Elle l'appréciait. Peut-être était-ce le tranchant qui émanait de ses mots, ou sa manière bien à elle de faire comprendre au monde entier qu'elle ne se laisserait jamais marcher sur les pieds. Elle voyait en elle un modèle, un exemple à suivre ── qu'elle ne suivrait jamais réellement puisqu'il était évident à ses yeux que son charisme n'était en rien aussi grand que celui de la dame d'un âge avancé ── et peut-être même une potentielle alliée. Les picotements à l'arrière de sa nuque se faisaient de plus en plus insistants, aussi se demanda-t-elle si quelqu'un l'observait. Elle secoua nerveusement la tête, c'était tout bonnement impossible et elle le savait très bien. Ses pensées retournèrent alors vers Lady Danbury.

C'était pour cette raison qu'elle avait cédé aux caprices de sa mère, Portia Featherington. Lady Agatha Danbury avait passé de nombreux moments avec elle, courts la plupart du temps mais cela lui suffisait largement. Elle avait même confié à la jeune demoiselle qu'elle appréciait réellement sa compagnie. Et le tout était évidemment réciproque. Alors, comment aurait-elle pu refuser de venir ici ? Elle était habituée à se fondre dans le décor, et malgré tout, cela lui avait servi à camoufler son secret mieux que personne n'aurait jamais pu daigner le faire.

──── Pen ! Entendit-elle soudainement, et elle manqua de flancher sous les yeux de tous.

Cette voix qu'elle connaissait parfaitement provenait de derrière elle. Ses lèvres s'entrouvrirent et elle faillit lâcher sa flûte. Colin Bridgerton était là. Comment ne l'avait-elle pas su ? Elle avait toujours eu la faculté de deviner sa présence sans s'en rendre compte elle-même, et voilà qu'elle n'avait pas même soupçonné une seule seconde qu'il pourrait être invité à cette soirée ? Et surtout, depuis quand était-il rentré à Londres ? Était-ce récent ? C'était une évidence, autrement elle en aurait entendu parler de la bouche de nombreuses demoiselles et ladies lors des soirées de la saison des bals. Elle soupira, silencieuse et soucieuse de ne faire aucun bruit pour lui infliger son indifférence.
Elle savait que si elle se retournait maintenant, elle croiserait le regard émeraude de celui qui avait brisé son cœur. Car oui, Colin était celui qui avait piétiné son palpitant. Et le pire dans tout cela, c'était qu'il n'avait même pas conscience de l'avoir fait. Depuis ce fameux jour, elle avait cessé de lui parler. Elle savait qu'il était parti pour un énième de ses voyages quelques semaines après ce fameux bal. Cette fameuse soirée. Et elle savait à peu près tout ce qui s'était passé pour lui puisqu'elle avait lu chacune de ses lettres. Elle n'avait su résister, qu'importe le nombre de fois où sa raison lui avait hurlé de les jeter sans même les ouvrir. Mais comme toujours, son cœur avait parlé et il s'était montré plus convaincant. Après tout, il lui avait toujours envoyé des lettres. Elle avait toujours eu l'habitude de les ouvrir et de les lire des dizaines de fois sans pouvoir respirer correctement, et encore moins s'arrêter de sourire. Et encore davantage, elle avait toujours profondément aimé lui répondre. Elle ne cessait jamais de sourire lorsqu'elle lui écrivait. Ce n'était que des mots, mais pour elle, cela avait toujours été bien plus. C'était la preuve qu'il tenait à elle. Ils étaient amis, comme il le disait si bien. Pénélope eut de nombreuses fois admiré des amis de toutes sortes. Et jamais ô grand jamais avait-elle souligné que des amis pouvaient s'écrire autant.
Et puis, ces paroles lui revinrent tel l'éclair qui s'était abattu sur son monde ce soir-là : « Êtes-vous fous ? Loin de moi de vouloir courtiser Pénélope Featherington. N'y songez pas, même dans vos fantasmes les plus extravagants, Fife. »

L'Incomparable de son cœur | BRIDGERTON Où les histoires vivent. Découvrez maintenant