Bruxelles, quelque part dans un futur si proche qu'on pourrait presque le toucher du doigt.
La station Simonis est déserte. Je suis dans l'angle mort des caméras de surveillance. J'ai ma clé en main depuis que j'ai quitté la rame de métro. Je descends un peu plus sur mes yeux la capuche de mon sweat-shirt. Je tourne la clé.La lourde porte en acier brossé s'est refermée derrière moi avec un bruit lourd de promesses. Je dis mon nom à voix haute. Ma propre voix me répond "authentification vocale en cours". Je sais pertinemment que si c'est ma propre voix qui me répond c'est que j'ai réussi l'authentification. J'ai programmé le système d'authentification.
"- Lumière."
Un concert de cliquetis se déroule au-dessus de ma tête. Un par un les néons prennent vie. La lumière se répand dans les moindres recoins de mon repaire secret. Les webcams publiquement accessibles partout dans les 19 communes envoient leurs images sur l'écran plasma que j'ai trouvé sur ebay, Sur mon bureau ikea trainent des produits de pharmacie. Lumi, le Hamster tourne gaiement dans sa roue. Le gaz que je lui ai fait respirer ne lui a fait aucun effet négatif. Il s'arrête à mon passage. Je lui donne des graines de tournesol. Je pousse sur un bouton et prononce quelques paroles dans un micro. J'y mets toute l'autorité dont je suis capable.
"- Ici le Baron Chlorhydrique. Je réquisitionne un agent de permanence pour nettoyer la cage de l'animal de test. Urgent.".
Je nettoie la cage de Lumi. J'ouvre un placard, je sors des bobines de fil, des aiguilles et mon costume, bientôt prêt. Je finis une doublure. Je fais le tour de mon repaire secret et je compte les extincteurs. Ils sont tous là. Je vérifie que mon lit de camp est prêt. Je vais passer la nuit ici, sous la station Simonis, dans une salle secrète dont tout le monde a oublié l'existence. Un jour, de cet endroit indétectable, je dirigerai le monde.
*
Je me connecte à l'adresse mail rejoinslebaronchlorhydrique@gmail.com Aucun message. Je me déconnecte. J'envoie un message à cette adresse depuis mon adresse à moi. Je me reconnecte. Le message que je me suis enregistré à moi-même est bien arrivé. Je l'efface. Je sors une boîte d'allumette de ma poche. Je gratte une allumette, je souffle, je la jette dans la poubelle à côté de moi. Je gratte une deuxième allumette, je souffle, je la jette dans la poubelle à côté de moi. Je sors une boîte d'allumettes de ma poche. Je gratte une troisième allumette, je souffle, je la jette dans la poubelle à côté de moi. Je suis calmé.
*
J'enchaîne les cuillères de céréales comme un robot. Mon bras et ma bouche connaissent le chemin. J'ai mis mon uniforme. Quand j'ai avalé la dernière céréale, c'est que l'heure d'aller au travail a sonné. Mon reflet dans le miroir porte un uniforme impeccable. Il inspire le respect et la crainte.
*
Je me trouve devant le feu rouge qui sépare la place de la Monnaie de la rue Neuve. J'ai un grattoir et de l'alcool de droguerie. Quelques minutes me suffisent pour détacher les autocollants qui prennent des positions politiques ou qui revendiquent cet espace au nom d'une bande urbaine. J'y applique un autocollant. Il est seul, il brille doucement. Les soldes commencent demain. Des milliers de personnes, peut-être même des dizaines de milliers verront mon message :
« Deviens un superhéros. Lutte contre le Baron Chlorhydrique."
L'illustration représente le signe de reconnaissance des agents du Baron Chlorhydrique : se pincer le lobe de l'oreille droit.
*
La lourde porte du boulot s'ouvre dans un petit bruit de moteur électrique. Je suis à l'heure pour prendre mon poste. Aujourd'hui, je ne vais pas tout de suite au poste de contrôle de l'unité 1 du village pénitentiaire de Haren. J'ai demandé et obtenu un parloir avec un prisonnier."-- Chef Bergen. Que me vaut l'honneur ? Une fouille surprise de ma cellule pendant un petit sermon sur la réinsertion, je suppose ?"Je déteste quand les gens m'appellent par mon identité de couverture. J'ai toujours envie de les étrangler à moitié et de leur hurler "Baron Chlorhydrique. Je suis le Baron Chlorhydrique. Appelle-moi par ce nom ou tu vas périr !" En général, je me contente de noter mentalement tous les renseignements que j'ai sur eux. Quand personne ne peut me voir, je note tous ces renseignements dans un petit carnet noir. J'ai déjà neuf carnets noirs et le dixième est à moitié rempli.La presse a beaucoup parlé des crimes de Ferdinand Charles et de son arrestation. La télé était présente à son procès. Il y a eu des photos au téléobjectif de Ferdinand Charles pendant la promenade. On a été obligé de louer des palissades de chantier et de les tendre de toile de plastique réfléchissante et opaque pour qu'il puisse faire sa promenade.Ferdinand Charles a semé le mal de Court-Saint-Etienne à Jambes. Pendant sa folle cavale en scooter électrique il a volé, tué, blessé, incendié. L'expression "à feu et à sang" a été inventée pour lui. On a parlé de lui comme d'un ennemi public numéro deux. Si quelqu'un peut faire sortir un superhéros de l'ombre, si quelqu'un peut donner l'envie à une même pure d'enfiler un costume et d'affronter le Baron Chlorhydrique, c'est bien lui.Je m'assieds en face de lui, je me pince le lobe de l'oreille droit. J'attends qu'il se pince le lobe de l'oreille gauche. Il se contente de me regarder en diagonale.
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Pulling a Bradbury
Short Story“Écrire un roman, c’est compliqué: vous pouvez passer un an, peut-être plus, sur quelque chose qui au final, sera raté. Écrivez des histoires courtes, une par semaine. Ainsi vous apprendrez votre métier d’écrivain. Au bout d’un an, vous aurez la...