L'action est à Schaerbeek qui est une partie de Bruxelles. La date exacte n'a aucune espèce d'importance.
L'autre jour, dans le journal, j'ai lu un entrefilet qui m'a fait penser à mon ami Clément.
Clément n'est pas un gars difficile. À côté de lui, Gandhi est un dragon dangereux. Il pourrait ramener le calme dans une manifestation qui a dégénéré. On s'était un peu perdu de vue. J'entendais parler de lui par les journaux. Dans les suppléments du samedi on parlait de ses maquettes minuscules, de son travail pour quelques longs métrages, du temps qu'il avait passé à reconstituer la petite ville de Retour vers le Futur sur la table de sa cuisine.
Il est passé plusieurs fois dans une émission du samedi matin sur le service public. Quand j'ai reçu un SMS de Clément un mardi, j'ai été tout surpris de penser à lui un autre jour que le samedi. Il me convoquait d'urgence au Saint-Hubert sans me dire pourquoi.
Le Saint-Hubert est une brasserie de quartier. La tenue du personnel n'est pas encore passée à la couleur. Justement, en entrant, il y avait un cercle de nœuds papillon noirs et de tabliers blancs autour d'une table dans un coin de la salle et aucun signe de Clément ailleurs. J'ai fini par obtenir de voir ce qu'il y avait au centre du cercle : Clément en train de pleurer silencieusement. Les larmes coulaient sur ses joues, se faufilaient dans sa barbe de deux jours et venaient former deux taches sur son t-shirt bleu. D'après le personnel, cette montée de larmes durait depuis une bonne demi-heure.
— Ce que vous avez de plus fort pour lui, une gueuze pour moi.
Le patron est sarde. Il est venu avec une bouteille d'un petit quelque chose qui n'est pas à la carte. L'étiquette est du modèle qu'on collait sur les cahiers d'écolier au moment de l'expo 58. Elle porte uniquement une date à moitié effacée. A l'intérieur le contenu est entre le liquide et le sirop. Sa robe a des reflets dorés. Le patron a rempli jusqu'à ras bord un verre-à-courage devant Clément qui le remarquait à peine.
— C'est pour la maison.
— Tu entends Clément ? « C'est pour la raison » alors tu me sèches ce verre cul sec et tu racontes le gros chagrin. Ne traîne pas trop, j'ai un site de vente en ligne à livrer fin de la semaine prochaine et je suis charrette.
Je ne sais pas ce qu'ils mettent dans leur bouteille en Sardaigne, mais ça lui a fait de l'effet à Clément. Il s'est redressé sur son siège, m'a regardé droit dans les yeux.
— Isobel
Et hop ! Il a recommencé son petit numéro de fontaine humaine. Un garçon a posé ma gueuze sur la table. J'ai envoyé le contenu du verre au visage de Clément.
— Une autre s'il vous plaît.
J'ai emmené Clément dans les toilettes pour le sécher et c'est là qu'il a fini par se déboutonner, assis sur un des deux trônes, pendant que je restais appuyé au sèche-mains soufflant.
— Isobel m'a quitté.
— J'avais supputé la nature de la catastrophe.
Clément a poussé un soupir cyclonéen.
— Attends un peu... C'est pas la nana dont tu m'avais parlé à la soirée chez François ? Celle avec les stagiaires finlandaises qui ont fini en culotte et que tu n'as même pas regardées ?
— Si.
— Elle a grandi ?
— Hein ?
— Tu la trouvais minuscule, tu disais que quand tu la tenais par le dos tu voyais son dessus de crâne, son nez, mais pas ses yeux.
— Non. De temps en temps, elle met des talons, mais elle reste minuscule quand même.
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Pulling a Bradbury
Storie brevi“Écrire un roman, c’est compliqué: vous pouvez passer un an, peut-être plus, sur quelque chose qui au final, sera raté. Écrivez des histoires courtes, une par semaine. Ainsi vous apprendrez votre métier d’écrivain. Au bout d’un an, vous aurez la...