Leila

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Un mardi après-midi du mois d'août 2009, je montais dans notre vielle voiture grise avec mon père, direction mon premier cours de taekwondo sous les encouragements de ma famille. C'était Faysal qui criait le plus fort, je crois qu'au fond de lui, il était un peu jaloux de toute l'attention qui m'avait été porté ! Le pauvre depuis qu'il passait ses matinées au kotab, il était un peu délaissé par le reste de la famille. En tout cas il y'en a bien une à qui cette attitude étrange n'échappa pas ! Memetti se rendit bien vite compte de la détresse dans laquelle se trouvait mon frère et lui donna en cachette un peu d'argent pour s'acheter une glace au coin de la rue.

Il faisait tellement chaud ce jour-là, je suais à grosse goutte dans mon dobok. Habillée ainsi j'avais l'impression d'être déguisé pour le carnaval. Cet habit me paraissait tellement incongru, le tissue neuf encore rigide me semblait deux fois trop grand pour moi et sa blancheur dénotais avec les routes poussiéreuses. Et dire que désormais la sensation du tissu épais sur mon corps me parait si naturelle, c'était devenu pour moi comme une seconde peau, un peu jaunie d'ailleurs. Il y'avait bien longtemps que mes doboks avaient perdu leur teinte immaculée. Mon tout premier dobok sur lequel était brodé au dos des signes en calligraphie coréenne ce qyu était plutôt courant en Tunisie me valut bien des railleries lorsque je débutais les cours en France. Je savais que j'étais arrivée au bon endroit quand mon père se gara devant le dojo qui n'était autre que le rez-de-chaussée de la maison encore en construction de mon grand-oncle. Je fus accueillie par les exclamations joyeuses de la femme de mon grand-oncle complètement métamorphosé dans son dobok que je reconnus à peine. Le cours avait déjà commencé et mon grand-oncle interrompit le cours pour me présenter à tous les élèves. Je ne savais plus où me mettre. Je me sentais si gauche, mes joues s'embrasèrent et je me mis à me tordre les mains tant j'étais gênée. Heureusement une fois les présentations faite l'entraineur à la musculature impressionnante, donna le signe de la reprise de l'entrainement. Il me confia à ma cousine âgée de quelque année de plus que moi. Il lui donna la mission ô combien importante de m'échauffer et de me présenter les exercices de bases.

Ce fut une catastrophe.

Ma cousine était certes beaucoup plus âgée et gradée que moi et était très prometteuse pour son âge mais elle manquait clairement de pédagogie. Elle était constamment chahutée par les autres élèves et leur répondait par des coups. Si bien qu'au bout de quinze minutes d'échauffement c'est à peine si j'avais fait une montée de genoux. Je devais malheureusement déjà rejoindre le reste du groupe pour continuer l'entrainement avec eux. L'entraineur voyant que notre duo n'était pas très au point et devant l'expression désabusée de ma cousine face à mon incompétence, il lui proposa de faire un combat avec sa rivale. Au moins, elle n'aurait pas l'impression d'avoir perdu son temps pendant cette séance. J'assistais à leur combat, émerveillée, tant d'énergie se dégageait de leurs mouvements, quelle souplesse et quelle technique ! Rim enchainait les coups de pied avec aisance. Sa queue de cheval fendait l'air lorsqu'elle envoyait des coups de pied retourné contre les tempes de son adversaire. La pointe des pieds frôlant le sol prête à dégainer à la moindre ouverture dans la garde de son opposante. Même avec mon regard novice je sentais qu'elle nous surpassait tous par son talent. Finalement ce fut Rim ma cousine qui remporta le match, j'étais si fière d'elle ! Lorsqu'elle posait le pied dans l'air de combat elle se métamorphosait, ce n'était plus la joyeuse personne au fort tempérament que je connaissais. Elle revêtait alors un masque de détermination la faisant paraitre sans pitié. Elle ne reculerait devant rien pour la victoire. Depuis ce combat, elle restera longtemps pour moi un modèle de réussite à atteindre et que j'aurais très certainement à .

Pour l'heure mon modèle s'était vu désigner comme porteuse de raquette par l'entraineur afin qu'elle puisse souffler après son intense combat. Elle avait ordonné à notre petit groupe d'élève de se placer en file indienne en face d'elle. Je m'étais trouvé une place au milieu de la file afin d'avoir assez de temps pour comprendre l'exercice que l'on me demandait en regardant faire les autres. Voyant la difficulté de l'exercice je décidais de laisser passer quelques personnes devant moi tout en ne lâchant pas la cible des yeux. Le premier élève vêtu d'une ceinture jaune à deux barrettes avait fait un déplacement vers l'arrière puis avait procédé à un changement de garde pour enfin frapper la raquette que Rim tenait fermement en la faisant claquer contre son pied. Le second avait oublié le petit saut vers l'arrière qui lui valut une petite tapette sur la cuisse. Une troisième élève cette fois une ceinture blanche, comme moi avait frappé le bout de la raquette non rembourrée avec le bout de l'orteil de toute ses forces pensant bien faire, mais elle réussit seulement à se faire extrêmement mal. Ma cousine avait pris ensuite le temps de lui expliquer qu'il fallait frapper la cible avec le dos du pied, sinon elle risquait de se blesser. Vint ensuite mon tour, je voulais réussir du premier coup et me prouver que moi aussi je pouvais y arriver. Je m'étais alors fait la réflexion déjà très lucide, si je laissais des gens être plus fort que moi dès maintenant comment pourrai-je figurer parmi les meilleure et gagner mon ticket pour les Jeux Olympiques ? J'avais mis à profit mon temps d'observation et cela m'avaient conduite à me concentrer sur la façon dont j'allais diriger mon pied pour frapper. Je devais également veiller à ce que je réalise l'exercice dans son entièreté sans oublier aucune étape. Le premier essai ne fut pas une très concluant, mon manque de souplesse me fit rater la cible. Lorsque j'avais retenté au tour suivant ce fut de force dont je manquais. Rim qui avait remarqué mes difficultés me révéla le secret que je suivais encore précieusement pour frapper un coup puissant. Tout résidait dans la rotation de la hanche que l'on accompagnait d'un kiap pour libérer toute l'énergie en nous en poussant un cri bref. Après quelques autres tentatives je réussi enfin par claquer sur la raquette un bandal tchagui digne de ce nom qui fit voler la cible à travers la pièce. Cela fit échapper quelques exclamations surprises aux élèves lorsque l'on sut que c'était la « petite nouvelle qui l'avait fait ». Plus humblement je pencherai plus pour l'hypothèse que le manque d'attention de ma cousine après dix minutes à faire le même geste répétitif d'armement du bras associée à ses mains moites et avait grandement contribué lui faire lâcher sa raquette.

La voie du pied et du poing- TOME 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant