La tâche noire.

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Ils me prennent pour une meurtrière. 

Je me sens déboussolée. Seule, des hordes de serpents enflammés virevoltent autour de moi. Je suis dépassée.

Ils tordent leurs corps sinueux dans un ballet macabre. L’air m’enveloppant était rougeâtre. On aurait cru voir les peintures de ma mère. Ses doigts s’agitaient sur la palette de façon frénétique, sa lèvre inférieure tremblait. La plupart du temps, je ne pouvais la voir que de profil ou de dos. Ses cheveux auburn s'ébranlaient, allant de gauche à droite puis de haut en bas. Énergique et délirante. Elle exposait son âme sous forme de peinture, l’ornant le plus souvent de simples Ara rouges, un animal très sociable et cajoleur avec qui il est facile de s’entendre. à son image. Elle aimait rendre son art plus vivant, badigeonnant le tout de couleurs chaudes. Puis elle saisissait un pinceau fin, et délimitait les contours des aras du reste de la toile avec des couleurs fraîches. Même lorsque les caractères des perroquets semblaient différents selon les toiles, je remarquais un détail commun à tous. La présence d’une tâche noire, abstraite et totalement brouillée. J’y distinguais une forme humaine, ou du moins bipède. Quand je lui demandais ce que cela signifiait, elle regardait autour d’elle, sans comprendre ma demande. Puis se recroquevillait sur elle-même, perdue, et déprimait.

 Maman sortait très rarement de la maison. Elle osait poser un pied à l’extérieur uniquement pour acheter des vivres, du bois, ou du matériel de peinture. Quand c’était le cas, j’aimais l'accompagner, mais sans savoir pourquoi, quand je venais, elle restait à l’extérieur encore moins longtemps que quand elle y allait seule, prétextant que c’était dangereux pour moi.

Alors qu’elle repartait sans moi, je la surveillais par la fenêtre, les gens la traitaient d'aliénée, d’intruse, et lui disait de m'abandonner. Maman ne l’a jamais fait. J’ai tant apprécié ce geste que ce jour-ci, quand elle était rentrée, je lui fis pour la première fois un câlin, alors maman s’est écroulée sur le sol.

Le corps et les tableaux de ma mère sont submergés par une mer de flammes. Je suis debout au milieu de la pièce, les bras ballants, le regard paisible.

Ils déclarent que j’ai tué ma mère.

Je dois sortir, alors je le fais. Je m’en vais chercher quelqu’un d’autre. Les passants hurlent à la mort en m’apercevant. C’est moi qui devrait le faire. Ils ont rabaissé cette pauvre femme tant de fois, qu’elle restait enfermée chez elle, tandis qu’ils se contentaient de l'observer brûler à petit feu.

Après s’être pris à cette femme, ils veulent s’en prendre à moi. Mais je ne suis pas comme elle. Elle se déchaînait à travers ses tableaux, toute sa rage se résumait en un cadre. Je me déchaînait explicitement, brûlant les malheureux se trouvant sur mon chemin.

Je me balade à travers le village. Gardant mes bras ballants et mon regard posé, je sens tout défaillir autour de moi

Ils me prennent pour une meurtrière. 

Je me sens déboussolée. Seule, des hordes de serpents enflammés virevoltent autour de moi. Je suis dépassée.

Recueil en tout genreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant