Chapitre 2

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Aylee

Dehors, le temps se déchaîne, comme s'il réagissait aux événements récents. La pluie battante martèle les fenêtres, les cimes des arbres sont secouées par un vent d'une rare violence. Postée devant la fenêtre du salon, je contemple cette scène sinistre, essayant, en vain, d'accepter qu'il n'est plus là. Mon parrain... mon sauveur. Ma main serre encore la lettre qu'il m'a laissée et dont je peine à assimiler les mots :

Ma douce Aylee,

Je ne pouvais pas me résoudre à te quitter sans t'écrire mes pensées les plus profondes. Je sais que tu m'en veux d'avoir baissé les armes mais tu comprendras également que je suis désormais heureux de retrouver ma tendre épouse et ma fille adorée. Aylee chéri, tu as été et resteras mon rayon de soleil. J'ai conscience de t'abandonner mais tu es une grande fille à présent. Tu es devenue cette femme si forte et courageuse que j'avais tant espéré et c'est le cœur meurtri mais l'âme en paix que je te laisse poursuivre cette magnifique aventure qu'est la vie. Tu trouveras dans cette enveloppe la clé de notre demeure qui te revient de droit. J'ai également pris la décision de céder le Ritz à Mack Reed. Fais-lui confiance, il remettra notre précieux hôtel sur pied et veillera sur toi et tous ses employés. Prends soin de ta mère et lorsque la vie te semblera trop lourde, n'oublie pas d'où tu viens et tout le chemin que tu as parcouru jusqu'à aujourd'hui.

Je t'aime plus que tout au monde,

Ton parrain Theodore

Tenir entre mes mains les derniers mots de l'homme qui m'a recueillie et aimée comme sa propre fille me déchire le cœur. Lui si aimant, si dévoué, avait ce don de m'apaiser face aux coups bas de la vie. Maintenant qu'il n'est plus là, je me sens seule et incomplète. Notre maison autrefois si chaleureuse et pleine de vie me paraît désormais froide et terne. Je balaye une dernière fois des yeux ce qui fut le berceau de mon enfance et de ma jeunesse et les souvenirs me sautent indubitablement à la gorge.

Je me revois à sept ans, assise au piano, jouant à ses côtés et riant aux éclats à chaque fausse note. Le parquet craque sous mes pas tandis que je m'avance vers le foyer où lui et moi avions l'habitude de nous installer pour lire des histoires. Je me revisualise son sourire radieux, ses yeux pétillants et sa carrure paternelle, éclairés par la douce lueur du feu crépitant dans la cheminée. Il était tellement beau, même luttant contre les innombrables séances de chimiothérapie et ce foutu cancer qui l'a emporté. Son fauteuil en velours rouge repose toujours devant la grande baie vitrée où il s'asseyait pour admirer son jardin. Il y avait planté des roses, des lilas et des tulipes. Depuis son décès, les mauvaises herbes ont pris le dessus, réveillant en moi un profond sentiment de culpabilité.

-Mademoiselle Levinski ?

La voix de l'agent immobilier me sort de ma torpeur. Son regard, mêlant désarroi et avidité, m'observe. L'état des lieux semble le satisfaire, il n'attend plus que mon signal. Je m'avance vers lui, dépose les clés de la maison dans sa paume, puis franchis le perron sans un regard en arrière. Je n'avais pas d'autre choix. Pour éponger les dernières dettes de l'hôtel de mon parrain, j'ai dû vendre ce que j'avais hérité de lui. L'argent récolté a permis de renflouer ses caisses et d'éviter la saisie. Du moins pour un temps. En attendant de trouver un nouveau logement, j'occuperai une des chambres de l'hôtel. Dans tous les cas, elles sont quasiment toutes inoccupées.

La crise économique n'a pas épargné la ville reculée de Cullen où mon parrain avait établi son bar-hôtel vingt ans plus tôt et où je travaille depuis plus de dix ans maintenant en tant que son bras-droit. Ce qui fut autrefois un franc succès n'est plus que déclin et délabrement. Les rares clients qui occupent les chambres chaque nuit ne suffisent plus à couvrir les factures, et je me demande comment son légataire pourra remédier à sa déchéance. Je ne connais pas ce fameux Mack Reed. J'ai d'ailleurs un pincement au cœur à l'idée que mon parrain ne m'ait jamais fait mention de lui. Un besoin viscéral me pousse à le rencontrer. C'est donc avec une appréhension mêlée de curiosité que je me rends maintenant sur mon lieu de travail.

Never get me [Dark romance]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant