I - José

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Le ciel est gris au-dessus de Mendoza. Les radiateurs fonctionnent. Mi-juin : six degrés.

-Passer l'hiver au Japon, changer d'hémisphère au printemps, retrouver l'hiver en Argentine, soupire Tooru en s'étalant sur le lit. Pas très réjouissant.

-Tu t'imaginais quoi ? Un soleil perpétuel ?

Il hausse les épaules en enfouit son visage dans le drap, ne me laissant plus apercevoir que l'arrière de sa tête et ses cheveux châtains.

Tooru. Jusqu'ici, il s'est bien acclimaté à l'Argentine. Honnêtement, je ne pensais pas qu'il me suivrait. Je n'imaginais pas qu'un lycéen soit prêt à sacrifier son pays, ses repères, son petit-copain, et à compromettre les liens avec sa famille et ses amis pour faire du volley-ball ; et qu'il ait accompli tout ça montre combien il est déterminé à réussir. Il promet d'être intéressant. J'espère juste qu'il ne sera pas trop collant.

Je me détourne pour reprendre ma contemplation du paysage urbain. La chambre d'hôtel est au sixième étage et offre une vue plongeante sur la ville. Je regarde les voitures circuler au-dessous, les boutiques alignées côte à côte, les panneaux publicitaires en espagnol -ça fait du bien de rentrer au pays après les mois au Japon.

Après avoir atterri, il y a deux mois, j'ai commencé par passer quelques jours à San Juan, le temps de retrouver ma femme et mes enfants, mes parents, mes repères ; puis il a fallu se mettre à la préparation de la Ligue mondiale, et je suis reparti à Buenos Aires pour retrouver l'équipe nationale. Je ne suis pas encore le coach principal, mais je suis là, dans le staff, j'attends mon heure, je sais que Javier ne restera pas éternellement et que je suis le mieux placé pour prendre les rênes de l'équipe à sa suite. Cela ne fait que neuf ans que j'ai pris ma retraite internationale en tant que joueur, après quinze ans passés dans l'équipe ; les adeptes de volley argentin doivent encore se souvenir de moi.

Le mois de juin a marqué le début de la compétition. Nous sommes d'abord partis aux Etats-Unis pour deux matchs, ce qui a mené à une stricte égalité ; puis, pour la deuxième semaine, on est redescendus au pays, ici à Mendoza, pour rencontrer celui qu'on appelle couramment le rival continental.

-Le Brésil était trop fort, soupire Tooru en redressant la tête, posant son menton sur ses paumes. Dommage qu'on ait perdu les deux matchs 3 – 0. Mais c'était un niveau de jeu incroyable...

Il est tout heureux que je lui aie fourni les billets pour regarder les matchs d'hier et d'avant-hier. Et en VIP, s'il vous plaît -mais bon, se les procurer était un jeu d'enfant, et Tooru méritait une petite récompense pour son investissement ici. Nous ne sommes pas très loin de San Juan, l'aller-retour pouvait se faire aisément sur la journée ; mais j'ai poussé les choses à lui offrir la chambre d'hôtel en plus. J'ai passé la première nuit avec l'équipe, dans notre propre hébergement, mais j'ai rejoint Tooru hier, tard dans la soirée. J'avais envie de baiser après le match. Et Tooru était visiblement heureux de me recevoir.

-Peu importe les poules de qualification. Comme c'est nous qui accueillons les phases finales, on sera qualifiés quoi qu'il arrive. Là, on s'occupe surtout de tester des combinaisons et de voir ce qui fonctionne pour performer en juillet. Même si hier et avant-hier, on a surtout vu ce qui ne fonctionnait pas...

Tooru s'assied en tailleur au milieu du lit défait :

-N'empêche, on n'était pas loin. Hier, le deuxième set, on les tenait. Perdre 25 – 27, c'est quasiment faire jeu égal...

-Et le troisième qu'on perd 13 – 25 ?

Je regarde les piétons en contrebas, mais je ne les vois pas. Les images du match d'hier défilent en boucle dans ma mémoire.

IkaroiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant