II - Tooru

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Ça y est. Je suis officiellement Argentin. Le soleil est à moi.

J'ai envoyé les papiers pour renoncer à ma nationalité japonaise hier, lorsque j'ai reçu la notification du ministère -puisqu'il est interdit de la cumuler avec une autre. Mes parents et ma sœur m'ont félicité, mais je pense qu'au fond, ils sont un peu tristes. Et moi aussi, je dois avouer que ça me fait tout drôle. Mais bon, ça fait trois ans que je vis ici. J'ai pris mes repères. Mon avenir, c'est l'Argentine.

D'ailleurs, la saison de volley en club reprend ce week-end, les 13 et 14 novembre avec deux matchs à Buenos Aires contre la Ciudad et Moron. Est-ce que San Juan va acquérir son septième titre consécutif de champion argentin ? J'espère bien. Surtout que cette saison, je prends enfin le poste de passeur titulaire. Autrement dit, le plan que j'ai suivi à partir du jour où j'ai décidé de suivre José Blanco en Argentine fonctionne parfaitement. Ne manquent plus que la sélection en équipe nationale, et les titres qui iront avec...

-A la tienne, Tooru, dit justement le coach en levant son verre.

Toute l'équipe l'imite, et je sens la fierté embraser mes joues. On s'est tous réunis dans un restaurant, après l'entraînement, pour fêter ma naturalisation, et je me sens bien au milieu de mes coéquipiers et du staff. Evidemment, je ne suis pas insensible au fait que ce soit José qui ait porté le toast, pas insensible non plus -jamais- à ses yeux pâles posés sur moi.

-C'est une super nouvelle, Tooru ! s'écrie Leonel, le libéro. Maintenant, tu vas pouvoir jouer en bleu à San Juan et avec l'Argentine ! Les Japonais vont te regretter. Hein, coach ?

-Très certainement, sourit José.

Je suis sur mon petit nuage ; mais je redescends légèrement lorsque mon voisin, Martin, me prend le bras :

-Tiens, en parlant de l'équipe japonaise. Je t'avais dit qu'à la fin des Jeux, un de tes amis de là-bas te cherchait ?

Un de mes amis ? De l'équipe nationale japonaise ? Je ne peux pas vraiment dire que j'y ai des amis...

-Il ressemblait à quoi ?

Parce que si c'était Ushijima, j'espère que tu l'as bien envoyé se faire foutre.

-Un gars, tout jeune, avec des cheveux noirs et l'air un peu paumé.

-Oh.

Je bois une gorgée de vin. Tobio. J'ai beaucoup pensé à lui, ces derniers temps, après notre entrevue au Maracanãzinho ; j'ai failli lui envoyer un message, lui ne m'en a pas envoyé, et je me suis dit qu'on reprendrait nos vies respectives, et que ce serait d'autant plus facile maintenant qu'on a eu une discussion apaisée. Un achèvement tardif mais serein. Sauf que non. Je me sens toujours troublé à la pensée de son visage et de son corps, adultes à présent, de l'envie que je ressentais de le toucher, du souvenir de ses mots tellement candides, alors tu ne reviendras pas.

-Il voulait quoi ?

-Rien, juste savoir si t'étais là.

Il voulait me revoir ? Peut-être qu'il avait des choses à me dire ? Purée, Martin, t'aurais pu me dire ça avant, ça m'aurait peut-être décidé à lui envoyer ce message. Mais bon, il serait toujours aussi inutile, vu que maintenant on a deux nationalités distinctes. Ça me frustre. Pourquoi je pense à Tobio alors que je sais très bien qu'on n'a plus d'avenir tous les deux ?

Je me ressers du vin. J'en buvais jamais, au Japon, mais maintenant c'est dans mes habitudes ; merci José. Lui aussi a l'air de beaucoup boire, ce soir, et les gars s'amusent de le voir un peu éméché. Je me dis qu'il a d'autant plus de chances de finir la nuit avec moi.

IkaroiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant