UN AN AVANT TOI... LE CHOIX

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INÈS 


À l'adolescence, j'aurais aimé que quelqu'un me dise :

 « Ne laisse personne se servir de toi, Inès. Tu mérites d'être aimé. »

 « Sois toi-même, au lieu d'être ce que les autres attendent de toi. »

 « Aime tes rondeurs, Inès. Tu es unique. Magnifique. N'aie pas peur et fonce. »

 « Il n'y a pas qu'un seul modèle de fille qui plaise. Les goûts sont tellement diversifiés... »

 « Ose dire ce que tu aimes, et à l'inverse, n'hésite jamais à dire ce que tu n'aimes pas. »

      Mais surtout, j'aurais aimé qu'on me rappelle que, dans la vie, on a le droit de dire « non ».

     Je me suis souvent demandé, quel genre de vie j'aurais eu, si je l'avais fait. Si j'avais osé mettre mes limites. Peut-être que je n'aurais pas eu le coeur sur le point de se fracturer juste avant de quitter le lycée.

     Et puis, à cette époque, il y avait cet instrument que je pratiquais depuis l'âge de trois ans et qui était devenu une vraie plaie.

     Pourquoi ? Pour le savoir, faisons un retour dans le passé : 

     En fait, quand j'étais gamine, assise derrière mon violoncelle qui me protégeait presque comme une armure, il y avait moi. Puis, il y avait la musique. Je jouais comme je respirais. Et je respirais pour jouer.

 Calme. Telle une petite flamme qui réchauffe, illumine et parfois... vacille.

     Puis un jour, l'adolescence m'est tombé dessus et j'ai commencé à m'éteindre. À avoir envie de disparaître, mais c'était quasi impossible de le faire, parce que celle qui m'avait mise au monde contrôlait chaque minute de mon existence.

     Quelques années plus tard, à quinze ans, je pouvais déjà dire que j'avais passé la majeure partie de ma vie sur scène. Donc, avoir les projecteurs braqués sur moi, c'était la routine, en quelque sorte. Tout d'abord, parce que ma mère m'inscrivait à pratiquement tous ces événements. Ensuite, parce que je souffrais en silence sous toute cette pression qu'elle me mettait sur les épaules, ces horaires de dingue où elle me réveillait en pleine nuit pour que je pratique mon violoncelle, ses critiques perpétuelles, et j'en passe.

     À cause de son intransigeance, je devais constamment décliner les invitations de mes amies. Je n'avais aucune vie sociale en dehors de l'école. Et c'était finalement devenu une corvée de pratiquer six à dix heures par jour, sans avoir la possibilité de souffler.

     J'étais épuisée. Moralement et physiquement.

     Mais le pire restait à venir : plus je mangeais mes émotions — seul plaisir qu'il me restait —, plus il devenait impossible de cacher ma fragilité derrière mon instrument. De camoufler mes formes, derrière ses formes.

     Malheureusement, pour ajouter à mon malheur, un vent qui se nommait médias sociaux venait de souffler dans ma direction.

     Premièrement, j'ai regardé la vidéo que ma mère avait mise en ligne. À ce qu'on dit, il n'y a pas de pires juges que soi-même.

     J'ai sursauté sur ce crescendo un peu trop intense, mordu ma lèvre sur la note un demi-ton trop bas, tapé du pied lorsque j'ai accéléré à la cent dixième mesure, grimacé sur ce double menton qui est apparu vers la fin, puis j'ai fermé les yeux quand j'ai vu un bourrelet déformer ma robe lorsque j'ai salué le public.

BULLY IN LOVEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant