S'ENVOLER OU RESTER DANS L'OMBRE ?

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INÈS 

     La dernière fois que j'ai vu Liang (Jay) Wang, j'avais le visage joufflu et des bourrelets généreux. C'était sans compter les cernes noirs sous mes yeux qui soulignaient ma fatigue et mon état d'abattement.

 Ce jour-là, nous étions tous les deux dans un des couloirs du lycée où il n'y avait pas un chat et j'étais mal-en-point. C'est à peine si j'ai trouvé l'énergie de lui dire ses quatre vérités et de le traiter de trou du cul, que je me suis évanouie.

 Si Liang Wang m'a oublié pendant ces cinq dernières années, de mon côté, je n'ai pas cessé de le détester pour ce qu'il m'a dit et surtout, ce qu'il n'a pas fait lorsqu'il a eu l'occasion d'agir.

 Accepter de fréquenter cette école en sachant qu'il s'y trouve revient pratiquement à sauter dans un bassin remplis de requins, sans savoir nager.

 — Inès !

 Le regard de mon petit frère Jules s'illumine dès que j'entre dans la maison.

 — Tu veux voir mon nouveau camion de pompier ?

 — Bien sûr !

 Jules m'entraîne dans la salle de jeux où il me tend son nouveau jouet pour que je m'extasie, ce que je m'empresse de faire. J'adore ce petit bonhomme plein de vie qui sait comment chasser mes idées noires.

 — Waouh ! Il est cool ton camion !

 — T'as vu ? Les portes s'ouvrent sur le côté, s'exclame-t-il tout en me faisant la démonstration.

 Je m'assois et le prends sur mes genoux quelques secondes avant que Carmen n'entre dans la pièce avec son ventre énorme de femme enceinte de jumeaux, et le dos courbé exagérément vers l'arrière. Je me dis que si elle continue, elle va faire le pont, comme une gymnaste...

 — Bonjour Inès ! me salut-elle, le souffle court. Ta rencontre pour ton inscription à l'Académie s'est bien déroulée ?

 Hum ? À part le fait que leurs attentes envers moi semblent exagérées et que j'ai retrouvé la dernière personne au monde que j'avais envie de voir ? Bof...

 Incapable de mentir à ma belle-mère, je me contente de hocher la tête et de détourner les yeux.

 — Tu sais où se trouve Emma ? demandé-je pour changer de sujet, tout en balayant la pièce du regard.

 — Aux dernières nouvelles, elle boude dans votre chambre parce que la tête de sa poupée est encore tombée. Je n'ai pas eu le temps de la réparer et je crois bien que, cette fois, je vais devoir acheter de la colle pour la maintenir en place.

 — Zut ! Je vais aller en acheter avant le dîner.

 — Merci ma chérie ! En passant, ton père est allé chercher ton violoncelle chez le luthier. Tu savais qu'il était évalué à au moins, vingt milles dollars ? C'est dingue ! Je vais devoir informer nos assureurs...

 — Ah oui ? Désolée... Dis-lui que je vais payer pour les frais d'ajustement et aussi pour l'assurance.

 Je me garde de dire que j'étais au courant. En reléguant l'instrument dans un coin aussi obscur de ma mémoire, que l'endroit où je l'avais laissé, j'avais complètement oublié son existence.

 — Ne t'en fais pas avec l'argent. Tu ne demandes jamais rien. Pour une fois que ton père et moi pouvons t'aider. En attendant, si tu cherches ton violoncelle, il est en sécurité dans mon bureau. Je ne voudrais pas que les enfants jouent avec un instrument qui a autant de valeurs.

BULLY IN LOVEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant