Gyurza - la bratva Volkov - tome 1 [en correction pour autoédition]

Chapitre 9

Alyssa

Ma stratégie s'est en partie retournée contre moi. Je croyais m'être bien préparée en réalisant ma fresque murale. Je ne pensais pas que le maître des lieux viendrait si tôt constater la nature de mon défi. Je me suis laissée surprendre dans la salle de bains. Ce n'est pas le scénario que j'avais envisagé. J'imaginais creuser avec lui les raisons de ma présence entre ces quatre murs, lui montrer du doigt à quel point il est inutile de me retenir prisonnière si je ne connais rien des agissements de mon mari. Or, il revient sans cesse sur le seul sujet qui l'obsède.

Ce qui s'est passé dans cette chambre est tellement étrange, tellement troublant. Cet homme est un mur de béton dont j'ai entrevu la faille. Je sais à présent comment l'atteindre. J'ai senti son désir contre mon ventre, je l'ai vu dans ses yeux, sur son visage marqué de coups comme s'il s'était battu. C'est un pari dangereux que je ne peux pourtant pas occulter. J'ai si peu de recours à ma disposition.

Mais j'ai surtout obtenu ce que je souhaitais le plus depuis que je suis prisonnière. Mon fils va bien. Je me raccroche à cet infime espoir. La date sur la vidéo était celle d'aujourd'hui. Leslie le conduisait à son école de Pearl District. Elle est sur le chemin de l'entreprise dans laquelle elle travaille. La secrétaire de direction de News Technologies, tirée à quatre épingles, chignon parfait, tailleur beige intemporel de chez Margaret O'Leary s'est accroupie devant mon petit Jordan. Il a passé ses bras autour de son cou pour l'embrasser. Il lui a souri. La vidéo n'avait pas de son, je ne sais pas ce qu'ils se disaient. Je la hais de me voler mon fils et à la fois de m'être aussi indispensable.

Seulement voilà, ce court moment de bonheur a un prix. Je dois révéler à ce gangster les conversations auxquelles j'ai assisté entre mon mari et son binôme. Grayson et Duncan sont toujours restés discrets en ma présence. Ils s'enfermaient dans la petite pièce qui sert de bureau à mon mari lorsqu'ils voulaient parler travail sans témoins. Je comprenais leur réserve, elle était légitime, je ne m'en suis jamais formalisée. Je n'ai surpris qu'une seule fois ce que je n'étais pas censée entendre. Je l'avais oublié, car cet échange remonte à quelques semaines et aucun danger n'est survenu dans ma vie pour me le rappeler. Jusqu'à mon enlèvement. Puis-je en révéler le contenu à mon kidnappeur sans trahir les services de police ?

Un coup frappé à la porte me tire de ma réflexion. Une politesse à laquelle mes ravisseurs ne m'ont pas habituée. La clé tourne dans la serrure. Une femme entre, munie d'un carnet et d'un stylo. Ce n'est pas Tatiana. Elle inspecte la pièce d'un coup d'œil sévère. Son regard passe sur ma fresque murale et s'y arrête. L'art ne semble pas entrer dans ses centres d'intérêt. Elle s'avance jusqu'à moi sans me porter la moindre attention. Elle est assez grande, coiffée d'un chignon haut, entièrement blanc. Son physique disgracieux la rend antipathique au premier abord. Elle ne doit guère séduire les quelques hommes sains et vigoureux que j'ai pu voir passer dans le couloir chaque fois que ma porte s'est ouverte.

— Je m'appelle Svetlana, m'annonce-t-elle en se tournant enfin vers moi.

Je suis agréablement surprise. Son anglais est impeccable, dépourvu de cet accent russe qui parasite parfois la compréhension de certains mots.

— Je suis ici pour noter vos désirs sur la composition du dîner de ce soir et la tenue que vous souhaitez porter.

— Le dîner ?

— Ne tergiversons pas, s'impatiente-t-elle. Je dispose de peu de temps pour commander votre robe et convenir d'un repas selon vos goûts.

Je suis assise sur le lit, les jambes croisées, les deux mains posées sur mon genou. Je ne sais pas comment réagir. Mon kidnappeur compte me recevoir à dîner quelque part dans la maison, dans un cadre privé, c'est évident. Une pointe d'inquiétude aiguillonne ma confiance en moi. Cependant, je suis prête à tout pour assurer la sécurité de mon enfant.