Adieu, souvenirs

Colocation

     — Papy ! Quelle bonne surprise !

     Surpris, le vieil homme lève un sourcil face à la réaction de Ruben. Il était juste parti se promener, ce n'est pas comme s'il était en voyage.

     Ruben se met debout à l'aide des béquilles, puis se place à côté de Matt.

     — La promenade était belle ? Tu nous ramènes des plantes ? Tu viens on part regarder ?

     Fabrice est un peu perplexe.

     — Euh, c'est juste des herbes aromatiques, quelques champignons comestibles et des plantes pour mes infusions.

     — Comme c'est fascinant ! Allons dans la cuisine ! Tu sais que j'aime voir tes trouvailles ! Attends, je vais t'aider.

     Il sautille jusqu'à lui, pour l'inciter à entrer dans la cuisine, mais ce dernier retourne à son observation de l'inconnu. Trop curieux pour bouger.

     — Tu ne me présentes pas ton ami ?

     Ruben se fige, ce n'était pas prévu. Embêté, il fait volte-face mécaniquement, comme si les paroles de Fabrice ne lui étaient pas destinées. Matt par contre, reste fixer sur le vieil homme. Il ne l'a pas quitté des yeux une seule seconde, il commence à le ressentir. Fabrice se montre méfiant.

     — Ami ? Quel ami ? Oh, cet ami là ? Oh c'est personne, tu dois sûrement te souvenir de lui. Tu sais, mon pote que tu connais déjà.

     Le vieil homme se dit qu'il prend de l'âge, mais il a encore toute sa tête. Il s'en serait souvenu s'il lui avait présenté ce garçon. Trouvant le comportement de son petit-fils assez étrange, il prend l'initiative de poser des questions.

     — Bonsoir, jeune homme. Je suis le grand-père de Ruben. Je connais toutes les connaissances de ce petit monstre, mais je n'ai pas souvenance de vous avoir déjà croisé par ici. Si ?

     Matt sort de sa pétrification et voit là une occasion en or. Le premier contact dont il a toujours rêvé ces trois dernières années, après une recherche difficile à travers le monde. Monsieur Chastain est enfin là, à sa portée, plus vrai que nature. L'ombre qui n'a cessé de hanter les coulisses de sa famille est juste là, réellement là.    

      L'homme qui a littéralement détruit sa vie est juste devant lui.

     Son regard court depuis la chevelure grise, jusqu'aux rides profondes qui marquent le contour de ses yeux et de ses lèvres, mais surtout, Matt s'attarde sur la comparaison entre ce vestige du passé et l'image de lui que son père a gardé depuis tout ce temps. Ils sont loin les cheveux longs, maintenant ils sont courts. Sa silhouette mince a laissé place à un peu d'amas de graisse. La beauté androgyne est devenue banale et se fondrait facilement dans une foule, même si la volupté de sa jeunesse reste aussi visible que le sourire sincère qu'il lui renvoie en cet instant. Oui, Fabrice Chastain n'est plus le très beau jeune homme blond qui faisait rêver son père.

      Il est à présent un bel homme de son temps, qui vit une vie paisible dans une maison en pierre, loin de la cohue des grandes villes, dans un environnement sain et équilibré.

     D'un seul coup, toutes les idées et les questions qui étaient sur le point de franchir ses lèvres se meurent à la porte de ses lippes. Matthew se retient.

     Une lourde pierre s'écrase contre ses certitudes et sa détermination légendaire. Il ne trouve pas les mots adéquats pour s'adresser au français, il est livide.

     À deux doigts d'atteindre son objectif, la raison de tout cet investissement, il se braque et se demande si ce qu'il s'apprête à faire est réellement utile. C'est la première fois qu'il ressent cela, de la pudeur.