Adieu

95 19 5
                                    

- Tu penses vraiment que je vais te croire ?

- Je sais que c'est un peu précipité, mais je n'ai pas le choix, Fabrice, répond-il de son accent américain très prononcé.

- «Fabrice» ? Maintenant c'est mon prénom et non «baby» ?! Tu te ramènes comme une fleur pour m'annoncer ton départ pour ce soir, alors que tu m'avais juré de dire la vérité à tes parents et rester ici, avec moi, pour fonder une famille !

- Tu crois que je ne l'ai pas fait ? s'énerve le brun.

Choqué, Fabrice se braque, vient-il de lever la voix sur lui ?

Emprunt de remords, son amoureux se rue sur lui et l'enlace très fort contre lui. Le châtain, à la mâchoire anguleuse et la silhouette fine, se dégage agressivement de ce garçon à qui la nuit dernière il a donné sa première fois. Cette nuit de magie, censée démontrer ses sentiments sincères pour le plus jeune, a laissé place à un lendemain cauchemardesque. Son âme est blessée et trahie. Comment ose-t-il ? Comment ?

Après tout ce qui s'est passé entre eux et les belles paroles chuchotées au pied de leur palmier préféré, théâtre de la séduction et du rapprochement des jeunes hommes. Fabrice est anéanti.

- Ne me touche plus ! hurle-t-il.

Éventré par ce rejet, Nolan balance toute sa frustration sur les verres de vins que Fabrice avait réservé pour fêter son coming out. Son «Lover» l'attendait dans son petit appartement de fortune, fiévreux de pouvoir se réunir à nouveau à son âme sœur, amoureux comme jamais. Les deux coupes se brisent contre le mur, tels des morceaux de son cœur.

En miettes, pourra-t-il le recoller ?

- J'ai essayé ! J'ai réellement essayé ! Mais tu ne comprends pas ! Ma mère a fait une attaque cardiaque et mon père est en colère ! Il dit que s'il lui arrive quoi que ce soit, j'aurais sa mort sur la conscience. J'aime ma mère, je dois rentrer la retrouver, je t'en prie écoute-moi !

- T'écouter ? Et moi dans tout ça ? Mes parents m'ont mis à la porte ! Tu crois que je n'ai pas une mère aussi ? M'as-tu seulement demandé si elle me manquait ? Ne me parle pas de choses que tu ne connais pas ! Tu n'es qu'un lâche ! Un sale lâche !

- Baby, please.

- Tu m'as utilisé et maintenant tu te cherches des excuses ! Va-t-en ! Va-t-en !

- My love, don't hate me ! I'm begging you !

- SORS ! SORS !

Hystérique, Fabrice ouvre sa porte branlante avec fracas, une douleur lancinante à la poitrine. Dénué de toute logique, impossible à calmer, il pousse Nolan avec ferveur. Le plus robuste des deux résistent au début, mais au finale, il se laisse faire. À quoi bon ? Il sait que Fabrice n'est pas raisonnable pour le moment.

Le plus âgé le jette dehors, se précipite sur le peu de vêtements qu'il a apporté depuis qu'ils sont installés ensemble, les ramasse et les balance sur lui.

- Va te faire f*utre !

- Tu sais que je t'aime, arrête ça.

Fabrice attrape les babioles que le brun lui avait offert au fil des mois, puis les verse à ses pieds, hurle des insultes, plus blessantes, les unes que les autres. Nolan ne l'a jamais vu ainsi, il est perdu. Il sait que ce voyage n'est qu'un prétexte, il sait qu'il ne reviendra peut-être pas, il sait que son amour a raison, il est lâche. Un vrai lâche.

Dans une dernière once de volonté, brisé par la mine dévastée de Fabrice qui pleure dans le sofa en lambeaux, il laisse tomber ses vêtements et approche du pauvre homme à pas prudent. La chaleur et la joie de vivre qui ont toujours émané de lui ont disparues. Cet être fragile et hystérique, cette âme inconsolable, c'est son œuvre, c'est de sa faute. Lorsqu'ils se sont aimés la veille, il pensait que c'était la meilleure chose qui ne lui soit jamais arrivée, il se croyait invincible et capable de soulever les montagnes pour son français. Qu'est-ce qui a changé ? Pourquoi ce revirement ?

C'est lui le monstre. Oui, c'est bien lui. Mérite-t-il vraiment un homme tel que Fabrice ? A-t-il vraiment le droit de prétendre à son pardon ? Nolan essuie machinalement la larme naissante, il n'a pas le droit de pleurer, il n'a pas respecté sa part de promesses, il l'a trahi. Fabrice s'est montré à lui tel qui ne l'avait jamais fait auparavant, il s'est mis à nu, corps et esprit, juste pour les yeux bleus du New Yorkais. Que lui offre-t-il en retour ?

La peine.

Aussi douloureux que cette décision soit, il ne peut plus revenir en arrière. C'est sa mère ou c'est Fabrice. Il contemple le futur sous ses yeux une dernière fois, puis virevolte et lui dit Adieu, d'une voix cassée, il s'effondre en larmes en fermant la porte en douceur, il laisse son bonheur derrière lui.

Adieu.

Ce mot transperce Fabrice au plus profond de ses entrailles, plus jamais il ne pourra aimer comme il l'a aimé. Jamais. Nolan a choisi de renier leur bonheur, c'est tout ce qu'il retient du garçon qui lui a volé sa vie et sa virginité : La lâcheté.

Adieu, Nolan.

🎭

Adieu, souvenirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant