Lucifer
Me voilà de retour à New York, après je ne sais même plus combien d’années, ça ne m’avait pas manqué pour tout dire, je préfère de loin mon imposant loft de la campagne. Mais si je suis ici, c’est pour une excellente raison, il ne faut pas que je l’oublie.
Une fois mon avion atterrit, je me suis empressé de récupérer mes bagages et de trouver un Uber, chose compliquée dans cette ville de merde où tout le monde marche sur tout le monde. J’ai de la chance en arrivant sur le trottoir d’en repérer un qui attend sagement un client, je saute dessus, dépose mes valises dans le coffre et monte sur la banquette arrière. Après avoir indiqué la direction à prendre, je m’installe confortablement sur le siège.
J’aurais très bien eu la possibilité d’appeler un taxi ou bien un chauffeur de mon entreprise situé ici, mais je préfère rester discret sur mon arrivée. J’ai un bref détour à faire avant de me rendre chez moi où m’attendent Lake et Cam. Tous deux, mes amis et collègues.
Le chauffeur me dépose devant un bâtiment tout en pierre avec une enseigne lumineuse indiquant « Maniax ». Je reste quelques minutes devant pour fumer une clope, une fois mon mégot jeté au sol, j’avise la pancarte qui indique l’établissement fermé. Je ne m’en formalise pas et je pénètre dans une salle chauffée. Éclairé par des néons rouges tout le long des murs, face à moi, se trouve un immense bar accompagné d’une vingtaine de tabourets. Plusieurs imposantes tables et canapés noirs m’entourent. Ce serait mentir, de dire que ce bar est minable. On s’y sent tout de suite à l’aise, la chaleur et l’odeur de café nous invitent à prendre place.
Une jeune femme se tient derrière le comptoir la tête penchée sur son téléphone. Lorsqu’elle m’entend arriver et que ses yeux me rencontrent, je la sens désorientée. Voyant qu’elle ne prend pas la parole, je me lance et je lui demande un café.
D’abord pas tellement d’accord avec cette idée, je prends place sans son autorisation et sors mon téléphone pour feindre l’indifférence. À l’intérieur de moi, un combat a débuté entre l’ange et le démon.
Sa bouche pulpeuse, ses longs cheveux bruns qui cascadent sur ses épaules et surtout ces yeux si bleus qu’un simple regard suffit pour plonger dans la plus belle des mers. De ma position, je n’ai pas la chance de pouvoir reluquer son corps qui me semble à croquer.
J’essaye de gagner son attention et surtout de ne pas lui sauter dessus. Elle semble ailleurs. Ces jolies dents qui mordent sa lèvre inférieure ne font qu’augmenter le feu en moi.
Elle finit par me poser une simple question qui répond à toutes les miennes.
— S’est-on déjà rencontré ?
Mes yeux se saisissent des siens.
— Je ne crois pas. Je ne viens que très rarement.
Je lis du scepticisme dans son regard
— J’ai pourtant l’impression de vous avoir déjà vue quelque part.
Je lui explique que je ne viens pas souvent ici, seulement quelquefois pour conclure un marché.
Investisseur dans le divertissement, je suis amené à bouger partout et surtout tout le temps.
Elle est déstabilisée et j’aime ça. Pas qu’elle soit vulnérable, car une femme ne mérite pas de se sentir soumise à un homme. Mais parce que chez elle ça dégage quelque chose qui me donne envie de la protéger plus que les autres.
Je tiens à laisser le mystère planer dans sa tête, la laisser douter de ce qu’elle a sûrement vu.
Maintenant qu’elle est au courant de mon existence, je peux partir tranquillement.
— Merci, mademoiselle, et peut-être à bientôt. Qui peut savoir, peut-être, que vous allez rêver de moi
J’imagine son beau visage étonné lorsque je quitte le bar sans attendre de réponse.
Une fois à l’extérieur je téléphone à Asmo, mon chauffeur, et lui demande de venir me chercher au Central Park, une petite balade ne me fera pas de mal. Pendant que je marche dans cet immense espace verdoyant, je réfléchis à la façon dont je vais pouvoir rentrer dans sa vie. Sans parler de ce qu’elle possède et dont j’ai besoin, cette femme est d’une beauté singulière, ses longs cheveux bruns, son corps aux formes parfaites, ses superbes yeux verts dans lesquels tout homme doit se perdre. Perdu dans mes pensées, je n’ai pas entendu mon téléphone sonné, quand j’avise l’écran, je remarque cinq appels en absence. Trois de Lake et deux de mon chauffeur, je rappelle le second lui indiquant ma position. Lake attendra, je me dépêche de gagner la voiture une fois dedans, je lance l’appel avec mon ami.
Deux tonalités suffisent avant qu’il me réponde en hurlant.
— Putain, mais tu branles quoi ??
— Bonjour, mon cher, comment vas — tu ?
— Lucifer, je ne rigole même pas avec toi, tu devrais être là depuis déjà une bonne heure, les trois représentants sont là, et ils exigent de te voir !!!
C’est toujours aussi calme que je lui réponds.
— Fais-les attendre. Je suis dans la voiture avec Asmo, je ne devrais plus tarder. Tu n’as qu’à leur offrir un de mes whiskys, les connaissant, ça les occupera.
Je raccroche sans avoir entendu la réponse de mon associé, les trois représentants ?
Trois vipères qui ont toujours souhaité me voir pourrir au fond d’un trou. Qu’est-ce que ça veut bien dire ? Ils ne se déplacent pas sans raison, la malédiction n’a lieu que dans six mois. Ces six fichus mois qu’il me reste dans la peau d’un homme avant de faire une boucherie.
Le trajet me paraît court perdu dans mes souvenirs, je me remémore la dernière visite qu’ils m’ont faite il y a un siècle à quelques jours prêts.
1923
Je peine à me souvenir de cette nuit. Ma transformation en démon a dû avoir lieu et j’ai une idée de ce que j’ai été en mesure de faire. Quand j’avise mes mains remplies de sang séché que je touche mes cheveux et mon visage, je sens des croûtes, des morceaux gluants. L’odeur ferreuse du sang m’enivre malgré la situation. Je suis heureux, contrairement à la dernière fois, je ne suis pas nu au milieu des bois et je n’ai pas non plus de cadavre devant moi. Que s’est-il passé cette fois-ci ? D’où provient tout ce sang à l’odeur métallique ?
Avec du mal, je me lève de mon lit et pars directement à la salle de bain pour un bon nettoyage. L’eau s’écoule lentement dans une couleur pourpre, elle m’hypnotise. La douche expédiée, j’enfile une chemise et un pantalon. Pieds nus, sur le sol froid j’avance dans ma vaste demeure, je passe devant la chambre des domestiques, la porte est entrouverte, je trouve ça bizarre. Elles ont l’habitude de la fermer.
Je continue mon chemin et descends les escaliers. Une odeur ferreuse telle que le sang me parvient beaucoup plus fort que dans ma chambre. Je l’ignore et poursuis. Arriver sur l’avant-dernière marche, je me statufie. Devant moi, les corps de tous mes domestiques, certains déchiquetés, d’autres à moitié dévorés. Un amas de chairs dégoulinant laissant apercevoir un morceau d’intestins avec sûrement son dernier repas qui en sort. Je peux reconnaître Martha, ma cuisinière. Son corps est disposé dans une acrobatie qui ne laisse aucun doute sur la douleur qu’elle a dû ressentir. Sa colonne vertébrale pliée en deux, plusieurs de ses côtes transpercent sa peau. À côté d’elle, se tient Jack mon majordome, un homme pour qui j’avais un respect absolu. Il se trouve maintenant avec deux membres en moins, le ventre ouvert en deux laissant ses organes à découvert. Son sexe totalement arraché est enfoncé dans sa bouche, je me retiens de justesse de vomir à la vue de ce qui représentait ma famille.
Sans avoir la capacité de m’en apercevoir, les trois représentants des enfers se tiennent au milieu de ce K.O, dans leurs longues toges noires, un capuchon ample sur la tête.
Ils s’expriment tous les trois en même temps, avec la même intonation, ce qui donne la plupart du temps des frissons. Âgés de plusieurs milliers d’années, nous devons les respecter. Que dalle. Ce sont des démons pourris jusqu’à la moelle qui ne vivent que pour détruire les êtres qui leur sont inférieurs. Ce qu’ils s’évertuent, de faire avec moi, mais sans grande réussite.
— Lucifer, mon cher.
Je me méfie de tant d’amabilité.
— Bonjour à vous, dis-je en me penchant pour un salut.
— Tu sais pourquoi nous sommes ici, mon ami ? Tu as eu ton changement cette nuit, à ce qu’on peut deviner sur ton visage sans même entrer dans ta tête. Tu ne te souviens de rien, pas vrai ?
Je n’ai pas besoin de jouer les étonnés, car la remarque est juste.
— Et bien... Non, effectivement je ne me souviens pas, je viens de découvrir mon carnage.
Le ton de mon interlocuteur monte d’un cran.
— Cela ne peut plus durer !!! Tu détruis tout à chaque fois. Ça finira par attirer les humains, nous ne pouvons plus le permettre.
À mon tour d’élever la voix.
— Très bien, mais, que voulez-vous, que j’y fasse ? Dites-moi ! Je n’ai pas de descendance, cette malédiction restera mienne. Donc avec ou sans Le Bokmål je continuerai de régner sur les enfers.
Même si je pense qu’ils y sont pour quelque chose dans sa disparition. Cette malédiction se poursuit de génération en génération. Cent ans de répit pour une nuit de KO qui pourrait détruire le monde. Grâce au Bokmål, une pierre aussi rouge que le feu, la transformation est minime et je suis beaucoup plus facile à contrôler. Ils aimeraient me réduire à néant, mais ils n’auront jamais ce plaisir.
— Soit, et bien, trouve-le !!! Nous te laissons cent ans de plus mon ami, un siècle qui te permettra de le retrouver !
Sans rien ajouter, ils se volatilisent dans un nuage de fumée, comme ils sont arrivés.
Je suis fichu, à moins d’un miracle, je suis perdu. Non seulement j’ai perdu tous les miens, mais en plus de cela, je vais être contraint de retrouver cette foutue pierre. Bordel quelle merde !Le chauffeur me dépose devant l’imposante porte de mon loft, un immense hangar aménagé en logement, munie d’une immense cuisine ouverte sur le salon/salle à manger une mezzanine constituée de quatre chambres. J’ai des goûts simples et épurés dans les tons beiges. J’aime que tout soit parfait, je suis de nature très ordonnée.
Je pénètre à l’intérieur et à peine un pied dans l’entrée, je me retrouve entouré de mes deux amis Lake, un grand blond musclé et complètement con, le stéréotype parfait du gars populaire et sportif, Quant à Cam c’est le rigolo de la bande, petit, roux et balaise en informatique. Amis depuis longue dates, nous avons emménagé ensemble et créé notre entreprise chacun ayant son rôle.
— Ha, bah ! ce n’est pas trop tôt me lance Lake.
Je me retiens de lui casser deux doigts pour sa façon de s’adresser à moi et l’ignore.
— Je sors ! soit vous venez avec moi, soit vous restez ici.
Cam et Lake se contentent de hocher la tête et d’aller se préparer. En attendant, j’appelle Asmo pour qu’il nous attende devant. Je pars me changer, enfiler un jeans noir, une chemise blanche et c’est parti. Cam est le premier à m’adresser la parole depuis la visite des représentants.
— Où vas-tu ?
Avec un immense sourire aux lèvres, je lui réponds :
— J’ai ma petite idée. Allons à la recherche de cette foutue pierre.
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Autant emporte le sang.
ParanormalEt si les mythes existaient ? Et si Lucifer n'était pas si mauvais ? Sera-t-elle voir au-delà de son monde et l'aider à vaincre cette malédiction ? Tout n'est pas forcément écrit dans les légendes.