Chapitre 5 : où Drisberg commence à raconter son histoire

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- Inutile de m'appeler sire, mon cher. Seul Ghib continue à le faire et, croyez-moi, ce n'est pas faute d'avoir essayé de l'en dissuader. Pour vous, Rakyam suffira. À moins bien sûr que vous préfériez "Souverain des terres du Nord et des mers du Nord" mais j'ai cru comprendre que les gens trouvaient cela un peu long...

Ghib lança un regard mauvais vers le vieil homme, comme pour le dissuader de prendre Rakyam au mot et de l'appeler par son prénom. 

- Pour ce qui est de cette histoire d'allumette, reprit Rakyam, je vous propose un marché. Voyez-vous, bien que je me réjouisse de votre curiosité, je ne crois pas que le sujet soit absolument prioritaire. Aussi je propose que vous me contiez d'abord tout ce que vous savez de ce mystérieux mage à la capuche pourpre. Je vous promets qu'ensuite je répondrai à toutes vos questions sur les allumettes, bien que je craigne que vous soyiez un peu déçu...

Drisberg parut penser un instant puis sourit, s'éclaircit la gorge et entama son récit.

- Bien. Tout d'abord, sachez que ce mage a un nom. Ou non, en fait il en a plusieurs, comme le veut la règle pour les mages formés au phalanstère. Nous avons évidemment notre nom de naissance mais, à notre entrée au phalanstère, nous nous choisissons un nom de mage et n'utilisons plus notre nom de naissance que dans notre tête, jamais à voix haute, pour lancer nos sorts. D'ailleurs, un mage qui connaît le nom de naissance d'un autre mage peut avoir sur lui un grand pouvoir. Il est très dangereux de communiquer son véritable nom.

- Donc Drisberg est votre nom de mage ?, demanda Ghib.

- Exactement. Et--

- Pardon, coupa Switello, mais j'ai une question : ton nom de naissance, tu l'utilisais avant d'entrer au phalanstère, non ? Vous y entrez à quel âge ?

- 8 ans.

- Donc pendant tes huit premières années, tu utilisais ton nom de naissance. Un mage qui voudrait le connaître pourrait juste envoyer quelqu'un dans ton patelin pour demander aux gens, non ? Et est-ce qu'il est jamais arrivé que des gamins originaires du même patelin se retrouvent au phalanstère en même temps ?

- En fait non, je n'utilisais déjà pas mon nom de naissance avant mes 8 ans. Chez nous c'est le rêve de tous les parents d'envoyer leurs enfants au phalanstère donc ils sont parfaitement conscients de ce risque précis et ils sont très prudents. Ils vous donnent un nom à la naissance mais en fait ils ne l'utilisent jamais. J'ai même connu des cas de pères qui ne connaissaient pas le nom que leur épouse avait choisi pour leur enfant.

- Alors ils vous appellent comment dans la vie de tous les jours ?

- Avec encore un autre nom.

- Un troisième nom ?

- Un deuxième nom, disons. Le troisième étant plutôt celui qu'on se choisit à l'entrée au phalanstère.

- Et toi, c'était quoi ton deuxième nom ? Ils t'appelaient comment tes parents ?

- Moi ? Drisberg.

- ...

- ...

- On peut dire que tu t'es pas trop creusé la tête pour te trouver ton nom de mage.

Rakyam, qui commençait à perdre patience, claqua des doigts pour rappeler le vieil homme à son récit.

- Je disais donc que ce mage a plusieurs noms. Mais son nom de mage, qui est le seul que je connais, est Zkull. Je crois que ça veut dire "croque-mitaine" dans le patois de sa région. Zkull vient de l'Est, d'un village des baronnies cendrées. Il n'y a pas vraiment de tradition magique là-bas, du moins pas dans le sens où nous l'entendons nous, mais ses parents sont morts quand il était enfant et le chef de son village, qui ne réussissait pas à localiser d'autres membres de sa famille et n'avait aucune envie de s'occuper de lui, a entendu parler du phalanstère par un marchand itinérant et, apprenant que c'était gratuit si on réussit le test d'entrée, l'a envoyé là-bas avec rien d'autre que les vêtements qu'il avait sur le dos. Six semaines de marche à travers les forêts et les montagnes, quand même. Il est arrivé à la porte du phalanstère complètement affamé et frigorifié, tremblant comme une feuille, comme Switello maintenant...

- Oui bah ça va. Je suis du Sud, je te rappelle.

- Je m'en souviens bien parce que ce jour-là j'étais de corvée sur la tour Nord, avec une vue prenante sur le pont-levis. C'était à moi de nourrir les corbeaux de la tour. Bref, Zkull n'avait sans doute pas eu la force de faire sonner la cloche de l'autre côté des douves. À bout de force, il s'était écroulé là. Il était si petit et couvert de neige,  on le voyait à peine. Mais à un moment un corbeau s'est envolé. Puis un autre. Et encore un autre... Et je les ai vus aller se poser sur ce qui avait l'air d'être juste un petit tas de neige. Ca m'a un peu intrigué, je me suis avancé sur le chemin de ronde pour voir un peu mieux, et c'est là qu'un des corbeaux s'est mis à déblayer un peu de neige avec une aile et que j'ai discerné une tache rouge...

- Du sang ? Il était blessé ?, s'enquit Rakyam.

- Non. C'était sa capuche. À l'époque déjà il portait des capuches pourpres.


Les Contes de la Geôle ImmondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant