Rakyam secoua la tête, consterné.
- Et je suppose que le livre auquel, grâce à vous, Zkull avait maintenant accès, ne parlait pas uniquement de l'art d'immobiliser un adversaire ou d'allumer des bougies ?
- Non, reconnut Drisberg. À ma connaissance, il n'y a pas de livre sur l'allumage de bougie. J'ai beaucoup cherché mais il semblerait que la magie ne peut faire apparaître aucun des quatre principaux éléments, ni le feu, ni l'air, ni l'eau, ni---
- Vous lui avez carrément donné le livre ?
- Oh non. D'abord, je lui ai proposé de lui montrer ce que j'en avais tiré. On se retrouvait de nuit, dans une cour déserte et envahie par les ronces dans laquelle j'avais aménagé une sorte de cercle d'entraînement avec des cibles, des miroirs, un trapèze... Mais, assez vite, il a insisté pour voir le grimoire. J'ai fini par l'amener et ni une ni deux, il a utilisé le sort que je lui avais appris pour m'immobiliser et me voler le grimoire. Il a disparu en me laissant là, dans cette cour perdue où j'étais sûr que personne ne me retrouverait avant plusieurs décennies...
Switello leva les mains au ciel, comme pour dire : "si seulement !"
- Mais, continua le vieux mage, au bout de quelques jours le sortilège perdit de sa force et je pus progressivement retrouver mes mouvements. J'étais affamé, assoiffé et tous les membres de mon corps me faisaient un mal de chien mais j'ai réussi à me traîner vers les bâtiments principaux. Mais...
- Mais ?
- ...
- Drisberg ?
Le vieil homme reprit son récit, la voix tremblante :
- Mais je fus accueilli par une vision d'apocalypse. Des cadavres amoncelés ici et là, du sang partout et le château en ruines.
Le silence retomba un moment dans la cellule.
- Le phalanstère, en ruines ?, bredouilla Ghib. Comment est-il possible que nous n'en ayons pas entendu parler ? Quand cela s'est-il passé ?
- Il y a au moins trois décennies. Et vous l'ignorez car, après l'avoir détruit, Zkull l'a reconstruit avec les Grands Maîtres à sa botte. Seul moi sait ce qui s'est passé. C'est un peu pour cela que je suis là. J'ai passé les trois décennies suivant cette hécatombe à me cacher aux quatre coins du royaume et lui les a passées à me traquer, jusqu'à ce que ses hommes finissent par me mettre le grapin dessus dans une taverne de Citkoyel où j'étais sur le point de m'embarquer pour les Mers du Sud.
- Mais pourquoi ne vous tue-t-il pas ?
- Parce qu'il ne le peut pas. J'ai encore quelques cartes dans ma manche, même si je sais que j'ai l'air d'un vieil imbécile...
Ce fut au tour de Switello, pourtant jusqu'ici surtout habitué aux commentaires sarcastiques, de poser quelques questions :
- Quelle taverne ?
- Le Franc-Collier, répondit aussitôt le vieillard, dont il avait manifestement piqué la curiosité.
- Et tu allais embarquer sur quel bateau ?
- L'Armadello.
L'insolence de Switello s'était soudainement mué en contrition sincère.
- Drisberg, je suis désolé... C'est moi qui t'ai vendu.
Le vieil homme, décidément jamais à court de surprises, posa un regard bienveillant sur Switello et se métamorphosa soudainement en un homme bien plus jeune, d'une quarantaine d'années, aux cheveux roux hirsutes et aux yeux bleus perçants, de petite taille mais aux épaules larges et au torse épais.
- Je sais. Et je te pardonne. Nous sommes maintenant exactement où nous devons être.
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Les Contes de la Geôle Immonde
FantasíaDepuis leur cachot perdu au fond des souterrains qui s'étendent sous la forteresse du tyrannique Prince Orphelin, cinq prisonniers se racontent tour à tour qui ils sont et comment ils se sont retrouvés en si fâcheuse posture.