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Fatiguée, je me concentrais sur le match qui se jouait à couteau tiré au centre de la Narbonne Aréna. Je ne comprenais pas mieux le volley que deux semaines plus tôt, mais j'avais sous les yeux l'aboutissement d'un travail acharné. Les équipes vainqueures des différents établissements qui avaient joué le jeu étaient là. Et j'avais même pu inviter Audrey avec sa puce.

La fête battait son plein, les tribunes tapaient dans les mains au rythme de la musique et des chants d'encouragement résonnaient d'un bout à l'autre de la grande salle. Une ambiance grisante qui me donnait de l'énergie.

C'était un match de derby, Sète contre Narbonne, le genre d'affiche qui remplissait déjà l'Aréna dans nos vies d'avant. Tout aurait pu garder ce goût de normalité si en bas des tribunes et dans nos dos, en train de patrouiller, ne se trouvait pas les militaires.

Bastian était là aussi, je n'avais appris son prénom que grâce à des commérages, puisque durant nos brefs échanges il s'était toujours présenté comme le « militaire du volley ». Son groupe était assigné à la sécurité des joueurs. Je n'avais pas eu l'occasion d'échanger avec lui aujourd'hui, mais l'avoir qui furetait dans mes angles morts me mettait les nerfs en pelote.

La foule levait les mains en rythme pour célébrer un point spécial, un ace, quoi que ça ait voulu dire.

— J'y comprends toujours rien, soupirai-je.

— Tu vas avoir d'autres missions, non ? me demanda Audrey.

— Le nouveau maire veut que je continue à dynamiser la ville en passant par le sport, la culture et les établissements scolaires. Puis, même le match de hand a déjà eu lieu, le match du RCN n'est pas encore passé, je dois gérer jusque-là. Donc je crois que j'ai plutôt intérêt à apprendre les règles de tous ces sports.

Samuel était présent dans la tribune VIP, il semblait beaucoup s'amuser, je me demandais encore comment il faisait pour agir si normalement alors qu'il prenait ses ordres directement des démons. De Yeqon.

Parfois, il fallait éviter de penser à certaines choses de peur de les conjurer alors qu'on les craignait, car je le vis apparaître entre deux rangées. Des cris de surprise accompagnèrent son arrivée. Samuel garda son attitude joyeuse et le rejoignit en faisant des gestes apaisant aux personnes près de lui.

— C'est normal ? s'inquiéta Audrey.

— Je ne sais pas. Il avait dit que s'il pouvait, il reviendrait pas.

Je ne pouvais m'empêcher de fixer ses yeux lumineux qui prouvaient qu'il était un déchu - même si pour moi c'était tous des démons à cause de leurs aspirations. Le regard des déchus était tout de même le pire, avec des yeux qui brillaient, impossible de sonder leurs intentions, ce qui les rendait encore plus flippants.

Il tourna sa tête vers moi, fit un sourire dédaigneux et me montra ses iris d'un vert saisissant, mais surtout, rempli de colère. Non seulement il captait mes pensées, mais en plus sa visite ne lui plaisait pas. Une sueur poisseuse gagna mon épiderme.

Après un bref entretien, Samuel descendit les tribunes pour aller parler au staff qui gérait les écrans et les lumières. La musique s'arrêta, le match fut stoppé aussi, la salle plongée dans le noir, comme les écrans. Le speaker nous demanda de rester calme et d'attendre.

Une boule oppressante se nicha dans mon estomac, ça me rappelait le décompte mondial affiché sur tous nos écrans qui avaient annoncé la fin de la vie d'avant et le retour à « l'ère de la raison » pour reprendre les mots des démons.

Dans mon dos, j'entendis Bastian donner des ordres, lui aussi pressentait une catastrophe arrivée.

Certains enfants se mirent à pleurer, l'air s'était alourdi, l'angoisse sourde de chacun exsudait de chaque pore.

NaïveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant