Nous étions plongés tous les deux dans une obscurité totale. J'avais senti la main d'André prendre la mienne et la serrer très fort. Je la serrai à mon tour en guise de solidarité. A deux, on a moins peur.
— Merde ! s'était-il exclamé juste avant, nous voilà dans le noir, maintenant. J'ai bien peur que les piles de ma lampe ne se soient déchargées.
— Et je ne sais pas ce qu'est devenu la mienne. Probablement ensevelie dans l'éboulement de la grotte, avec mon sac à dos et mon arme de service, d'ailleurs.
— Nous voilà bien !
— As-tu peur ?
— Oui.
— Moi aussi. Alors on va continuer de parler tous les deux. Cela nous rassurera et nous occupera. D'ailleurs, j'ai encore beaucoup de choses à dire, et l'obscurité est propice aux confidences, cher cousin.
— Cher cousin ? Pourquoi donc m'as-tu appelé « cher cousin » ?
— Parce que je suis sûr qu'il existe un lien familial entre nous.
— Comment ? Tu dérailles ! L'air des souterrains ne te réussit pas !
— Non, je suis très sérieux. et je pense que c'est le moment de te dire certaines choses qui me semblent importantes. Je n 'ai pu, de par ma fonction, te dire ce que je savais, et te parler comme à un membre de ma famille, car je n'en avais pas le droit. J'étais un policier avant tout. L'exercice est d'ailleurs devenu de plus en plus difficile, d'être à la fois le policier qui enquête et celui qui a un lien familial supposé.
— C'est pour cela qu'au départ, tu m'as traité comme un suspect et que tu as pris ton air sévère de flic ! Tu m'as beaucoup impressionné, tu sais ?
— J'étais bien obligé ! Maintenant, il faut que je te dise comment j'ai découvert ce qui nous lie probablement. D'abord, un premier indice : le jour de la disparition de ton père, nous sommes allés, Bertier et moi, dans son bureau avec ta mère pour consulter son agenda, et trouver quelques informations. Comme de coutume, j'ai laissé trainer mon regard un peu partout, et je suis tombé sur la photo de ton père avec ton frère et toi, posée sur le bureau.
— Effectivement, c'est une photo prise en Suisse le jour de nos retrouvailles, en 1945. Nous n'avions pas vu notre père depuis cinq ans, et pour un petit garçon de sept ans, cela représente une éternité. Je ne me rappelais même plus de lui. Et à son retour, notre père nous apparut alors comme un étranger et il nous faisait un peu peur.
— Quand j'ai vu cette photo, cela m'a intrigué, mais je n'ai rien dit. Ton père ressemblait trait pour trait à Michel Aurilly, mon parrain, un cousin éloigné, et toi, André, tu me ressemblais comme deux gouttes d'eau. Un jour, je te montrerai une photo de moi à ton âge, tu verras la ressemblance : la seule différence était que tu étais châtain et moi blond, sinon, le visage était très semblable, et nous avons presque le même âge, à deux ans près.
— Mais tous les enfants se ressemblent un peu !
— C'est vrai, mais ton père me rappelait tellement mon parrain ! On aurait dit son jumeau. Je n'ai rien dit alors, pensant que cette similitude était fortuite et peut-être le produit de mon imagination. Une photo ancienne peut nous tromper, les traits des visages étant parfois un peu estompés. Mais j'ai ressenti un deuxième choc quand je suis venu voir la victime à la morgue. La ressemblance était si frappante que j'ai cru que j'allais m'évanouir. Le commissaire s'en est aperçu et il m'a cuisiné pour en savoir un peu plus. Je lui ai dit seulement que l'homme ressemblait beaucoup à mon parrain et que cela m'avait choqué. J'ai été sincère à ce moment-là, tellement secoué que j'ai fait une sorte de déni. Ensuite, j'ai mené mes propres recherches qui m'ont conforté que ton père était aussi mon parrain, qu'il était mon tuteur et qu'il avait payé tous les frais de mes études.
— Tu ne l'avais pas reconnu quand tu l'as retrouvé dans le bras mort ?
— Non, car je ne l'ai vu que de dos, et je n'ai pas voulu le manipuler afin de ne pas fausser l'examen que ferait la police scientifique. Et puis, j'étais plutôt pressé de quitter les lieux. Mais, curieusement, j'ai dû en avoir l'intuition car j'ai rêvé ensuite que le mort avait le visage de mon parrain, et donc aussi de mon tuteur. Ce cauchemar s'est répété toutes les nuits pendant l'enquête, et je reconnais que j'ai cru devenir fou. Je me suis même demandé par la suite si l'esprit de la victime ne viendrait pas me hanter toutes les nuits pour me forcer à trouver son meurtrier.
— Crois-tu aux choses de l'esprit ?
— Habituellement, non, je ne crois pas à grand-chose, je m'en tiens uniquement aux faits, comme tout policier qui se respecte. C'est pourquoi cela m'a profondément perturbé.
— Et c'est pour cela que tu es venu à son enterrement ?
— Oui, avouai-je.
Je soupirai, et me tus un long moment, la gorge serrée, en proie à une vive émotion. Revivre ce moment m'était encore pénible.
Ce fut André, qui rompit le silence.
— Soit ! Admettons que mon père était à la fois ton tuteur et aussi ton cousin éloigné, ce qui fait que nous sommes sûrement cousins tous les deux à je ne sais quel degré. Mais comment l'as-tu découvert ?
— Je suis ensuite allé au pensionnat où il m'avait envoyé à la mort de ma mère et j'ai consulté mon dossier et c'est là que j'ai appris l'identité de celui qui payait mes frais de scolarité. Puis, c'est lors d'une conversation avec Henri Levasseur, qui m'a confirmé qu'il faisait partie du réseau de résistance, qu'il utilisait les souterrains de Beaumanoir, et que Michel Aurilly et Bernard Malandain étaient la même personne, Aurilly étant un nom d'emprunt.
—Il se peut qu'Aurilly soit probablement le nom francisé de O'Reilly, qui est le nom de jeune fille de ma trisaïeule, c'est-à-dire, mon arrière-arrière-grand-mère, une irlandaise du nom de Mary O'Reilly, et Michel était le deuxième prénom de mon père.
— Tout à fait juste ! Cela confirme ce que m'avait dit Daniel O'Reilly lors de ma rencontre avec lui!
—Tu as rencontré le cousin Daniel ? Ce vieil original ?
— Oui, complètement par hasard, dans la forêt entre Beaumanoir et Jumièges, et nous avons eu des conversations fort intéressantes. Il semble être un puits de science. Et alors savais-tu que ton père était résistant pendant la guerre ?
— Absolument pas ! Ça, c'est une surprise ! Il ne nous en avait jamais parlé. Il était généralement très pudique en ce qui concerne son passé. Mais pour en revenir aux prénoms de mon père, son troisième était Gilbert. C'était aussi celui de mon grand-père paternel, Gilbert Malandain, donc le petit fils de Mary O'Reilly et de Pierre Malandain.
Cette révélation me rappela ce que j'avais vu sur la carte d'identité retrouvée dans la glacière.
— Mon grand-père Gilbert, reprit André, héros de la première guerre mondiale ! Le lieutenant Malandain, connu pour sa bravoure, un coriace qui a pu quand même en revenir vivant, et pas trop esquinté, contrairement à beaucoup d'autres. Il est malheureusement décédé à l'âge de 65 ans, en 1940, bêtement renversé en vélo sur la route par un camion allemand. Enfin, quand je dis « bêtement », je pense que les boches ont plutôt fait exprès de lui rouler dessus. Tiens, j'y pense, mais c'est vrai, tu as le même prénom que lui !
— Oui, étrange coïncidence, n'est-ce pas ?
Puis Je me tus soudainement.
— Je me sens faible tout à coup, j'ai trop parlé. Je vais me reposer, lui avouai-je.
— Ça ne va pas ? s'inquiéta André.
— Si, ça va, répondis-je, j'ai simplement très envie de dormir.
— Je ferais bien de faire pareil, de toute façon, on ne peut rien faire d'autre ici et puis moi aussi, je suis épuisé, s'exclama André.
Je me sentis alors sombrer dans le néant, comme si j'avais subi une anesthésie. Parler m'ayant fatigué, je me sentis comme une batterie déchargée.
Je ne repris pleinement conscience que dans un lit d'hôpital.
(à suivre...)
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Vendetta Normande
Mistério / Suspense1964 : l'inspecteur Lenormand, jeune inspecteur de police de 28 ans, enquête sur la disparition d'un notable rouennais. Son intrépidité et sa curiosité légendaires l'entraînent dans une série d'incroyables aventures à la fois désopilantes et tragiq...