Avoir des idées était une chose, les concrétiser en était une autre et bien que Lucienne s'était retrouvé soudainement pleine d'entrain à vouloir faire de sa présente demeure, un lieu qui serait à même de ternir la réputation qu'elle s'était donné tant de mal à préserver, elle n'avait véritablement aucune idée de par où commencer. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'il allait lui falloir débloquer un fonds de commerce, entamer quelques travaux de réaménagement probablement et puis trouver du personnel... Quoique sur cette dernière note, elle savait d'ores et déjà où aller, car il y avait un endroit en ville, connu ou tout du moins réputé pour contenir et rassembler toutes les causes désespérées.
Ce qu'elle fut jadis. Jusqu'à Frédérick.
– Bonjour Madame !
Tous les matins, alors qu'elle quittait à peine sa chambrée, vêtue d'une chemise de nuit et d'un léger châle porté sur ses épaules, Lucienne avait le droit à la traditionnelle salutation des employés de maison, probablement debout depuis des heures, car contrairement à elle, ici la demeure prenait vie dès l'aurore.
– Bonjour Madame ! Comment allez-vous aujourd'hui ?
– Avez-vous bien dormit ?
– Vous êtes superbe ce matin, Madame !
Bien évidemment qu'ils essayaient, chacun leur tour et à leur façon, de la flatter, mais elle savait parfaitement dans quel état désastreux, elle se présentait : Les cheveux ébouriffés, des cernes plus larges que ses malles à vêtements, un teint livide, digne dès fantômes qui pouvaient bien hanter ces murs et pour couronner le tout, elle ne portait qu'une vulgaire chemise de nuit. En principe, Lucienne ne devait pas sortir ainsi, elle devait être apprêtée, maquillée, coiffée, prête à recevoir même si personne ne venait à sa porte, mais jamais, ô grand jamais, elle ne devait se présenter dans une tenue aussi provocante. Toutefois, l'idée de marcher pieds nus dans les couloirs lui plaisait. L'idée aussi de pouvoir choquer son affreuse belle-mère qui l'attendrait aux pieds des escaliers, car elle se serait introduit ici très tôt dans la matinée, lui plaisait. Cependant, la marâtre semblait avoir pris quelques jours de congés puisque voilà plus de deux semaines que Lucienne ne l'avait pas croisée.
– Qu'allez-vous faire de votre journée, Madame ? demanda Sophie en lui apportant le plateau contenant son petit-déjeuner.
– J'ai quelques projets... Je compte sortir notamment. Je dois me rendre en ville.
– En ville, dites-vous ? Cela fait bien longtemps que vous ne vous y êtes pas rendue.
– J'ai, je crois, des affaires qui m'y attendent et même si l'idée de rester enfermée ici me plait, je ne peux décemment pas vivre telle une nonne.
– Si ce n'est pas indiscret, quel type d'affaires allez-vous ...
Sophie était tout ce que l'on pouvait attendre d'une domestique servant aussi de dame de compagnie, même accompagnée de son horripilante curiosité maladive. Toutefois, au premier levé de cils de Lucienne, celle-ci baissa immédiatement le regard, comprenant son écart.
– Veuillez m'excuser, fit la jeune femme.
– Je t'apprécie, Sophie, sache-le, mais par moment, je me demande bien pourquoi je m'acharne à te garder auprès de moi. Tes questions, ton comportement... Tout ça, ça fait beaucoup, vois-tu ?
– Je suis sincèrement désolée si je vous ai offensée d'une quelconque façon que ce soit, ce n'était vraiment pas mon intention Madame.
– Et je te crois, je te crois. Mais parfois, je me demande si... Tu ne t'intéresserais pas à tout ceci, car une autre personne te l'aurait demandé par exemple ?
– Mais non Madame ! Je peux vous assurer que...
– Que tu es simplement beaucoup trop curieuse pour ton propre bien, c'est cela ? releva Lucienne.
Le contraire ne l'étonnerait même pas. Sophie était le seul cadeau que lui avait fait sa belle-famille lors de ses fiançailles avec Frédérick. Elle ne connaissait pas ses origines, mais un coup d'œil rapide sur ses avant-bras ou bien sur ses mains suffisait à Lucienne pour en sortir toute sa vie. Ce n'était qu'une enfant que l'on avait envoyée pour espionner une enfant plus grande qu'elle, mais contrairement à Sophie, Lucienne avait appris les règles de la vie à la dure, dans la rue, même si loin d'elle l'idée de vouloir établir une sorte de concours sordide afin de déterminer laquelle des deux aurait le passé le plus pitoyable.
Néanmoins, Sophie était la seule personne que Lucienne considérait presque comme une amie. Une présence alliée entre ces murs. Elle était là pour l'aider, la réconforter, la soigner, la soutenir. Sophie n'existait que pour assurer son bien-être. Elle n'existait que pour être à son service et devait s'en contenter.
– Je t'apprécie réellement, Sophie, sache-le, mais il y a des choses... Des secrets qui ne doivent pas quitter cette maison. Jamais. Tu m'entends ? Peu importe qui te le demande ou ce que l'on te demande, aujourd'hui, tu dépends de ma seule et unique autorité, c'est bien compris ?
– Oui, Madame.
– Bien. Sache que je place en toi une infime partie de ma confiance, tâche d'en prendre soin, car il n'est pas aisé de l'avoir.
Sophie hocha la tête, c'était là tout ce qu'elle pouvait faire. Pauvre petite. Elle n'était pas mieux lotie avec une maîtresse comme Lucienne, car plus le temps passait, plus celle-ci devenait probablement acariâtre. Encore quelques années et elle serait la copie conforme de sa marâtre de belle-mère ! Plutôt mourir que de voir cela se réaliser.
– Va donc faire préparer la voiture, je détesterai arriver en retard. Une fois que tu auras terminé, veille à me préparer une tenue décente. Quelque chose qui... Disons... Enverrait un message si tu comprends où je veux en venir.
– Oh oui Madame ! J'ai d'ores et déjà une idée.
– Dans ce cas, je m'en remets à ton expertise et toi-même.
Une fois que Sophie eut quitté le petit salon dans lequel Lucienne s'était installé, cette dernière ne put profiter d'un instant de calme que brièvement tandis que quelqu'un frappait à la porte.
– Bon dieu, mais ne peuvent-ils pas me laisser en paix ? grogna la maîtresse de maison en posant sa tasse sur le plateau, Qui y a-t-il ?
Aucune réponse.
Habituellement, un domestique aurait déjà franchi le seuil de la porte, mais elle n'eut le droit qu'à un long silence, l'obligeant à se lever dans un soupir.
– J'ai dit... commença-t-elle.
Elle ouvrit brusquement la porte et tomba nez à nez avec un visage familier.
– Dites-moi que je rêve...
– Bonjour Lucienne.
– Louis, fit-elle visiblement surprise.
Louis était tout ce que Lucienne détestait : un fantôme. Supposé mort à la guerre, il y a de cela plus d'un an et demi. Ça pour une surprise, ça en était une, car théoriquement, les morts ne se relèvent pas, ne vous rendent guère visite. Alors que faisait-il ici ? Pourquoi ? Comment ? Tant de questions qui soudain se bousculèrent dans sa tête.
Louis était tout ce que Lucienne détestait : le souvenir d'une vie qui n'était plus la sienne, et ce, depuis un long moment.
– Je te jure que je peux tout expliquer, lui dit-il en bafouillant.
Elle n'en avait que faire de ses explications parce qu'elle lui claqua la porte au nez. Quiconque l'avait fait rentrer dans la maison serait, mais alors, sévèrement réprimandé, ils pouvaient tous compter sur cela ! Quitte à en faire un exemple pour qu'enfin, ils comprennent que cette demeure était la sienne et que l'on ne rentrait pas chez elle.
– Je n'ai pas le temps pour les fantômes.
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Le club des gentlemen extraordinnaires
Historical FictionSi vous tendez bien l'oreille, il se pourrait que vous entendiez un secret. Le secret. Car voilà qu'il se fait dire dans les petits salons et quelques salles de réception que si vous rencontrez un problème, elles peuvent alors vous aider. Mais le fe...