🥀CHAPITRE 3 🥀

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Contrairement à nombre de ses paires, Lucienne n'a jamais exprimé le moindre talent durant les cours d'étiquette. Elle ne maîtrisait aucun instrument de musique en particulier, peignait avec ses pieds et avait la grâce et le charme d'une autruche de course. Avez-vous seulement déjà posé les yeux sur une autruche ? Malgré ce désastre et la honte certaine qu'elle représentait aux yeux de la famille Galaway, Lucienne avait raflé la mise en épousant Frédérick et en héritant d'absolument tout ce que ce dernier possédait, et ce, jusqu'à la moindre pierre composant cette maison.

Certes, elle était considérée comme l'une des plus belles femmes ayant un jour composé la Haute Société, mais en réalité, un titre de beauté était bien moins utile qu'un titre de propriété et cela, elle l'avait rapidement comprit.

Alors pendant un temps, Lucienne fit ce qu'elle savait faire le mieux : maintenir les apparences. Elle était cette petite fleur que Frédérick exhibait ici et là en fonction de ses besoins, tout comme elle représentait un véritable trophée dans la pochette de belle-maman. Rien ne lui fut épargné : salons de thé, salons de discussion, opéras, théâtres, réceptions, dîners mondains en tout genre. Là où Frédérick Galaway allait, Lucienne, en bonne épouse, mais très mauvaise femme visiblement, suivait. Par conséquent, pouvait-on lui en vouloir si, présentement, la maîtresse de maison ne souhaitait plus se montrer ? Elle qui avait écumé chaque centimètre carré de la ville pendant cinq longues années.

Elle n'avait le droit ni d'être souffrante, ni de se blesser. Aucune excuse qu'elle avait un jour tentée ne lui avait servi à éviter une sortie. Même avec la grippe, Frédérick la sortait pour ensuite l'accuser de ne pas s'être montée sous son meilleur jour. Pareillement, Monsieur ne supportait aucune marque sur son corps : ni coupures, ni griffures, ni égratignures. Rien. Lucienne devait demeurer parfaite, pire encore ! Intacte !

Tout comme l'étaient ces poupées de porcelaines bien trop jolies que l'on trouvait exposées derrière une vitrine.

– Hâte de voir ce que ton horrible mère penserait de tout cela, fit Lucienne en descendant de son tabouret, les manches retroussées, je la vois, se tenant sur le seuil de la porte, la bouche grande ouverte, son visage criant au scandale. Il est évident qu'elle n'aimerait pas voir le portrait de son fils préféré ainsi bafoué, mais que veux-tu ? Cela me fait plaisir à moi et je crois qu'au final, c'est tout ce qui compte, non ?

C'était devenu son petit rituel secret que de lui parler de temps à autre, quand elle en avait envie, mais plus encore quand elle en ressentait le besoin.

– N'est-ce pas risible, Frédérick ? Je t'ai tant détesté et pourtant, je suis là, à te parler, à barbouiller ton portrait, à...

Mais sa phrase ne trouva pas de fin. Lucienne resta assise sur le tabouret, admirant son œuvre d'art.

– Peut-être devrais-je le mettre en vente ? Combien pourrais-je en tirer ?

Cependant, elle n'en fera rien, même si elle lui trouva soudainement un côté beaucoup plus sympathique. Frédérick n'était peut-être pas un homme aimable et aimant, mais il avait au moins eu le mérite de ne jamais avoir été violent avec elle. Certes, il y eut quelques coups d'éclats, des échanges houleux à ne plus pouvoir les compter, mais à chaque fois que Lucienne l'emportait... Frédérick partait. C'était son truc à lui, partir en claquant violemment la porte. Partir et ne plus lui adresser la parole pendant plusieurs jours ; jours qui paraissaient alors être de véritables vacances pour Lucienne.

Oui, il ne lui manquait absolument pas. Ni lui, ni tout ce qui le concernait, mais étrangement, Lucienne commençait à s'ennuyer dans cette grande demeure pour elle toute seule. Ne serait-il pas tant d'y remédier et de transformer cette demeure autant qu'elle venait de transformer le portrait de son défunt époux ? Mais que faire avec tout cet espace ? Qu'est-ce qui pourrait bien énerver les Galaway ? Soudain, Lucienne eut une idée. Brillante, cela va de soi.

– Il y a bien assez de pièces et de chambres pour cela... se murmura-t-elle.

Bien assez de pièces et de chambres pour transformer la maison la plus convoitée du comté en un lieu interdit. Tabou.

Contrairement à nombre de ses paires, Lucienne n'a jamais exprimé le moindre talent durant les cours d'étiquette, néanmoins elle brillait dans les affaires et il n'y avait rien de plus scandaleux de nos jours qu'une femme à la tête d'une entreprise et quelle entreprise avait-elle en tête !

Un véritable petit...Bordel.

Le club des gentlemen extraordinnairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant