Lettre 1

11 3 0
                                    


"Tu as une soeur jumelle."

Cette phrase était bien là, marquée à l'encre noire, de l'écriture ronde de ma mère. Pourtant je n'osais le croire.

Elle avait dû écrire ces lignes un soir, à la faible lueur d'une bougie, alors que je venais de quitter sa chambre, faisant chaque jour un peu plus mon deuil, imaginant la vie sans elle. Le docteur avait simplement dit "je suis désolé" de ce ton neutre, monotone, ayant l'air de ne ressentir aucune empathie. La réalité de ces paroles m'avait plongée dans les abîmes du désespoir, un puits sans fond dans lequel je coulais en espérant un jour refaire surface. Nous savions que cela serait ses derniers mois dans ce monde, et elle écrivait jour et nuit, sans pauses, elle manquait de temps. Je lui apportais son thé au jasmin et lui massais le dos, qu'elle avait d'engourdi à force d'être alitée en permanence.

"Jasmine, ta soeur, a été adoptée par une sage-femme qui s'occupait de moi pendant l'accouchement. Elle avait perdu son mari et voulait absolument un enfant. Je ne sais pas ce qu'elle est devenue."

Depuis 17 ans, Maman cachait ton identité. Elle n'avait même pas voulu me révéler le nom de ta mère. Je ne comprenais pas pourquoi, je ne sais pas si je comprendrai un jour, cependant la réalité était bien là :

Tu es ma sœur, et je suis la tienne.

Je ne sais pas si ça t'intéresse, mais Béatrice Lineville est morte de la tuberculose le 18 février 1889. J'ai mis 3 mois à m'en remettre, et je pleure toujours en voyant son portrait sur le buffet. Elle m'a légué en héritage notre petite maison à Nice, un peu d'argent, son vieux livre de language des fleurs, et cette lettre. Elle m'a légué en héritage la vérité.

J'ai lu le courrier en boucle, jusqu'à le connaître par cœur. Mon crayon a souligné jusqu'à en trouer le papier toutes les informations à ton sujet :

"Jasmine de Sauge", "Paris en 1872", "fille de veuve, sage-femme célibataire".

J'ai toujours aimé décrypter la signification des noms. Comment, en quelque sorte, on peut prédire l'avenir d'un enfant en le nommant, lui donnant une identité, une âme.

Quand j'ai lu ton prénom, j'ai de suite reconnu Maman : sans t'avoir élevée, elle a su déposer sa marque sur toi : tu t'appelles Jasmine, et moi Violette. Notre mère était passionnée par le langage des fleurs. Elle passait ses journées à peindre, écrire, composer... seulement sur les fleurs. Sa chambre en était remplie, de toutes sortes, de toutes les couleurs, de la primerose à l'œillet, du crocus à la tulipe, de la jonquille à la pimprenelle – toutes ayant une signification différente à laquelle elle accordait une importance. J'avais appris à déchiffrer ce langage inconnu. Mon prénom, Violette, signifie modestie et timidité, même si je dois avouer que cela ne me correspond pas vraiment. J'ai appris que ce choix était dû à Papa, qui lui avait offert ces fleurs pour déclarer son amour : il avait caché des violettes séchées dans un livre prêté à ma mère. Les violettes, au contraire des roses, ne sont pas signes de passion mais plutôt d'amour pudique, discret. J'ai toujours rêvé l'amour entre nos parents de cette façon : sincère, délicat, tacite.

La curiosité est un vilain défaut, Jasmine, alors m'excuseras-tu d'avoir cherché la signification de ta fleur ? Le jasmin est une petite fleur blanche, traduisant la sensualité, la beauté, l'invitation au voyage.

J'ai su alors, Jasmine, que notre rencontre était notre destinée.

Aucun domicile n'était mentionné dans la lettre de maman, mis à part la ville de ma naissance, et donc de la tienne : Paris. Mon premier réflexe fut d'aller chercher ton adresse. Je me suis rendue hier à la bibliothèque, pour y lire en long et en large l'annuaire de la capitale, une brique de la taille d'une encyclopédie à la couverture en cuir et aux reliures dorées.

"Delphine de Sauge, 8ème arrondissement, 48 Résidence des Géraniums Rosat"

Des centaines de sortes de géraniums existent. Cependant, le Géranium Rosat a une signification bien particulière :

"Une rencontre attendue"

J'en suis sûre alors, je te retrouverai à Paris.

Sincèrement,

Violette Lineville, ta sœur jumelle.

Lettre(s) Violette(s)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant