Réveille-toi

elle

(pas d'identité, pas d'Elle, juste elle)

Elle rentre chez elle. C'est l'hiver, il est environ 20h, elle sort de son dernier cours. La pluie, ainsi que ses petits talons cliquettent sur les carreaux humides. Elle ne prend même plus soin d'éviter les flaques qui se forment dans les crevasses du goudron. Les lampadaires éclairent le vide des rues sales, pendant que le croissant de lune éclaire les toits des immeubles immondes. Elle marche. La lune ressemble au sourire du chat du Cheshire. Il est intriguant, est-il plutôt rassurant ou inquiétant ? Elle ne se pose pas ce genre de question. Elle marche.

Elle porte son blazer rouge accordé à son rouge à lèvre, ses cheveux en une queue de cheval blonde protégée par son petit parapluie noir. Elle marche à vive allure, son quartier est dangereux, elle a peur. Elle porte sa mini-jupe préférée avec ses fins collants noir à motif floral. A la moitié du chemin, elle passe à côté du petit pont abritant les poubelles. Quand tout à coup elle aperçoit un petit chat noir, long et fin au regard vert perçant, qui se faufile vers elle. Il s'arrête sur la poubelle la plus proche, s'assoit et la fixe. Soudain ce chat qui semblait si calme et serein au départ semble terrorisé, il continue de la regarder. Il se met à crier : « Va-t'en ! Va-t'en vite ! Qu'est-ce que tu fais encore là ! Dépêche-toi ! Sors de là ! ». Confuse elle se demande si c'est à elle qu'il parle. Il n'est même pas censé parler ! Elle n'a pas peur du chat, c'est son animal préféré, et celui-là ne lui paraît pas plus agressif. Mais, prise de panique incroyable, elle court, le plus vite possible, sans se retourner, sans prendre le temps de réfléchir davantage. Quelque chose ne va pas et elle se sent faiblir dans la nuit.

Elle court, court de toute ses forces. Avec la montée d'adrénaline elle court à une vitesse fulgurante. Elle ne se soucis ni de son parapluie, ni de sa jupe ou de ses talons. Courant sous la pluie, sa vision se trouble. Son corps semble tout faire avant qu'elle n'y pense, comme machinalement. Elle se rend compte qu'elle est poursuivie. Elle le sent, c'est tout près d'elle. Elle n'a pas le courage de se retourner. Cette aura lui semble familière mais surtout très malfaisante. Les poils de sa nuque se hérissent. Ses mains sont moites et mouillées par la pluie. Ses cheveux sont encore protégés par le parapluie. Pourquoi tient-elle encore son parapluie ? Elle n'a pas le temps d'y faire attention. Son corps choisit de courir. Elle finit par arriver devant son immeuble. Cette chose derrière elle se rapproche. Elle est complètement terrorisée. Son sac est en bordel, elle doit chercher ses clefs à tâtons, toute tremblante de peur et d'empressement. Elle reste bloquée devant sa porte, cherche désespérément ses clefs. Sa vision se trouble davantage. Son corps frémis. La tension grandissait, la froideur enflait et brûlait comme une tempête au creux de son crâne et de ses reins. Le souffle entrecoupé elle tente vainement de tenir et de se sauver. Elle sent cette aura s'approchant pernicieusement d'elle, mais s'évanouit, sans avoir mis la main sur ses clefs, dans une obscurité totale.

Elle se réveille. Encore et toujours ce cauchemar, depuis des semaines... Maintenant elle s'inquiète à chaque moment où il lui faut rentrer chez elle, de plus en plus angoissée. Bien que le chat semble être une partie d'elle qui lui dit de fuir, elle est terrorisée par ce qu'elle ressent et cette chose qui lui veut du mal. Elle a beau recommencer son rêve elle ne parvient pas à se retourner pour savoir ce qui la poursuit. Cela ne s'arrange pas avec le temps, elle s'effondre et sombre de plus en plus à chaque course-poursuite. Ces nuits sont courtes et elle se renferme sur elle-même. Aucun traitement ne l'aide. Elle se rend bien compte de tomber dans un puits de déprime mais ne sait en revanche plus si elle va en cours ni quoi que ce soit d'autre... Elle dort debout, elle n'a plus d'amis, plus de relations, elle ne fait plus ses devoirs. Qu'est-t-il en train de lui arriver ? Elle ne le sait pas ? Elle ne parvient même pas à se poser nettement la question. Elle ne sait plus distinguer ses réels trajets de ce cauchemar.