Hazel

Chapitre 2

Nel revint avec deux bols fumants d'un ragoût de pomme de terre et de deux tranches de pain dur. Nous mangeâmes comme si notre conversation de tout à l'heure n'avait pas eu lieu, mais ses iris reflétaient bien la tristesse de ce dénouement tragique. Toutefois, il gardait le moral et me racontait les histoires qu'il avait entendues au village hier après-midi. Tellement fatigué de sa journée, il était rentré et était monté se coucher sans demander son reste.

J'écoutais avec attention ses paroles, voulant savoir si j'avais été découvert ou non, mais les rumeurs qu'il m'annonçait ne relatait rien sur une chasse ou une expédition pour me retrouver. Il me quitta, et j'avais le cœur plus léger, mais pas tout à fait. Le sort de Nel me préoccupait beaucoup, mais il avait pris sa décision et n'y reviendrait pas dessus.

Tout à ma contemplation, Ela me rejoignit dans l'après-midi, le visage défait mais les yeux inondés de colère. Claquant la porte de la grande, elle s'approcha puis s'adossa à la cloison avec rage.

"Il n'aurait jamais dû te le dire !

-Je ne peux rien faire, il a pris sa décision.

-Il n'a pas à se sacrifier pour nous !

-Toi non plus..." répliquai-je d'une voix douce.

Elle se tourna vers moi d'un coup, me faisant reculer de peur tant sa colère était perceptible. Ses poings étaient serrés que je parvenais à voir ses veines, sa mâchoire contractée, faisait palpiter sa veine au cou.

"Je me démène pour tenir cette famille à flot ! Je fais tout pour garder cette famille unie..."

D'un coup, elle tomba dans mes bras, à bout de force. Je l'aidai à s'allonger au sol, gardant sa tête sur mes cuisses. Ses yeux roulaient, son souffle était saccadé. Je fermai les yeux et posai les mains sur sa tête, lui donnant un peu de ma magie pour qu'elle retrouve ses moyens. Son souffle s'apaisa mais le mien devint plus douloureux. Elle enferma mes mains des siennes, captant mon attention.

"Hazel... Ne pars pas... Je ne pourrais pas le supporter..."

Des larmes imprégnèrent ses yeux, mais elle ne les laissa pas couler. Trop fière, elle montrait très peu sa tristesse, ses faiblesses. J'inspirai longuement, calmant mon cœur qui refusait de se remettre de mon utilisation de la magie. Je l'appelais très peu et mon corps perdait en énergie.

"Je ne partirais pas pour le moment...

-Ne dis pas ça..." me coupa Ela, d'une voix faible.

"Je partirais si cela devenait trop dur pour nous tous. Je n'ai pas envie que tu te sacrifies pour moi et encore moins que Nel épouse ce monstre."

Elle ricana à la comparaison faite sur Alianor. S'asseyant avec raideur, elle me remercia d'un signe de tête, mais resta face à moi, m'observant avec insistance. Je remarquai le soleil couchant et me souvins de la promesse d'Ara.

"Allons aux sources chaudes ce soir, Ara à quelque chose à nous annoncer.

-Elle n'a pas prononcé une parole au repas. Avec maman, c'est presque religieux. Mais elle a rouspétait lorsque Nel est parti en catimini te rejoindre. C'est la seule à être heureuse de ce mariage."

La mère de la fratrie m'était encore mystérieuse, même si je l'entrevoyais parfois derrière les fenêtres alors que je les observais en étant une souris. Il y a quelques années, elle chuta du haut du grenier et fut paralysé des jambes. Insoignable, elle sortait très peu depuis, mais gardait tout de même la douceur d'une mère.

Parfois, j'apercevais ses gestes d'attention envers ses enfants, et cela me rappelait douloureusement mes parents, alors qu'ils me félicitaient après un sort réussi, ou bien une potion fonctionnelle. Parfois, Nel venait se plaindre de sa mère, mais je lui rappelais sans cesse que dans la vie, nous n'avions qu'une mère et que nous devions la chérir.

Je n'avais pas eu le temps de dire tout ce que j'avais sur le cœur avant de perdre mes parents, mais s'ils étaient devant moi, j'espérais qu'ils étaient fiers de moi, du moins, pour ce que j'étais devenue. Une fugitive.

"Enfin, nous partirons à la nuit tombée, Nel ne veut pas venir.

-Il n'a pas envie de passer un bon moment avec nous ?" tentai-je.

Ela secoua la tête, détournant le regard vers la porte de la grange.

"Il veut discuter tranquillement avec maman, même si je pense qu'elle voudra un mariage simple et rapide. Elle n'est pas aveugle et voit que nous sommes en difficulté.

-Et elle doit bien comprendre que tu te démènes pour maintenir à l'eau la ferme. Elle doit être triste de ne pas pouvoir vous aider.

-Elle n'a pas à être triste, c'est bien le rôle des enfants d'aider leurs parents ?"

Sur ces mots, elle se leva et quitta la grange, non sans un regard en arrière, presque mélancolique. Un frisson remonta le long de mon dos, me donnant froid d'un coup. Serait-ce le dernier regard d'Ela, ou bien cette présence que je ressentais depuis un moment ? La nature était pourtant calme, je ne ressentais rien qui pourrait la perturber. Mais comme à cette pleine lune fatidique, un mauvais pressentiment prenait possession de mes pensées.

Je me levai et me transformai en chat, rejoignant le bord de la fenêtre du salon, me cantonnant à épier les va et vient d'Ela entre ses fromages frais qu'elle vendra demain matin au marché. Au coin du feu, assise sur une chaise à bascule, la mère contemplait les flammes, racontant une histoire à Ara, assise par terre, croisant des roseaux entre eux pour en faire des paniers. Nel devait se trouver à l'étage, dans sa chambre, se reposant certainement après ses deux jours intensifs.

Je ne parvenais pas à entendre les conversations, mais aux sourires des deux sœurs, je me doutais que la discussion ne tournait pas autour du mariage ou bien du manque de sommeil d'Ela.

Ma queue se balançait lentement, alors que je m'imprégnais de cette atmosphère chaleureuse. Je l'avais connu, et cela me manquait, mais afin de continuer à obéir aux dernières paroles de mon père, je préférais rester cacher et partager ce bonheur à travers cette vitre ou lorsque nous étions tous les quatre réunis dans la grange, au bord du lac ou bien dans les sources chaudes.

Ces moments se gravaient au fond de mon cœur, me donnant l'impression qu'il se remplissait lentement de bonheur, chassant peu à peu la peur et l'angoisse d'être découverte. Je ne revenais jamais en arrière et ne m'étais jamais demandé qui étaient ces hommes qui avaient attaqué notre village. La chaleur au niveau de mon visage revenait de temps à autre, me rappelant à mon mauvais souvenir, mais jamais je ne regardais en arrière. La douleur s'apaisait à chaque fois que je posais les yeux sur cette famille soudée et aimante.

J'avais eu la chance de les rencontrer et je ne voulais plus les quitter.