Un Hiver noir arrive [2/2]

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Un moment, ces mots résonnèrent brutalement dans sa tête. Certes, elle n'en gardait pas de souvenirs propres, mais le pire, elle l'avait déjà vécu. Le pire la hantait indéniablement. Puis le silence se fit. Lorsque des gardes se firent entendre dehors, Katheryn rejoignit sa fenêtre. Le noircissement du ciel était presque total, mais en-bas, dans les bâtiments et les rues, des lueurs de feu abondaient tandis que tout le reste s'effaçait dans le brouillard qui s'installa et l'obscurité.

N'apercevant plus nettement le rampart de l'autre côté de la cour et envisageant les derniers mots de son Porte-sceau, la reine régente s'enquit : « Combien de temps avant que les jours ne deviennent totalement des nuits noires?

Alderyn, dont l'imposante stature et l'immobilité faisait ressembler à une immense statue noire dressée près du feu, parut d'abord hésitant, puis circonspect. « D'après les Anciens, même si les jours sont de plus en plus sombres et de plus en plus froids, les jours noirs ne tomberont pas demain, à moins d'une nouvelle surprise. Ils estiment tous également que cet hiver noir sera fugace.

— J'estime que nous devrions dès maintenant augmenter le nombre de sentinelles dans tout le château, répartit-elle d'une voix impérieuse et monocorde. Le nombre de gardes qui parcourent les rues et le nombre de guetteurs qui surveillent les zones d'ombre à proximité. Et demander à tous nos vassaux et tous les chefs de village septentrionales de nous signaler au plus vite toutes activités plus étranges que d'habitude. Principalement les activités liées aux zones d'ombre.

— Bien, Votre Majesté. », acquiesça gravement lord Alderyn. Puis, avec une pointe d'aversion : « Et le Royaume souverain? », demanda-t-il.

Elle demeura silencieuse, un instant, puis répondit, aussi douce que nonchalante au son de sa voix : « Informez notre Roi souverain de la mort de son frère lors d'une quête dans la Mère des forêts, en compagnie d'un simple écuyer et de quelques pisteurs. Et que, malheureusement, son corps a été emporté dans les Ombres de cette forêt. Transmettez-lui ma sympathie et mes regrets pour le mariage.

Lord Alderyn paraissait subitement plus sombre, mécontent. « Si je puis me permettre, madame, vous n'auriez même pas dû envisager ce mariage. Le Roi souverain, qui se donne des airs pacifiques, voulait clairement nous humilier une fois de plus en nous envoyant son monstre comme prétendant.

— Votre haine pour pour le Royaume souverain vous fait délirer, moncher oncle, répliqua-t-elle doucement.

— Une haine légitime, bougonna lord Alderyn en se renfrognant. Il est détesté de tout le Nord.

— Mais aussi craint, rétorqua-t-elle.

Une moue dégoût anima violemment tous les traits d'Alderyn. « Les autres royaumes du Nord ne sont plus de vrais royaumes, hélas, mais de vulgaires provinces, rongées par les Zones d'ombres, grommela-t-il. Mais nous, dans les confins du Nord, avons longtemps résisté à la folie de la famille Tower de rassembler en un seul et vaste royaume tous les territoires du Nord. Elle a essuyé de nombreuses défaites, parfois même des déroutes complètes, durant nos années de conflits. Tous ceux du midi avaient compris alors que nous étions mieux adaptés a la rudesse du Nord et aux Zones d'ombre. Nous étions des plus brave et fier, avant que le roi Radagan ne plie finalement le genou devant cette bande d'arrivistes.

Les yeux perdus dans la grisaille émaillée de lueurs, Katheryn, qui avait appris tant des livres que des anciens les histoires de tous les royaumes du nord et du reste du monde, aurait voulu lui rappeler que s'il n'avait pas plié le genou devant les Tower et solliciter leur aide, Mergraed tout entier serait encore aujourd'hui une Zone d'ombre... Mais elle ne répliqua rien. Au bout d'un moment, elle demanda d'un ton sensiblement las : « Avez-vous d'autres affaires dont nous devons nous entretenir, lord Alderyn?

— Le roi régent Baldgryn m'a fait parvenir un message où il me proposait un mariage pour rapprocher davantage nos deux pays et donner un dernier festin au vu des jours plus froids et sinistres qui s'annoncent, répondit-il en marmonnant.

— Vous devriez accepter, cher oncle, dit-elle d'une voix bizarrement réjouie. Et, d'après les dires de mes servantes, il a de nombreuses jolies filles. En plus de vous combler lors de ces jours, à l'avenir, elle vous donnera des enfants.

— Que les ténèbres ne nous anéantissent pas tous suffirait à me combler madame, riposta-t-il, mais merci quand même pour la délicatesse. Mais c'est un mariage entre toi et son seul et unique fils, le prince Gahald, qu'il espère. » De l'épaisse silhouette noire, d'où l'on distinguait le vacillement rougeâtre des flammes, une main contenant un document roulé émergea. « Le document a le sceau du roi et celui du fils.

— Et pourquoi ce message ne m'était-il pas directement destinée si c'est moi qu'il espère marié son fils?

— Comme il est rare de trouver une reine seule à la tête d'un royaume sur tout le continent, demander une femme en mariage directement l'est tout autant, répondit Alderyn. Et le roi de Gladbaed est un roi manifestement attaché aux anciennes traditions et vieillissant ». Il afficha subitement un air plus solennel. « Mais, outre qu'il se montrait très respectueux des lois du mariage, il me révéla que le roi Edmon serait au courant de la mission de son frère et que, fort mécontent que ce dernier négligeait sa principale mission et sa famille, il penserait à le déchoir. Vous ne seriez plus promise à lui, mais le roi souverain souhaiterait quand même que vous épousiez un seigneur d'un royaume voisin quand vous aurez vos dix-huit ans. Il veut lier tous les royaumes du nord et montrer par la même occasion toute son influence. Des informations sensibles, Votre Majesté. Le roi Baldgryn est aussi un roi qui a des ressources. Et très intelligent car il a vu, là, l'occasion d'avoir de meilleurs rapports avec nous, ses plus belliqueux voisins comme ils le disent là-bas. »

Même s'il ne la voyait que de dos, aussi belle que de face, plus droite qu'il ne le sera probablement plus jamais, il la sentit de nouveau se retenir. Elle devait se sentir à nouveau une cible parfaite, pensa-t-il, comme elle disait si intelligemment autrefois, lorsqu'elle était toute petite. Des pensées qui étaient déjà bien trop mûres pour elle. Non sans embarras, regret, il continua de la regarder, plantée devant la fenêtre.

« Mère me disait souvent qu'une femme pouvait tout avoir dans ce monde, sauf la plus précieuse des choses : le choix. Elle ne m'a jamais témoigné la moindre affection, je n'ai reçu aucun amour de sa part, mais elle m'a quand même beaucoup appris, déclara-t-elle, amèrement.

— Mais vous, vous avez le choix, Votre Majesté, riposta Alderyn, vous êtes une reine. Et je respecterai toujours vos choix. Les défendrai au péril de ma vie. Vous pouvez décliner toutes propositions de mariage, royales ou pas, si vous le souhaitez.

— Et nous serions de nouveau en conflit avec le Royaume souverain, répondit-elle posément, un conflit dont nous ne pouvons nous engager à présent, ni dans les prochaines années à venir, moncher oncle. » Sur ces mots, elle se retourna et regarda son oncle droit dans les yeux. « Si nous survivons à cet hiver noir, les ténèbres ne tarderont pas à nous retomber dessus si nous continuons d'espérer que des dieux les contiennent et n'agissons pas. Ancien Sedryg m'a fait des remarques que mon second s'est bien gardé de m'en faire. J'ai appris que, ces derniers temps, les Zones d'ombre s'étendaient plus qu'auparavant, ici plus qu'ailleurs, à cause de notre proximité avec les confins de cette partie du continent, et qu'à cause de ces empiètements, toutes nos ressources s'amenuisent... Considérablement. Me marier nous vaudra une alliance plus que bénéfique avec n'importe quel roi ou prince d'un des autres royaumes du Nord. Et si vous n'approuviez pas mes fiançailles avec le prince de Nordhen parce que vous haïssez les Tower, bien conscient de toutes les menaces qui nous guettent, je vous soupçonne d'avoir envisagé le mariage avec le prince de Gladbaed.

Alderyn demeura muet telle une véritable sculpture immense et sombre. La honte marquait tous ses traits. Elle disait vrai. Dans tout ce qu'elle évoquait. Et alors qu'il rentrait doucement la lettre sous ses fourrures, elle martela : « J'épouserai le prince Gahald Salman de Gladbaed, le jour même de mon dix-huitième anniversaire, ici à Mergraed, comme je devais épouser le prince Eron Tower de Nordhen. Informez le Roi souverain de cette décision également.

— Bien, madame, dit-il en inclinant doucement la tête. Alderyn dut se rendre à l'évidence. Les ténèbres étaient bien là, plus déterminées que jamais apparemment. Et Mergraed s'affaiblissait... Ses traits étaient redevenus farouches et durs. Puis, sur une nouvelle révérence, il se retira.

Le Vrai Combat : Le Réveil Où les histoires vivent. Découvrez maintenant