Léna ne put s'empêcher de frissonner en sortant dans l'air fraîchissant de ce soir d'automne. Elle rabattit les deux pans de la veste trop grande pour elle tout en marchant. Elle profita du trajet pour observer un peu la ville autour d'elle ; les bâtiments étaient anciens mais bien entretenus, tout comme la route et les trottoirs. Les poteaux électriques étaient reliés entre eux et aux maisons par de nombreux câbles, dressant un cadrillage noir complexe au dessus des passants. Le ciel était pratiquement noir quand elle arriva dans la petite superette. Elle aussi, à l'image de la rue, était propre mais ancienne. Elle passa entre les rayons, observant les différents produits alignés dans les étagères. Elle prit un paquet de ce qui de ce qui devait être des ramens tout en priant pour que ceux-ci ne soient pas trop forts. Sur le paquet toutes les indications étaient en coréen, ne réussissant pas à décrypter le moindre mot, elle décida de se fier à la couleur verte du paquet qui évoquait, si elle n'espérait, une portion trop épicée. Elle prit quelques bouteilles d'eau et des sandwichs triangles au cas où les ramens se révélait immangeables. Avec l'argent restant elle acheta une carte SIM pour son téléphone. Même si cela faisait maintenant 3 ans, elle espérait encore l'appel de son frère adoptif pour ne pas dire son ami le plus proche. En effet, enchaîner les déménagements et les pays ne l'avaient pas aidé à avoir beaucoup d'amis de longues durée. Elle paya ses articles et salua d'un geste de la main le caissier, faute de savoir parler coréen. Celui-ci s'inclina en retour tout en sortant des remerciements qu'elle ne comprit évidemment pas mais qu'elle devina . Léna fit mine d'ouvrir la porte mais avant de sortir elle eut un moment d'hésitation. Sa main se figea sur la poignée. Elle se sentait mal à l'aise, comme étouffée par quelque chose, par quelqu'un. Exactement le même sentiment angoissant qui venait la perturber lorsqu'elle s'endormait. La peur l'empêcha de sortir dans la rue désormais noire, elle se doutait que rien ne l'attendait dehors mais ce sentiment l'angoisse, c'était de l'ordre de l'instinct. Elle se retourna et porta son téléphone à son oreille voulant faire semblant d'avoir oublié d'acheter quelque chose pour ne pas avoir l'aire d'une personne dérangée, incapable d'ouvrir une porte et de sortir. Mais lorsqu'elle se tourna, la supérette était vide, seule l'horloge au-dessus de la caisse continuait d'avancer dans un tic tac régulier, annonçant 20h30. Même le caissier poli était parti. L'ambiance semblait changée, pesante. Léna fouilla les rayons du regard à la recherche d'une présence rassurante, même le caissier ferait l'affaire. Lorsque ses yeux s'aventurèrent au fond du magasin, elle se rend compte qu'elle n'arrivait plus à l'apercevoir, il semblait dissimulé dans l'ombre. Pourtant, chaque éclairage était allumé. L'intérieur lui parut soudain bien plus angoissant que l'extérieur. Et merde pour les apparences ! pensa-t-elle avant de courir vers la porte de sortie, mais au moment de la pousser, celle-ci refusa de s'ouvrir. C'est quoi ce cauchemar ! se dit-elle mentalement en poussant convulsivement la porte. Même l'odeur avait changé. Léna s'arrêta de lutter contre la porte, quelque chose l'en empêchait, elle était comme paralysée sur place. Puis lentement elle sentit son corps se tourner vers l'intérieur de la supérette et commencer à marcher. Elle devait rêver, cela ne pouvait pas être la réalité. Malheureusement tout était bien trop vif pour que ce ne soit qu'une illusion. Elle aurait voulu crier pour avertir quelqu'un, n'importe qui, mais son cri resta bloqué dans sa gorge et de sa bouche ne sortit qu'un souffle. Elle ne pouvait pas bouger, son corps étant retenu par une force étrangère. Seules ses jambes avançaient mécaniquement. Cette démarche n'était pas la sienne, son corps ne lui appartenait plus. Elle avançait doucement, irrémédiablement vers le fond sombre et impénétrable du magasin. Dans les ténèbres qui tapissaient sa destination semblaient l'attendre des ombres mouvantes. Tout ce qui se trouvait à proximité de ces ombres lui devenait flou, comme si la netteté elle même était aspirée par le noir intense. Seuls ces yeux répondaient encore et elle ne put s'en servir que pour pleurer. Ses larmes de plus en plus nombreuses roulaient sur ses joues, incontrôlables. Plus elle avançait et plus elle se sentait étouffée. Les poils sur ses bras et sa nuque se dressèrent, comme sous l'effet de l'électricité statique, son poids semblait supprimé. Cette marche lui sembla interminable, comme si l'allée ne faisait que s'allonger au fur et à mesure de sa progression. Elle marcha encore ce qui lui sembla être une éternité avant de se rapprocher des ténèbres. Nan ! Elle ne voulait pas, elle ne voulait pas y aller ! Elle cria mentalement, de toutes ses forces, suppliant une aide quelconque. Son ventre était tellement serré par la peur qu'il lui était douloureux. Malgré tous ses efforts, elle continua d'avancer. Trop effrayée, elle ferma les yeux, elle ne voulait pas voir tout ça. Malheureusement cet acte ne lui fut d'aucun secours car elle voyait encore, comme si on la forçait à regarder à travers ses paupières. Lorsqu'elle n'en fut plus qu'à un pas, les ténèbres se muèrent en une centaine de bras, tous tendus vers elle. Ces mains étaient constituées d'ombres ou bien était-ce l'inverse. Les doigts tendus à leur extrême tentaient de l'attraper dans des gestes convulsifs, essayant de repousser, presque hystériquement, les ténèbres qui semblaient les retenir. Ses jambes s'immobilisèrent enfin, tous les bras se calmèrent soudainement et commencèrent à avancer lentement vers elle. Ils lui effleurèrent d'abord le visage, les bras et les jambes avec une délicatesse presque écœurante avant de la saisir fermement et de la tirer violemment vers eux. Elle ne vit pas grand-chose à par le mur sombre se rapprochant brusquement, elle contracta tous ses muscles, attendant le choc...qui ne vînt pas. Surprise, elle ouvrit lentement les yeux, plus par réflexe que par nécessité. Autour d'elle tout était noir. La douce température de la supérette avait laissé place à un froid saisissant. Léna sentit sur sa peau la texture liquide et poisseuse des ombres qui l'entouraient et glissaient sur sa peau. Aussitôt une douleur atroce lui saisit d'abord le ventre puis remonta le long de son corps jusqu'à sa tête, telle une vague ravageuse. Elle se tordit de douleur, ses muscles étaient tellement contractés que le moindre mouvement était devenu un véritable supplice. Son sang, quant à lui, semblait être en fusion. Cependant, le pire fut la souffrance qui traversa ses mains ; comme si elles étaient lacérées, brûlées et écrasées, tout cela en même temps. Paniquée et persuadée que la douleur allait finir par la tuer, Léna voulu hurler mais aucun son ne se rependit dans cet épais liquide noir. Son agonie était telle qu'elle commença à en perdre la raison. Des images et des sensations lui vinrent, sans aucun sens et sans aucune chronologie. Elles semblaient avoir été prélevées aléatoirement de son esprit, de ses souvenirs et de ceux des autres. Elle vit une main aux doigts noirs, comme tachés de charbon, un cri, un touché brûlant sur son ventre, un éclat doré...Soudain le noir environnant se mua en un bleu d'abord foncé puis de plus en plus clair. Le liquide qui l'entourait jusqu'alors se désépaissit jusqu'à devenir de l'eau. Elle semblait être abandonnée au milieu d'une étendu d'eau, incapable de discerné le haut du bas. A bout de souffle, sa bouche s'ouvrit convulsivement dans l'espoir d'aspirer un peu d'air mais seul de l'eau lui remplit les poumons. Un goût iodé lui arriva dans la bouche, du sel lui brûla le nez. Elle lança un regard paniqué vers la surface désormais visible qui se rapprochait à une vitesse vertigineuse. La lumière du soleil qui pointait derrière cette surface était elle aussi de plus en plus forte, et commençait à l'éblouir. La pression de l'eau se relâcha autour d'elle, tout comme la douleur. Lorsqu'elle traversa enfin la surface, l'eau salée laissa place à l'air frais de la nuit. Léna tomba à la renverse sur le trottoir faiblement éclairé par l'enseigne de la petite supérette, et vomit toute l'eau qu'elle avait avalée ainsi que ce qui lui restait de son dernier repas. Elle avait perdu tous ses repères, tout ce qui venait d'arriver lui semblait confus et commençait à s'effacer, comme un rêve dont il ne nous reste qu'une sensation au réveil mais aucun souvenir. Elle se releva tout en balayant du regard la rue complètement vide. Elle ne put réprimer un frisson au contact des gouttes d'eau qui lui coulèrent dans le cou. Léna regarda en direction du ciel mais il ne pleuvait pas, pas un nuage ne venait troubler le ciel parsemé d'étoiles. Elle passa une main tremblante dans ses cheveux qui étaient complètement trempés. Elle se tourna vers la porte vitrée de la supérette où elle put apercevoir son reflet qui, lui, avait les cheveux parfaitement secs. Léna prit précipitamment une mèche de ses cheveux qu'elle porta devant ses yeux...qu'est qu'elle vérifiait déjà ? Le caissier poli ouvrit la porte vitrée qui fermait la supérette, et lui posa une question d'un air inquiet, ce qui la sortit de sa réflexion. Elle acquiesça, certaine qu'il lui demandait si tout allait bien, avant de lui adresser un pâle sourire. C'était le mieux qu'elle puisse lui offrir, trop inconfortable à cause de ses vertiges. Venait-elle de perdre connaissance ? Léna supposa que cela devait être dû au fait que son dernier repas remontait à la veille. Elle regarda l'heure sur son téléphone qui lui indiqua 20h30, elle avait été plutôt rapide. Elle ramassa le sachet plastique blanc à ses pieds avant de prendre le chemin en direction de son appartement.
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Léna Dunter
FantastikEt si la magie existait depuis toujours mais se révélait nocive pour une partie de l'humanité ? Léna découvre, après l'un de ses énièmes déménagements, l'existence d'une puissance toxique pour la majorité des humains : l'Arcane. À peine âgée de 18 a...