Romains 8:25 (partie 2)

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La masse souillonne et beuglante cessa tout braiment quand l'incarnation de la Loi et de l'Ordre mit pied à terre en soulevant un épais nuage de poussière. Quelques grains de sable se logèrent sous les paupières de deux enfants, postés aux avant-garde par leurs parents inconséquents, qui ne purent s'empêcher de frotter leurs yeux. L'homme n'en fit pas grand cas et emprunta l'escalier sur lequel il fit claquer ses bottes noires cirées à la perfection tandis qu'il retirait ses gants. Ses mains libérées du cuir épais, il put essuyer son front blafard couvert de gouttelettes de sueur. Les sécrétions reprirent cependant de plus belle et la naissance de son crâne ainsi que ses tempes, sur lesquelles tombaient des boucles blondes, presque rousses, se retrouvèrent trempées l'instant d'après. Les uniformes rigides et pesants, essentiels pour résister aux hivers difficiles du nord de l'Europe, n'étaient d'aucune utilité ici.

Il ne m'adressa ni la parole, ni même un semblant de considération. Il ne m'offrit que son dos, déjà voûté alors qu'il n'avait dépassé la trentaine que depuis quelques années. De sa petite giberne qu'il portait à son flanc droit, puisque son épée d'officier occupait l'autre, il tira un parchemin replié sur lui-même et cacheté avec soin. Il brisa le sceau dans un silence assourdissant puis détendit ce qui n'était rien d'autre que la liste exhaustive de mes impardonnables fautes et qui me valait la joie d'être le clou de ce spectacle obscène et archaïque. Tout un chacun ne désirait plus qu'une seule chose : que le lieutenant Trott énumère enfin les méfaits du monstre que j'étais.

      -  Aujourd'hui, 21 septembre de l'an de grâce 1717, troisième année du règne de Sa Majesté George Ier, Roi de Grande-Bretagne et d'Irlande, est présentée par devant vous Antoinette de Maricourt, sujet de sa Majesté Louis XV, Roi de France et de Navarre afin d'être pendue en place publique, jusqu'à ce que mort s'ensuive...

Un frisson d'excitation parcourut les échines qui buvaient les paroles du militaire, mué pour l'occasion en crieur public. Pour ma part, son interminable faconde glissa comme les vaguelettes qui vont et viennent sur le sable de la côte sans laisser la moindre trace sur place. Vint ensuite le catalogue complet des délits, et avant tout des crimes, que le Gouverneur et, à travers lui l'Empire britannique tout entier, me reprochait personnellement. Je ne les retins pas tous, tant la plupart paraissaient saugrenus. Néanmoins, quelques-uns rattrapèrent mon attention qui commençait à rejoindre pour de bon le panorama bleu et infini. Sans hiérarchie ni prudence, on me reprochait de menus larcins sans conséquence avant de me dépeindre en incendiaire de cités populeuses. A mon grand étonnement, le blasphème fut également retenu. Car aucun prélat n'avait jamais osé quitter la quiétude et le confort des palais cossus du Vatican pour se frotter à l'impiété érigée en doctrine par les figures tutélaires de l'Etat insulaire. Personne n'avait jamais mis les pieds dans la minuscule église de Cornucopia dans le seul et unique but de se repentir de ses péchés et gagner ainsi sa place au Paradis. Le reproche, vidé de son sens, permettait cependant encore de faire illusion.

La sédition, suivie de près par la haute trahison envers la Couronne britannique, firent leur apparition sous les ovations de la foule qui retrouva subitement sa langue. Trott poursuivait sa lecture. Je ne quittai pas des yeux ce front fuyant et d'une pâleur presque effrayante. Ses pupilles délavées croisèrent les miennes et ses doigts noueux se mirent à trembler dangereusement, au point qu'il dut stopper son annonce une poignée de secondes pour tenter de recouvrer ses esprits. Et après s'être raclé la gorge, il en termina avec la dernière incrimination et non des moindres . 

       - Enfin, l'accusée ci-présente s'est rendue coupable de sorcellerie et de pratiques sataniques. Seule, elle s'est livrée au culte du Mal et avait porté à la connaissance du Démon nos terres et ses pauvres âmes.

C'était me faire bien trop d'honneur que de me dépeindre en bras droit de Lucifer. Je n'avais jamais idolâtré rien ni personne, encore moins une entité soi-disant supérieure devant laquelle il aurait fallu s'agenouiller matin, midi et soir et faire acte de contrition. Mais la chose revêtait une toute autre importance, ici et maintenant. Il fallait gratter le vernis de ces termes juridiques conventionnels, leur arracher leurs atours civilisés et légaux, les mettre à nu. On ne m'imputait pas mes accointances avec le Diable, qui n'existaient que dans les esprits malades des officiers de justice de la Couronne. On me reprochait d'être une femme et d'avoir un tant soit peu de pouvoir en ce bas monde. Curieuse chose que d'être mise au ban d'une société dont les plus grands monarques ont, sans l'once d'une hésitation, porté jupon et matrice.

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