I.2 - Retour

287 69 26
                                    


— Il y a quelque chose que j'ai oublié de te montrer, dit-elle finalement d'une voix douce, presque un murmure. Ses yeux cherchent les miens, implorant une compréhension silencieuse.

Je fronce les sourcils, une pointe d'inquiétude traversant mon esprit. Mes mains se resserrent involontairement autour de la tasse que je tiens encore, le liquide à l'intérieur frémissant légèrement. Je me lève, mes jambes un peu raides, et m'approche d'elle avec une appréhension grandissante.

Jana dépose le dossier sur la table basse, ses mouvements mesurés comme si chaque geste nécessitait une réflexion profonde. Elle l'ouvre avec précaution, révélant une série de documents aux pages légèrement froissées. Les feuilles sont couvertes de textes serrés, de graphiques complexes et de chiffres alignés en colonnes interminables. Des termes médicaux en caractères gras sautent aux yeux, incompréhensibles pour moi mais porteurs de sens lourds.

Elle sort une feuille en particulier, la tenant entre ses doigts avec une délicatesse presque révérencieuse. Son regard se pose sur moi, chargé d'une compassion qui ne fait qu'accroître mon anxiété.

— C'est le rapport de ton père, pour son dernier examen, commence-t-elle en choisissant soigneusement ses mots. Sa voix tremble légèrement, trahissant l'émotion qu'elle tente de contenir. Il... son état s'est aggravé, Celia. Les médecins pensent qu'il ne pourra plus jamais retrouver une autonomie suffisante. Il y a aussi d'autres complications...

Ses paroles s'évanouissent alors que mon esprit tente de saisir l'ampleur de ce qu'elle vient de dire. Les sons deviennent étouffés, comme si j'étais immergée sous l'eau. Les lignes sur le papier se brouillent, les mots perdent leur sens. Une sourde bourdonnement envahit mes oreilles, et je sens mon cœur s'accélérer, tambourinant violemment dans ma poitrine.

Jana continue de parler, m'expliquant les détails médicaux, les termes techniques, les implications pour l'avenir. Mais ses mots se perdent dans le tumulte de mes pensées. Tout ce que je retiens, c'est que mon père, cet homme qui a toujours été une montagne inébranlable dans ma vie, se détériore lentement sous mes yeux. L'image de lui, robuste et fier, me vient à l'esprit : ses mains calleuses tenant fermement ses outils, son rire profond résonnant dans les collines, sa présence imposante qui semblait défier le temps lui-même.

Je sens mes jambes fléchir, et sans même m'en rendre compte, je me laisse tomber sur le canapé derrière moi. Les coussins s'affaissent sous mon poids, m'enveloppant d'une étreinte molle. Mes mains tremblent, et je les regarde comme si elles appartenaient à quelqu'un d'autre. Une vague de froid me traverse, malgré la chaleur de la pièce.

— Je ne sais pas comment faire, avoué-je, la voix brisée, à peine plus qu'un souffle.

Les mots sortent difficilement, chaque syllabe pesant une tonne. Je n'ai plus la force de prétendre, de masquer ma vulnérabilité derrière un masque de résilience.

Jana s'assoit doucement à côté de moi, le canapé s'inclinant légèrement sous son poids. Elle pose une main réconfortante sur mon épaule, sa peau chaude contrastant avec la froideur que je ressens à l'intérieur. Son regard est rempli de compassion, mais aussi d'une tristesse qu'elle partage avec moi.

Elle ne dit rien, respectant mon silence, comprenant que parfois les mots sont superflus. Sa présence est un baume, un soutien auquel je m'accroche dans ce tourbillon d'émotions. Elle sait que cette bataille, celle d'accepter l'inéluctable, je vais devoir la mener seule, mais elle est là, prête à me soutenir si je vacille.

Le temps semble suspendu. Seul le tic-tac régulier de l'horloge rythme le silence pesant qui s'est installé. Je fixe un point invisible devant moi, essayant de rassembler mes pensées éparses. Une multitude de sentiments m'envahit : la peur, la tristesse, l'impuissance, mais aussi une colère sourde contre le destin qui s'acharne.

LOOM - TOME 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant