III.1- Sables mouvants

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"Le mystère crée des merveilles et des merveilles sont à la base du désir de comprendre." - Neil Armstrong

Les rues du village sont désertes ce matin, enveloppées dans une brume légère qui s'accroche aux pavés comme un voile fragile. La brume flotte délicatement, s'insinuant entre les maisons aux toits d'ardoise, estompant les contours familiers et conférant au paysage une aura presque mystique. Les lampadaires, encore allumés malgré l'aube naissante, diffusent une lueur vacillante qui se perd dans le brouillard. Je marche lentement, les mains enfoncées profondément dans les poches de mon manteau, le col relevé pour me protéger du froid mordant. Mes pas résonnent faiblement sur les pavés humides, le son étouffé par l'épaisseur ouatée de la brume.

Il y a une étrange familiarité dans ce silence matinal, une sensation d'être à la fois chez moi et étrangère. Chaque maison, chaque ruelle porte en elle une histoire que je connais par cœur, des souvenirs figés dans le temps. Les façades aux volets colorés, les jardins endormis sous une fine couche de rosée, les cheminées fumantes signalant des foyers réveillés ; tout est comme avant, et pourtant, tout semble différent. Comme si je redécouvrais ce village pour la première fois, avec des yeux nouveaux, chargés du poids des années écoulées. Peut-être est-ce moi qui ai changé, altérée par le temps et l'absence, ou peut-être est-ce simplement l'effet inéluctable du passé qui se heurte au présent.

Je passe devant la boulangerie où Sara et moi achetions autrefois des pâtisseries chaudes, le parfum du pain frais embaumant l'air. Aujourd'hui, les volets sont clos, et une pancarte « À vendre » est accrochée de travers sur la porte. Un pincement au cœur me rappelle que le temps n'épargne personne, pas même les lieux qui nous semblaient éternels.

Mon regard se pose sur la maison de Petr, le fils de notre ancien voisin âgé. Une bâtisse modeste aux murs de pierre recouverts de lierre, les volets verts écaillés par les intempéries. Une fine fumée s'élève de la cheminée, se mêlant à la brume matinale. Je ne l'ai pas vu depuis un moment, mais il a toujours été proche de ma famille, surtout de Sara. Son jardin, autrefois entretenu avec soin, est désormais envahi par des herbes folles, mais les rosiers qu'il affectionnait tant fleurissent encore, défiant l'abandon.

C'est étrange de revenir vers ces personnes du passé, de frapper à des portes que l'on a laissées derrière soi. Mais je sens que j'ai besoin de comprendre, de rassembler les morceaux épars qui me manquent sur la vie de ma sœur. Petr était toujours là, une figure constante, un témoin silencieux de nos vies, ancré dans ce village comme un arbre séculaire.

Avant même que j'aie le temps de frapper, la porte s'ouvre avec un grincement familier. Petr apparaît sur le seuil, un peu plus mature, les cheveux bruns et le regard perçant et attentif, empreint d'une bienveillance discrète. Ses yeux s'illuminent d'une lueur chaleureuse en me reconnaissant.

- Celia ! C'est bon de te revoir, dit-il en esquissant un sourire sincère.

Il m'invite à entrer d'un geste accueillant, s'effaçant pour me laisser passer. L'intérieur de la maison est imprégné d'une douce chaleur, le crépitement d'un feu de cheminée résonnant faiblement. La maison de Petr est un musée du passé, avec des photos encadrées de paysages montagneux, de gens que je ne reconnais pas forcément, des souvenirs de voyages ou de vies antérieures. Les étagères sont remplies de livres aux reliures usées, de bibelots anciens soigneusement disposés. Tout ici est soigneusement rangé, figé dans un ordre immuable. On dirait que le temps n'a pas bougé depuis mon départ, ou peut-être qu'il a simplement trouvé un refuge entre ces murs, échappant à l'effervescence du monde extérieur.

- Merci de m'accueillir, Petr. Ça faisait longtemps, dis-je en retirant mon manteau, sentant la chaleur ambiante me réconforter.

Il me conduit vers le salon, où des tasses de café fumant nous attendent sur une petite table basse en bois sculpté. L'arôme riche du café fraîchement moulu emplit la pièce, se mêlant à l'odeur du bois brûlé. Petr est un homme qui parle peu mais dont les silences en disent long. Il s'assoit en face de moi, s'installant confortablement dans un fauteuil aux motifs floraux délavés par le temps. Je m'assieds sur le canapé, la tasse chaude entre mes mains, appréciant le contact réconfortant.

LOOM - TOME 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant