04. Piccola

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  Buenos Aires, 2017

  — À demain, Ali, me dit Kiara.

  — À demain, Kia.

  Je la saluais d'un simple mouvement de la main. Kiara était vraiment gentille, elle m'aidait tous les mardis et jeudis après mes cours. Elle savait que j'avais pas mal de difficultés et de lacunes à l'école, mais elle ne me jugeait pas.

  Depuis que j'avais quitté l'école, une boule s'était formée dans mon bas-ventre. Je ne voulais pas rentrer à la maison. Comme à chaque fois, elle va trouver n'importe quoi pour me le reprocher.

  Je baissais la poignée de la porte d'entrée en essayant de faire le moins de bruit possible, mais c'était peine perdue, elle m'avait entendu. J'entendis ses pas descendre les escaliers à toute vitesse. Dès que son regard sombre se posa sur moi, je compris qu'elle était énervée. Je connaissais déjà la suite des évènements. Elle se précipita sur moi en me prenant par le poignet. Elle me traîna jusqu'à la cuisine pour saisir son torchon. Je n'eus même pas le temps de comprendre ce qui se passait que je reçus un coup. Puis, un autre. Et encore un. Elle ne s'arrêtait plus. Je sentais déjà les ecchymoses qui se formaient sur mon corps. Elle déversait sa rage sur moi. Mais pourquoi faisait-elle ça ?

  - Tu me dégoûtes !

  Mais elle ne s'arrêta pas. Chacun des hématomes qu'elle m'infligeait restait, à travers le temps, une cicatrice morale. Chacun des coups qu'elle me donnait m'affaiblissaient. Chacune des fois qu'elle me frappait, je savais qu'elle recommencerait et que ce n'était pas la dernière fois. Avec le temps, j'encaissais sans me poser plus de question. Je comprenais que c'était moi le problème dans l'histoire. Mes mauvaises notes, mes nombreux retards et mes sorties l'énervaient encore plus.

  Soudain.

  Une portière claqua.

  Papa.

  Pile à temps. Il me sauvait, sans le savoir. Comme il l'avait toujours fait.

  Elle n'avait pas prévu son arrivée précipitée. Elle me cria dessus, me forçant à monter dans ma chambre, sans qu'il me voie. Et, comme d'habitude, j'obéissais.

  De ma chambre, je pouvais entendre mon père l'embrasser. Il l'aimait, mais elle, jouait avec lui. Je ne comprenais pas comment c'était possible d'être aussi cruel un moment et un ange à un autre.

  Milan, 2023

  Je me réveille en sursaut. Je tâtai le lit pour comprendre où je suis. Tu es à la maison, respire, elle n'est plus là. Je pleure sans retenue. Je ne me contrôle plus.

  La porte de ma chambre s'ouvre sur Gabriele. Il accourt jusqu'à moi. Il me prend dans ses bras, sans chercher à comprendre ce qui se passe. Il dort peu la nuit, ce qui veut dire qu'il a l'habitude de m'entendre faire des cauchemars. La plupart du temps, c'est lui qui vient me calmer, mais quand il n'est pas là, il demande à Mirella de veiller sur moi.

  Tout en me serrant fort dans ses bras, il dit :

  — Cale-toi sur ma respiration, 1... 2... 3... respire. Vas-y, recommence, 1... 2... 3.

  En quelques secondes, mon cœur réussit à s'apaiser. Je me sens partir. Je commence à me rendormir, comme à chaque crise d'angoisse. Elles m'affaiblissent tellement que je m'endors directement après.

***

  Ayden est en face de moi. Il me fixe comme si j'avais un gros bouton sur le visage. Il est arrivé ce matin, lorsque je dormais encore. Je ne comprends pas pourquoi depuis notre rendez-vous, je le retrouve chez moi, tous les jours. Et Mirella le laisse rentrer à chaque fois, malgré mes interdictions.

  - Tu cherches quoi à la fin ?

  - Toi. Il me regarde toujours avec se sourire pervers.

  - Putain, mais arrête avec ça. Ça n'a aucun sens. Tu me donnes ce rendez-vous pour m'avouer que ton père est un double chien et que ma mère n'est finalement pas morte et après ça tu te pointes tous les jours chez moi comme si c'était chez ta grand-mère. Je veux des putain de réponses.

  — Bon, ok, c'est bon, j'arrête. Si je viens tous les jours, c'est parce que ma belle-mè... enfin ta mère souhaite vraiment te rencontrer. Il m'explique, comme si tout était normal.

  - Mort. De. Rire. Vraiment. Elle n'abandonne pas seulement moi, non, ce serait trop facile, mais aussi mon père, alors que je n'avais que trois ans et comme une putain de fleur, elle revient, 19 ans plus tard, et demande à me revoir. Alors non ! Non, je ne veux pas la revoir. J'explose, à bout de nerfs.

  - Je t'assure qu'elle s'en veut. Depuis qu'elle a divorcé, elle s'en veut. Mais elle n'aimait pas ton père, enfin pas en amour. Il commence et je l'écoute attentivement, sentant les larmes montées. Nos... nos pères étaient meilleurs amis, bien avant que l'on voie le jour. À ma naissance, après la mort de ma mère, Aurora, mon père, Lorenzo, était complètement anéanti, il ne mangeait plus, ne sortait plus, enfin, tu vois, il était au début de son deuil... Mais Giulia, ta mère, a pris soin de Lorenzo à chaque fois qu'il n'allait pas bien. Il explique. Jusqu'à ce qu'ils fautent et échangent leur premier bisou.

  - Je le savais, putain. Tu...

  - Attend, je n'ai pas fini. Il me coupe. Pendant des mois et des mois, nos pères partageaient la même femme, sans que Luis soit au courant. Mais, il a fallu d'une seule erreur pour que ton père s'en rend compte, mais ta mère était déjà enceinte de toi et elle ne voulait en aucun cas t'abandonner, donc elle est restée. Mais tous les sentiments qu'elle avait pour ton père avaient disparu, elle a donc décidé, après trois ans à faire semblant, de vous laisser et de nous rejoindre mon père et moi. Je suis désolée...

  Mon visage est définitivement baigné de larmes. Mon corps entier tremble. Je ne comprends pas comment Aurora a pu nous faire ça.

  — Je suis désolé. Je me lève, ne voulant pas qu'il me voit pleuré.

  Je le remercie intérieurement de ne pas m'avoir suivi.

***

  Je me lève de mon lit pour rejoindre Ayden. Je me dirige vers la cuisine, mais en arrivant, elle est vide. Je le cherche dans la maison, mais elle est vide. Gabriele a rejoint un ami dans un restaurant et Mirella est partie faire des courses. Je suis seule. Je fais demi-tour pour retourner dans ma chambre, mais, je m'arrête, sentant mon téléphone vibrer dans ma poche. C'est un message de... Ayden.

  [ Je pensais qu'un peu de tranquillité te ferait du bien, alors je suis parti. Repose-toi bien, piccola. ]

  — Petite ? Je ne suis pas petite !! Je murmure, dans le déni.

Last nightOù les histoires vivent. Découvrez maintenant