Premier jour

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LE PAS LANGUISSANT, le jeune homme brun se perd avec délectation dans les rues de la ville. Le pont franchi, il s'arrête un instant, le regard épris des flous reflets des édifices dans l'eau limpide du grand fleuve, dont les flots bleu-vert charrient d'innombrables canots. Au bord des quais, des cochers s'affairent ; tantôt ceux-ci déchargent diverses marchandises, tantôt des citadins les abordent pour de nouvelles courses. L'un d'eux jauge le jeune bourgeois qui se présente à lui, au visage beau et affable, et l'invite à monter. Celui-ci l'en remercie courtoisement – chose rare. Il ne décèle pas l'once d'inquiétude qui réside dans l'œil de son passager, rivé sur sa montre à gousset.

Un claquement, et c'est la débandade. Au galop, les chevaux s'élancent sur le pavé, sous la mine impassible des bâtiments millénaires, leurs façades ouvragées défilant avec fulgurance à la vitre du carrosse. De sa redingote, le voyageur tire un papier volant au message improbable, qu'il relit pour la millième fois. Au tournant d'un carrefour, il s'empresse de couper court à la course et, fourrant d'un geste empressé trois pièces d'or dans la main du conducteur fou, il met pied à terre.

Le jeune homme serpente entre les passants du boulevard, pléthoriques à cette heure tardive de la journée, et se dirige avec discrétion vers le café d'une rue adjacente, moins fréquentée. Retenant son pas devant la porte, quelque tourment dans l'esprit, il finit par entrer dans la bâtisse, non sans laisser courir un œil admiratif vers la beauté de la devanture, lettres courantes sur bois effilé.

L'arrivant s'assied dans un fauteuil de velours à l'allure confortable et se décoiffe, posant son haut-de-forme et sa cape de voyage sur la table. Précédant le serveur, la créature de merveille apparaît. Avec assurance, elle prend place, tout sourire, face au jeune homme décontenancé. « Je vois, Monsieur, que vous avez eu mon billet. »

La belle demoiselle arrange son châle coloré sur ses épaules de nacre, légèrement vêtues d'une étoffe de belle facture. Le jeune officier, désarmé, se ressaisit. Les traits de son visage, d'apolloniens, se font martiaux. « Madame. Je n'ai que peu de temps. »

Le sourire séducteur de son interlocutrice se fige. Elle pose sa main délicate sur la table ; un silence plane. Il lance le feuillet manuscrit sur la table. « Vous me devez des explications. »

Les joues de la dame s'enflamment. Le regard brûlant, elle implore le bel officier de ne pas s'y méprendre. D'une voix de basse, il assène la sentence. « Je ne suis guère venu pour prendre le thé. Ne faisons pas d'esclandre. Je pense que vous devriez me suivre. »

Elle se lève, le port altier, le menton relevé. « Ce n'est pas moi qui l'ai tué, Monsieur. Vous devez me croire, je vous en conjure. »

Resté assis, il se perd en conjonctures, le front plissé. Ce ne sont là que des lettres, qui ne prouvent pas grand-chose ; mais l'affaire est entendue. Tant d'œuvres d'insistance et de séduction ne peuvent qu'occulter du moins un indice, sinon quelque méfait. Il plonge ses prunelles noires dans celles, vertes, de la suspecte. Serait-elle l'assassin du Ministre ?

Les iris de jais tressaillent et se détournent, se plantant sur les feuillets posés nonchalamment sur la table. L'élégant officier revêt son chapeau et quitte le café, talonné par l'accusée qui l'escorte à contrecœur. Ceux-ci ne déambulent pas bien longtemps ; une dizaine de minutes suffisent à l'Inspecteur pour gagner la porte finement ouvragée d'un hôtel particulier. Un doux cramoisi emplit le visage d'albâtre de la jeune femme. Raide comme un piquet dans son uniforme bleu marine, un sergent de la garde impériale, redevenue royale par la force de la Restauration, s'écarte. « Je ne vous présente plus le quartier, je suppose. Entrons. »

Une douce mascarade - NouvelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant