Deuxième jour

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L'HOMME GÎT, inconscient, à découvert, sous l'emprise ténébreuse de quelques maux profonds. Tout près, trois visages veillent, dont les silhouettes s'affinent sous la lumière du soleil levant.

« Notre pauvre homme est en proie à des crises de délire intermittentes. Il s'est bien éveillé avant l'aurore, cependant les valets n'ont su lui arracher une seule parole intelligible sur les circonstances de sa vile agression. »

Un rayon d'aube se reflète dans l'œil de l'Inspecteur, qui le congédie aimablement.

« Je vous remercie, Docteur. »

Face à l'officier à l'air endimanché, traits fatigués par la longue nuit, se tient un dignitaire du régime, nouvelle piste potentielle évoquée par la jeune dame ce matin même. Le suspect demeure impassible.

« Monsieur le Comte. Me permettez-vous quelques questions ? »

Le noble acquiesce. De physionomie quelconque, le Comte inspire toutefois un charisme troublant ; quelque chose d'insaisissable dans ses traits fins dénote une brutale aptitude à commander et une intelligence certaine. L'Inspecteur ne sait comment aborder le personnage. À son franc-parler habituel, il substitue une flatterie précautionneuse.

« En tant que plus haut dignitaire de la Chambre des Pairs, il est de notoriété publique que vous disposez d'un accès privilégié à l'information circulant au sein de la Cour... »

Le Comte ne laisse filtrer aucune émotion.

« Que pouvez-vous me dire sur notre Notable ? A-t-il des ennemis ? »

« Pas que je ne sache, non. Il est un homme apprécié parmi ses pairs. »

« Il a pourtant été empoisonné. »

« Les comploteurs sont pléthore ces temps-ci, entre rêves de République ou de grandeur napoléonienne restaurée... »

Le gisant remue, torturé, puis se rendort, la face crispée.

« Pourquoi le Notable ? »

Un soupir las témoigne d'une légère impatience. « Pourquoi pas ? Cela aurait très bien pu être moi-même ou quelqu'un d'autre, si notre hypothétique agresseur avait eu plus de culot et de ressources. Il s'est certainement trouvé une cible facile à un moment particulier. »

« Vous partez donc sur la thèse du complot contre la monarchie. »

« Nous nous perdons là en conjectures. D'autres questions tout autant précises ? »

Passablement agacé par l'attitude nonchalante du Comte, l'Inspecteur ne lui cherche pas noise, conscient du pouvoir d'influence démesuré du personnage – et l'impact que l'obscur personnage pourrait avoir sur sa carrière s'il s'attirait ses foudres.

« Le Ministre. Comment le décririez-vous ? »

« Ma foi, bien mort... »

« C'est bien notre problème. Pourquoi ? »

« De cela, je ne sais foutrement rien non plus. Comme tout politicien, il avait des amis comme des ennemis. Je suppose qu'être Ministre de l'Intérieur n'est pas chose facile, surtout lorsqu'il s'agit de rétablir l'ordre public en ces temps troubles. »

Le policier rejoue en pensée les éléments trouvés chez le Ministre.

« Vous maintenez donc la thèse du complot. »

Une douce mascarade - NouvelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant