Troisième jour

2 1 0
                                    

UN MUTISME ÉTRANGE règne dans l'appartement au réveil du jeune officier. Le foyer de la cheminée s'est éteint, et le salon est bien désert. Les parchemins et impressions sont éparpillés dans un chaos plus grand encore qu'hier ; la maîtresse des lieux, disparue, est certainement affairée à quelque investigation de palais pour l'enquête. Les dix tintements de cloche d'une église proche lui signifient que l'heure est déjà bien avancée. L'Inspecteur erre, chagriné de se retrouver seul pour le petit-déjeuner, qu'il décide aussitôt d'oublier pour se rendre aux Tuileries séance tenante afin d'éprouver la solidité d'hypothèses nouvelles échafaudées tard dans la nuit.

Ses pas, d'une langueur toute matinale, ont tôt fait de le conduire à l'intriguant palais, par une courte mais plaisante balade sur les quais de Seine. Là-bas, les gardes fourmillent, brutaux et indisciplinés, filtrant rues, places et entrées. Un détour de galeries et la raison de l'inhabituel essaim se révèle à lui ; le Notable n'a point bougé, toutefois un tesson de verre planté en travers de la gorge a définitivement éloigné la perspective d'un réveil utile à l'enquêteur. L'arme du crime est un vase de belle facture, dont les restes reposent avec le bouquet sur un tapis persan.

Un éclat de rage du policier délie la langue du personnel de palais à la mine honteuse. Bien que des cris eurent alerté la garde et quelques dormeurs légers durant la nuit, le coupable se serait évanoui par une porte dissimulée derrière la tapisserie dont nul n'avait eu vent. Convoqué sur-le-champ, le médecin, d'une voix contrite, précise que la victime s'était réveillée plus fréquemment et que les crises de délire semblaient perdre en intensité, bien que le majordome n'ait pu interpréter ce qu'eût dit le Notable lors de ses courts accès à la raison. Pour l'homme de sciences comme pour les spectateurs alentour, il est clair que le coupable craignait de voir son identité révélée par le survivant, par conséquent éliminé une bonne fois pour toutes.

Terré dans une salle plus lointaine, un cercle de la bonne société tient ce qui a trait à une réunion de crise dont l'objectif principal est d'obtenir l'information mondaine la plus précise – et délectable – qui soit sur les faits honnis commis au cœur du pouvoir royal. Gravitant parmi les grands noms, le Comte, atteint de la plus grande souffrance, plaint la perte d'un ami estimé. Déterminé à tester des éléments nouveaux du dossier, l'Inspecteur l'interrompt et le tire hors de la pièce.

« Monsieur, je ne vais pas y aller par quatre chemins. Où étiez-vous cette nuit et que faisiez-vous ? »

Le haut dignitaire est interloqué.

« Chez moi, enfin ! Vous n'allez tout de même pas me dire que je suis le premier suspect dans cette affaire ? »

« J'ai pourtant de bonnes raisons de le penser. Le Notable n'était pas un si bon ami lorsqu'il s'agissait d'obtenir une promotion. Sous l'Empire comme la Monarchie, vous étiez plus régulièrement en conflit ouvert pour vous attirer les meilleurs auspices qu'en grande entente, que ce soit dans les registres officiels ou les témoignages sous couverts. »

« La concurrence pour le pouvoir est le propre de chaque membre de ce milieu... Cela ne signifie pas pour autant que j'en viendrais à tuer un ami. »

« Qui n'a, encore une fois, d'ami que le nom, à ce qu'il se dit. »

Le visage du Comte s'obscurcit.

« Ce n'est que parole de majordomes et bonnes femmes contre la mienne, et il semble encore que cette dernière prévale. Vous manquez d'éléments concluants à mon égard. Je ne suis un suspect tout donné que pour vous seul. »

« Je me dois d'investiguer chaque hypothèse jusqu'à son extrémité. »

Son regard se fait dur.

Une douce mascarade - NouvelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant