II-2-Huis Clos, Sept Mots

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Devant la bibliothèque universitaire de Cambridge, Cambridge, lundi 1er janvier 2024

« Pas de valise ? demanda Edgard Chatterton au retardataire.

Celui-ci soupira, et monta dans l'une des deux voitures censée les emmener au manoir. Celle-ci était conduite par l'homme qui s'était présenté à lui, tandis que l'autre appartenait visiblement à la petite femme irascible qui, il l'avait cru, avait faillit l'assassiner à cause de son retard. L'éclair de folie qu'il avait cru distinguer dans ses yeux lui avait fait penser à bon nombre de personnages qu'il avait pu incarner au théâtre.

Et cela était loin de le rassurer.

Il regarda ceux qui s'installaient petit à petit à ses côtés dans l'immense voiture noire. Il priait pour que ceux ne soient pas les pires des imbéciles — bien qu'il pensait lui-même aisément mériter ce titre.

A ses côtés, une jeune femme à la courte coupe brune s'assit, prenant bien soin de ne pas prendre la place du milieu, celle à côté de lui. Elle ne lui lança pas un seul regard et se contenta de poser son sac à dos sur ses genoux. Celui-ci, d'un gris délavé, tombait presque en lambeaux. Les lanières s'étaient effilochées au fil du temps. Pourquoi emporter celui-ci, s'il était en si mauvais état ? Il fallait en racheter un.

Ou alors peut-être n'en avait-elle pas l'argent.

Felix se surprenait toujours à oublier que certains, au contraire de lui, ne possédaient que peu de biens, et ne pouvaient se permettre d'en acheter d'autre. Une attitude héritée de son père, dont il n'arrivait pas à se débarrasser depuis toutes ses années.

Une attitude qui leur avait valu la haine des Walker, et de se faire droguer au nouvel an.

Une nouvelle femme entra, et passa par-dessus les fines — voir squelettiques — jambes de l'autre, pour s'assoir au milieu. Sa chevelure blonde fouette au passage le visage du jeune homme, mais il n'osa rien dire, trop occupé à l'observer. Il ne lui fallut qu'une seconde pour se rendre compte qu'elle était en réalité probablement brune, et qu'elle cherchait à attirer son attention. Elle secoua sa main devant son nez.

« Hey ! lâcha-t-elle sur un ton enthousiaste. Je suppose que tu dois être le fameux Félix Kent. »

La manière dont elle avait accentué l'adjectif laissait percevoir que cette réputation n'était pas pour lui déplaire. A vrai dire, lui-même ne se sentait pas offensé qu'elle s'intéresse à lui.

Au contraire, même.

En arrière-plan, il crut apercevoir la dernière hausser un sourcil et tordre sa bouche dans un rictus de dégoût. L'héritier des Kent ne s'en offensa pas. Elle ne lui paraissait pas plus signifiante que cela. En revanche, celle qui lui souriait à présent avait tout du type de profil qu'il recherchait en soirée. Elle avait elle-même pris l'initiative de leur rencontre — et qu'importe si cela était motivé par sa fortune ou non. Alors que son regard tombait sur la chemise un peu trop ouverte de son interlocutrice, il répondit :

« Mince, je crois que je suis démasqué ! Et à qui ais-je l'honneur ?

— Erin. Erin Chamberlain, s'empressa-t-elle d'enchaîner tout en piquant un fard.

— Eh bien, Miss Chamberlain, honoré. »

Il mima un baise main et la jeune femme — Erin, à priori — rit en retour, lui prenant la main pour la serrer, comme pour sceller officiellement leur rencontre.

Huis Clos, Sept MotsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant