ERALDIOR - Volume 2 - Le Voyage de l'Étoile d'Arden

Chapitre 12 : Un pays de fer et de vent

Les flocons tombaient dru sur les murailles de la citadelle de Farnën. La neige avait déjà recouvert la route d'accès qui serpentait entre les sapins jusqu'au sommet de la crête où se dressaient ses tours austères. Du bout du pied, Iliana fragmentait les plaques de verglas qui crissaient sous ses bottes. Dans ce blizzard, on y voyait à peine à trois pas. Malgré ses gants fourrés, elle ne sentait plus le bout de ses doigts. Dire que les habitants de ce pays vivaient en majorité dehors par tous les temps... Elle frissonna rien que d'y penser.

D'un pas vif, la lieutenante franchit la herse à l'entrée du fort et obliqua vers le donjon, une imposante tour carrée dont le sommet tombait à moitié en ruine. Pas étonnant quand on savait que ce fort datait de la première dynastie, bien avant la genèse des Clans qui gouvernaient Lassan depuis des siècles. Malgré le froid, la cour fourmillait de soldats – des sentinelles qui rentraient de patrouille, d'autres qui s'entraînaient ou empruntaient les escaliers étroits du chemin de ronde pour relayer leurs camarades. La poudreuse était presque noire à force d'être piétinée sous leurs semelles. Une vague de chaleur souffla sur les joues d'Iliana alors qu'elle dépassait l'atelier où les forgerons travaillaient d'arrache-pied au son des soufflets et des tintements métalliques des marteaux sur les enclumes. Un son annonciateur d'une bataille à venir.

Iliana gravit les marches du donjon quatre à quatre jusqu'à une porte en bois sombre et jeta négligemment son manteau sur une chaise dans la pièce qui lui servait de bureau. La porte claqua derrière elle, étouffant un peu l'agitation distante de ses troupes. Elle frotta ses mains devant le feu qui ronflait dans la cheminée pour les réchauffer, en vain. Il allait pourtant falloir que ses doigts fassent un effort ; elle avait de nombreuses correspondances à rédiger. Saevus n'avait pas distribué à ses subalternes assez de pierres de sang pour lui permettre de s'épargner ce travail fastidieux.

L'aube n'était levée que depuis quelques heures, mais Iliana avait déjà fait sa ronde quotidienne pour vérifier les défenses de la forteresse, supervisé l'inventaire du chargement déposé par le dernier laestravel reparti la veille, commandé des armes supplémentaires pour les recrues tout juste arrivées et croisé le fer avec quelques soldats pour s'assurer de la qualité de leur entraînement. N'importe qui d'autre aurait trouvé cela épuisant, mais elle savait qu'il lui restait encore beaucoup à faire avant d'envisager de s'accorder une pause. Son estomac gronda à cette pensée. Elle n'aurait pas été contre une collation et un verre de vin chaud...

Elle s'assit à la table massive qui trônait au centre de la pièce et trempa sa plume dans l'encrier laissé à sa disposition. Des cartes des montagnes de Lassan tapissaient toute la surface de son bureau, certaines qu'elle avait tracées elle-même, d'autres établies par des cartographes qu'elle avait envoyés en éclaireurs autour de Farnën pour consigner chaque détail de la topographie et chaque cachette où les elfes auraient pu dissimuler leur maudit Portail. Les informations rassemblées par Relan au sujet de son emplacement restaient désespérément vagues – la peste soit du prince elfique et de sa prudence – mais elle ne comptait pas se lancer dans cette opération à l'aveuglette pour autant. Si ses troupes ne pouvaient deviner à l'avance où elles devraient se rendre, Iliana devait au moins s'assurer qu'elles connaitraient les environs comme leur poche pour réagir au quart de tour, le moment venu.

Elle empila soigneusement les cartes pour se faire de la place et déroula un bout de parchemin vierge. Alors qu'elle commençait à écrire, trois coups secs résonnèrent à la porte. Une goutte d'encre s'écrasa sur l'en-tête de sa lettre. Elle étouffa un juron.

– Entrez !

L'intrus n'avait pas attendu sa permission pour le faire. La porte pivotait déjà sur ses gonds, et un Héranit de haute taille s'avança dans la pièce d'un pas assuré.