Chapitre 8 : De cœur et de sang (I)

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Dans les rues de Diluvia, l'odeur du goémon séché était plus forte que jamais. Le vent agitait les coquillages accrochés aux toitures, des guirlandes de patelles peintes d'un millier de nuances de bleu, qui cliquetaient avec entrain comme si elles se moquaient du défilé des passants en dessous d'elles. Cela ne semblait pas déranger les Baltantes. Le visage peint de marques sinueuses en l'honneur de Mor, le corps drapé de capes de cérémonie qui leur donnaient l'allure de méduses, des dizaines de sirènes convergeaient vers la baie d'un pas léger, dans la rumeur des palabres en océanide. Sur les plages, des bouffées de fumée blanche s'échappaient des grands bûchers dressés sur les galets où rôtissaient des congres fraîchement pêchés, baignés de la lueur rougeoyante du soleil couchant. Quelque part, des tambours accompagnaient un chœur de voix éthérées. Leurs coups sourds vibraient dans l'air comme des battements de cœur. Réguliers et pourtant impatients.

 Ça donnerait presque envie de se joindre à eux, déclara Eff'il.

Comme pour approuver ses propos, son ventre émit un gargouillis sonore qui fit rire Selena.

 Comment tu fais pour avoir encore faim pour du poisson ?

 Et comment tu fais pour y résister ? rétorqua-t-il sur le même ton. On n'a rien mangé depuis ce matin !

Elle haussa les épaules. La perspective du départ le lendemain lui coupait un peu l'appétit.

La journée avait pourtant été bien chargée, entre les affaires à rassembler à l'auberge, la visite du Soigneur pour sa plaie, la vente d'une grosse partie de la cargaison de l'Étoile et le déplacement du laestravel dans les terres, où son immense carcasse ne risquerait pas de déranger les autochtones.

À l'abri d'une crevasse du côté ouest du volcan, le navire volant pourrait dormir des années sans être retrouvé. Même si les Héranits s'aventuraient jusqu'aux Baltos, ils auraient fort à faire avant de repérer le bâtiment, vu les milliers de gouffres et de boyaux sombres qui sillonnaient les flancs du mont Grannos. La manœuvre avait été délicate, mais Flora avait veillé à ne pas l'abîmer davantage, au cas où ils auraient besoin de le récupérer un jour. Selena l'avait aidée à le cacher en couvrant l'entrée de la cache d'un rideau de lierre. La vue du navire sur le flanc, abandonné dans les profondeurs d'une autre grotte oubliée du monde, avait laissé à la jeune fille un goût amer. Elle s'était habituée au confort sommaire de la cale, à l'odeur du bois humide et du goudron, aux grincements des mâts du laestravel et au claquement de ses ailes les soirs de tempête. Laisser l'Étoile derrière eux, c'était comme abandonner un vieil ami ronchon et estropié, qui les avait sortis d'un bien mauvais pas. Pourtant, il le fallait. Sylva n'allait pas les attendre éternellement.

Eff'il se leva des rochers où ils profitaient des derniers rayons de soleil. Un peu plus loin, des enfants couraient dans les vagues en s'éclaboussant, tandis que leurs parents déposaient sur la mer de minuscules lanternes pareilles à des bulles de lumière. Dans la brise du crépuscule, leurs cheveux d'un bleu transparent se paraient de reflets mauve et or.

 Allez, viens. Les autres nous attendent pour le souper.

 Tu ne penses qu'avec ton estomac, se moqua Selena en lui emboîtant le pas.

 Tu devrais en être heureuse, certains pensent avec des parties de leur corps bien moins nobles que ça, répondit son ami d'un ton léger.

 Eff'il Tyëld'Alf, depuis quand es-tu aussi vulgaire ? C'est Relan qui déteint sur toi ?

 Je parlais de leurs pieds ! C'est toi qui as les idées mal placées, pour une Altesse !

Ils s'éloignèrent de la plage en se chamaillant. Eff'il s'effaça pour la laisser entrer la première dans l'auberge.

ERALDIOR - Volume 2 - Le Voyage de l'Étoile d'ArdenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant