Chapitre 2: planer ici et là dans le noir de l'Oubli

13 0 2
                                    

Tu es si magnifique, les frissons parcourent mon ventre quand je te vois allongée, tu sembles si paisible quand tu es endormie. Ton odeur me fait vibrer. Tes cheveux roux bouclés cachent tes rousseurs. Ton expression est toujours la même, impassible, indestructible, peu importe ce qui se passe autour de toi.

Chaque geste de ta part montrait que tu étais calme et douce. Tes pensées ont toujours été patientes et confiantes quoique parfois emportées. Tu as toujours été passionnée par la littérature toi aussi. Nous avons partagé nos lectures chaque jour loin des regards curieux. Ceux-là ne nous auraient pas compris. La première fois que tes yeux se sont posés sur moi, tu as pensé qu'il y avait ce quelque chose d'inhabituel en moi. Tu voulais mieux me connaître mais tu étais timide. Je ne l'ai pas remarqué tout de suite. Quand je t'ai vue, tu m'as semblée être un ange. Tu as foudroyé mon cœur, m'apportant la lueur que je pensais ne jamais connaître.

C'était pendant les grandes vacances. Je ne t'avais jamais vue auparavant. Tu portais une jupe bleue en jean et un débardeur rose, tes cheveux volaient dans le vent chaud d'été. Quelques boucles rebelles s'enroulaient dans ton petit collier fait main, et tu les repoussais délicatement derrière tes oreilles. Ton parfum restait collé aux rayons de la boutique pendant des heures quand tu flânais par ci par là. Nos regards se sont croisés et tu m'as souri. Depuis cette fois, tu es venue chaque weekend à mon travail. Au départ, j'ai cru que tu étais une des nombreuses groupies qui tournaient autour de mon frère. Puis, j'ai réalisé que tu ne venais que le samedi après-midi, à l'heure exacte à laquelle je le remplaçais à la boutique. Il ne travaillait que le matin. Je t'avais observée chaque fois que mon frère partait et que tu arrivais, tu ne lui avais jamais jeté un coup d'œil. Je me suis dit que tu étais alors différente des autres, et ça m'a donné de plus en plus d'espoir. Tu marchais chaque jour tranquillement vers la boutique, je t'attendais impatiemment pour échanger un sourire, un regard, quelques mots. Tu étais devenue ma mystérieuse cliente du samedi après-midi. J'ai écrit un mot sur le ticket de caisse de chacune de tes commandes, la moitié a sûrement fini à la poubelle sans que tu ne les voies. Tu venais toujours acheter quelques petites choses pour décorer la maison de ta grand-mère. Tu y passais tous tes weekends.

Tu erres dans mes rêves,
Disparais dans mes peurs
Me réveille et enlèves
Toutes craintes ou douleurs.
Dans cette mer de folie,
Notre passion est assouvie.

Un jour, tu es même arrivée au magasin par temps d'orage. Le tonnerre grondait et la pluie ne cessait de tomber, mais tu es venue quand même. Tu t'étais déplacée pour aller chercher un pot de fleur pour la chambre de ta grand-mère. Tu étais trempée, j'ai aperçu ta douce peau à travers tes vêtements fins. J'ai cherché une excuse pour m'approcher, j'ai fait semblant d'organiser un étalage à quelques mètres de toi, et tu es passée. L'allée était si petite que tu as effleuré mon bras. Tu étais froide et humide à cause du mauvais temps. Tu m'as souri. Les jours sont passés et tu es venue acheter un tas de produits : du terreau et de l'engrais pour le jardin, des plantes pour la terrasse, des pots de fleurs pour la maison, du muguet pour la nouvelle saison, des feuilles mortes pour un projet automnal, du houx pour décorer une photo de noël. Un an est passé et chaque fois, j'écrivais quelque chose sur ton ticket de caisse, quelques mots, quelques dessins. Je t'aidais à porter les gros sacs de terreau à la voiture de ta grand-mère parfois. Tu aimais passer du temps avec elle chaque weekend, et ça te permettait de venir à la boutique par la même occasion.

Un jour, tu es venue chercher une couronne d'œillets rouges et blancs pour son enterrement. Je ne t'ai pas vue pendant quatorze jours après ta dernière commission. Et puis tu es revenue, d'un pas rapide : tu as traversé la boutique de mes parents et tu es venue me rejoindre dans la réserve. J'entreposais quelques boîtes qui venaient de nous être livrées. Mes parents étaient partis déposer de l'argent à la banque. Tu le savais car tu avais observé leur routine chaque fois que tu venais. Tu les voyais partir tous les samedi après-midi avant la fermeture de la banque. Tu décidais toujours de venir me parler, mais au dernier moment tu te défilais. Finalement, tu disais bonjour, achetais un petit quelque chose, bafouillais au revoir, et disparaissais. Ce jour-là tu as bravé ta timidité. Tu ne m'as pas parlé mais tu m'as lancé un petit regard triste. J'ai senti tout de suite que ça n'allait pas. Je n'ai su que plus tard qu'après la mort de ta grand-mère, sa maison avait été vendue et que tu ne pourrais plus venir me voir. Tu t'es approchée de moi et as déposé un tendre baiser sur mon front. Par cette étreinte, tes larmes ont mouillé mes joues et ton parfum s'est plongé dans mes vêtements. Tu as enlevé ton collier de petits coquillages fait main et me l'as mis autour du cou. Tu m'as dit au revoir je crois. Je ne me souviens pas. Et puis, comme d'habitude, tu es partie.

Les Blessures SpirituellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant