Chapitre 4 : Me plonger avec calme dans ce profond lit

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Tu sembles si tranquille, allongée sur ton lit d’hôpital, on dirait un ange. Tu as passé des moments difficiles. Ton visage, qui était marqué par l’angoisse et la fatigue, est si calme à présent. Te voilà apaisée enfin. Tu rêves sans doute. Tu me manques. Tout est si différent maintenant, mais tu restes là impassible avec cette beauté figée par le temps. Tu ne m’entends peut–être pas, mais ça ne m’empêche pas de venir te rendre visite chaque jour. Te voir me rassure même si tu ne parles pas, même si tu ne me vois pas. Te rappelles-tu de nos jours ensemble, te rappelles-tu de ce que nous avions ?

Le jour où j’ai dit à mes parents que tu étais bien plus que mon amie, tout est devenu plus simple. Il n’y aurait plus de mensonges à inventer, je n’aurais plus de secrets à cacher. Mon angoisse s’était dissipée. Le lendemain, en allant au lycée je me sentais légère et indestructible. Quand mes parents m’ont déposée devant la grille, j’attendais avec impatience de t’apercevoir. C’était ma routine : Je m’asseyais près de l’entrée du lycée et je patientais jusqu’à ce que tu passes. En te voyant arriver au lycée ce jour-là, tu m’as paru distante et préoccupée. Tu m’as à peine regardé, t’es arrêtée devant moi et baissée pour refaire tes lacets. Tu as levé ton pantalon, juste assez pour que je remarque un ruban bleu à ta cheville. Cela signifiait qu’on ne pouvait pas se voir ce soir là. En général, quand tu mettais un ruban bleu autour de ta cheville, tu y ajoutais un ruban blanc pour qu’on se retrouve et que tu m’expliques le pourquoi du comment. Il y en avait eu quelques uns de ces rubans bleus. Je les redoutais terriblement. Il y avait eu les dîners en famille de dernière minute, les soirées mère fille que ta mère avait planifié sur un coup de tête, les visites forcées à l’église, les heures de colle qui t’avaient été données… Oui, il y avait eu quelques rubans bleus, mais celui-là était le plus effrayant de tous. Il voulait dire qu’il n’y aurait aucun rendez-vous, aucune explication ; tu ne me parlerais pas de la journée.

Solitude et silence condamnent mon âme :
Où es-tu partie, voix de ma divinité ?
Reviens-moi ô douce et jolie femme d’Eden !
Protège-moi de Madame l’insanité.

Tu es entrée au lycée comme d’habitude : radieuse. Tes cheveux volaient dans le vent d’hiver. Ils brillaient sous le soleil timide du matin. On aurait cru une déesse à la chevelure de feu. Tu as retrouvé ton groupe d’amies et vous vous êtes assises sur un des bancs de la cours. J’entendais déjà certaines se moquer des secondes qui passaient devant elles. Une lycéenne rebelle n’a pas apprécié. Elle s’est approchée tranquillement, sa cigarette à la main et vous a demandé ce qu’il y avait de drôle pour que vous riiez toutes comme des folles à son arrivée. Elodie lui a répondu qu’elle avait un style de poubelle. Elle était à deux doigts de se prendre une claque quand tu t’es interposée entre elles deux. Elle s’est arrêtée, t’a bien regardée et a murmuré quelque chose. J’étais trop loin pour entendre ce qu’elle disait mais je pouvais voir que ça t’avait fait rougir. Tu avais adopté la même allure que tu avais la première fois que l’on s’était rencontrées à la boutique de mes parents : les épaules levées, la tête baissée, comme pour te protéger. Si tu avais été une autruche, tu aurais sûrement caché ta tête dans le sol. Tu ne voulais pas qu’on te voie rougir. La sonnerie a marqué la première heure de cours du mardi matin.

J’ai marché seule vers la classe d’italien à la dernière minute, comme d’habitude. C’était ma façon d’éviter les commérages et moqueries en passant devant les gens de la classe dans les couloirs du lycée. Quelques minutes avant la sonnerie, alors que je montais le premier étage, je t’ai vue marcher, seule, sans ton groupe d’amies. J’ai accéléré le pas pour te rattraper, je t’ai appelée. Tu n’as pas répondu. J’ai commencé à courir et je t’ai agrippé le bras. Tu t’es retournée avec stupeur. Tu étais en train d’écouter de la musique dans ton ipod, tu ne m’avais pas entendue. Tu avais le visage boursouflé, comme si tu avais pleuré toute la nuit. J’ai voulu te serrer dans mes bras, tu m’as repoussée. Quand je t’ai demandé pourquoi tu portais un ruban bleu, tu n’as pas voulu me répondre. Tu as dit que tu n’avais pas le temps de me parler. Tu as tourné la tête, comme pour éviter mon regard et tu t’es hâtée vers la salle d’italien, comme si tu avais peur de quelque chose.

Les Blessures SpirituellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant