Te laisser seul

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Naoki serait toujours avec moi, me donnant la force de me battre pour un monde où personne ne serait jamais blessé de cette manière.

La lecture des dernières pages du journal de Naoki m'avait plongé dans une rage sourde, une colère qui brûlait en moi comme un feu incontrôlable. Comment j'ai pu être si aveugle, si insensible à la détresse de mon propre frère ? Chaque mot, chaque ligne de son journal me transperçait comme une flèche empoisonnée. Naoki avait souffert en silence, et moi, son grand frère, je n'avais rien vu, rien fait pour l'aider.

Je me levai brusquement, le journal toujours serré contre ma poitrine. La plage s'étendait devant moi, vaste et indifférente. La mer, d'un bleu éclatant sous le soleil de l'après-midi, semblait se moquer de ma douleur. Je jetai un regard furieux à l'horizon, sentant une boule de colère se former dans ma gorge.

-Pourquoi !? hurlai je, ma voix se perdant dans le bruit des vagues. Pourquoi j'ai rien vu ?! Pourquoi j'ai rien fait ?!!

Je tomba à genoux, avant de me mettre à frapper le sable de mes poings, comme si cela pouvait soulager la douleur qui me rongeait de l'intérieur. Chaque coup était une libération, un moyen d'exprimer la rage que je ressentais. J'étais furieux contre moi-même, contre le monde, contre les enfants cruels qui avaient fait souffrir Naoki.

Les larmes coulaient librement sur mon visage, se mêlant au sable humide. La rage et le chagrin se mélangeaient, formant un tourbillon d'émotions que je ne pouvais contenir. J'avais échoué. J'avais échoué à protéger mon petit frère, la personne la plus précieuse à mes yeux.

"Naoki... Je suis désolé..." murmurais je entre deux sanglots, ma voix brisée par la douleur. "Je suis tellement désolé..."

Je restai là, sur le sable, pendant ce qui me sembla être des heures. Le soleil continuait de briller haut dans le ciel, indifférent à ma souffrance. Mais cette ma colère, je savais qu'elle ne me ramènerait pas Naoki. Rien ne pourrait combler le vide qu'il avait laissé.

Finalement, épuisé par la colère et le chagrin, je me laissai tomber en arrière, regardant le ciel azur. Les mouettes volaient au-dessus de moi, leurs cris perçants se mêlant au bruit des vagues. J'avais toujours aimé regarder le ciel avec Naoki. C'était notre moment à nous, un moment de paix et de complicité.

Alors que je fermais les yeux, mon téléphone vibra dans ma poche. Je le sortis et découvrit un message d'Helya.

De Helya : Je récupère Ren à l'école et je te rejoins, t'es où ?

De Moi : La plage.

Je laissa tomber mollement le téléphone quelque part à côté de moi, dans le sable. Je ferme à nouveau les yeux.

13 mai

Jun,

Aujourd'hui, je veux t'écrire quelque chose que je n'ai jamais osé te dire de vive voix. Tu sais que je ne suis pas comme les autres enfants de mon âge. Maman et papa m'ont expliqué que j'ai une maladie du cœur, une maladie qui rend chaque battement de mon cœur incertain.

C'est difficile à expliquer, mais je vais essayer. Tu sais quand on court après une balle et qu'on sent notre cœur battre vite, comme s'il voulait sortir de notre poitrine ? Eh bien, moi, c'est comme ça tout le temps, même quand je suis assis tranquillement à la maison. Parfois, j'ai l'impression que mon cœur va s'arrêter, comme s'il n'avait plus la force de continuer à battre.

Les médecins ont dit à maman et papa que ma maladie est sérieuse, qu'elle peut me rendre très fatigué et me donner des vertiges. Ils ont dit que je devais faire attention à ne pas trop me fatiguer et à me reposer souvent. C'est pour ça que je ne peux pas jouer autant que les autres enfants ou courir comme eux.

Je voulais te dire ça parce que je sais que tu es mon grand frère et que tu me comprends mieux que quiconque. Parfois, j'ai peur, Jun. Peur de ce qui pourrait m'arriver, peur de ne pas pouvoir grandir comme les autres enfants, peur de te laisser seul.

Mais je sais aussi que je ne suis pas seul, parce que tu es là, Jun. Tu es là pour moi, même quand je ne peux pas te le dire. Et ça me donne de la force, ça me donne envie de me battre contre cette maladie, de ne pas me laisser abattre.

Alors merci, Jun. Merci d'être là pour moi, même dans les moments difficiles.

Ton frère,
Naoki

Naoki...Mais qu'est ce que tu racontes...J'étais jamais à la maison. J'étais pas là pour toi quand tu en avais besoin.

Et cette maladie...Si tu avais été en bonne santé est ce que tu serais toujours là ? Est ce que tu aurais réussi à rester près de moi, malgré le harcèlement ? Y avait vraiment rien à faire ? Pourquoi on m'a rien dit !? J'aurais dû être là ! J'aurais dû savoir !!

Je continue de me poser des questions sans réponses pendant une bonne dizaine de minutes, jusqu'à ce qu'une voix me sorte de mes pensées. 

-Jun..? Mais qu'est ce que tu fais allongé par terre ?

Helya...Je l'avais pas entendue arriver... 

Je me redresse pour lui faire face. Ren est caché derrière elle. Je lui fais peur ? C'est vrai que je dois avoir une tête horrible...

-Je suis désolé de vous avoir demande de venir comme ça, mais j'avais besoin de te parler, Ren.

Le peu d'assurance que j'avais rassemblé dans cette phrase sonnait faux. 

-A...A moi ? répéta-t-il. 

-Oui à toi. 

Je regarde Ren en silence, et tout ce que je ressens est une colère sourde. Naoki... mon frère... a vécu tout ça sous ses yeux. Comment a-t-il pu ne rien voir ? Ne rien faire ? Comment peut-on se dire "ami" et rester spectateur du malheur de quelqu'un ?

Ren me fixe, l'air penaud, ses yeux tristes comme s'il avait un semblant de regret. Mais je ne lui trouve aucune excuse. Il ne voit rien de ce que je ressens ; il n'a pas idée de ce que ça signifie de perdre quelqu'un comme Naoki. Mon frère méritait bien plus que ça.

-Ren, dis-je, la voix plus froide que je ne l'aurais voulu, tu le voyais tous les jours, n'est-ce pas ? Tu étais son ami, son camarade... Alors explique moi : qu'est-ce que tu as fait pour lui ?

Ren baisse la tête sans répondre. Il se recroqueville légèrement sous mon regard, mais je n'ai pas envie d'être compatissant. Qu'il assume, enfin. S'il avait ouvert les yeux, rien de tout cela ne serait arrivé.

-Je... je savais pas, Jun, finit-il par murmurer, sa voix faiblissant comme une excuse qu'il s'efforce de croire lui-même. Naoki disait que tout allait bien, qu'il gérait...

Je sens mes poings se serrer. Il disait que tout allait bien ? Comment a-t-il pu croire ça ? Comment peut-on se dire ami et rester sourd à la détresse d'un autre ? Naoki cachait ses blessures à tout le monde, c'est vrai... mais c'était à Ren, à ses soi-disant amis, de voir au-delà de ses mots.

Ça allait bien ? Naoki se battait chaque jour, Ren. Il souffrait, et toi, tu l'as laissé seul. Tu te rends compte de ce que tu as fait ?

Mon ton monte malgré moi, tranchant, brutal. Je n'ai pas envie d'entendre ses excuses, ses regrets mous qui sonnent creux. Rien de tout ça ne m'apportera Naoki. Rien de tout ça n'effacera le fait que Ren l'a laissé se débrouiller seul, qu'il n'a été qu'un témoin passif.

-Je... j'avais peur, d'accord ?! lâche Ren, soudainement plus vif, comme s'il voulait défendre ce qu'il n'a jamais fait. Ces gars... ceux qui harcelaient Naoki... ils me faisaient peur ! Si j'avais dit quelque chose, ils s'en seraient pris à moi, aussi...

Je le dévisage, écœuré. Des excuses, encore des excuses. Peur, bien sûr. C'était toujours la même chose. Tous ceux qui auraient pu aider, qui auraient pu intervenir, préféraient détourner le regard sous prétexte de leur propre sécurité. Tous, sans exception, ont laissé mon frère s'éteindre, seul, sans que personne ne lève le petit doigt.

--Tu l'as abandonné, dis-je, ma voix glaciale. T'es resté là, tu l'as regardé sombrer, et tu n'as rien fait. Juste parce que tu avais peur pour toi-même.

Je ne lui laisse pas le temps de répondre. J'ai dit ce que j'avais à dire. La vérité, c'est que Ren, comme tous les autres, est coupable, même s'il refuse de l'admettre. Et moi... moi aussi, je suis coupable, parce que je n'étais pas là non plus.

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Journal d'un suicidéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant