Le Vent part de l'Est

prologue

La musique flamboyait dans mes oreilles. Chacune des notes qui s'échappaient de la contrebasse me faisait agréablement frissonner. La batterie tambourinait sans s'arrêter sur le rythme des rires et de l'excitation du public. De lourdes gouttes de sueur roulaient sur le front du saxophoniste qui poussait tout l'air contenu dans ses poumons pour faire sonner mélodieusement l'instrument. Et la guitare, dois-je parler de la guitare haha ? Mon dieu, ce fut exceptionnel, un vrai délice pour l'ouïe mais aussi pour la vue. Le guitariste était exquis. Le jazz, mes amis, le jazz, c'est un monde à part dans lequel vous plongez une fois et dont vous ne ressortez plus.

Soudainement, le jeune partenaire de l'une des danseuses improvisées la fit tournoyer si vite et avec une belle précision pour des amateurs que le public applaudit avec extase. Les gens dansaient sur les tables près de la scène, l'odeur des cigarettes et des cigares fumés à l'intérieur du bar se mêlait à la douce odeur de la pierre qui recouvrait les murs ainsi qu'à celle de la chaleur qui émanait des corps chauds des spectateurs.

Mon passe-temps favori, lors de ces moments de joie, c'est d'observer. J'observe... Mon dieu, que c'est divertissant ! Avez-vous déjà essayé ? De regarder, de scruter sans jugement le public. De le laisser parler les apparences telles qu'elles apparaissent, sans y implanter des préjugés préétablis. De laisser les expressions dire sans trop parler. De simplement observer les gens qui écoutent. Avez-vous déjà essayé ?

Je ne peux m'empêcher de sourire. Comme j'aime le jazz, oh comme j'aime la danse, comme j'aime la vie ! Parfois, je me demande sérieusement comment la vie aurait été sans la musique, et puis la question me déroute immédiatement, donc je- Hum?

"Leon! Leon! Ah!" -hum? Oh, Filips!- L'apercevoir m'a pris de court, perdu dans mes pensées, j'avais complètement oublié notre rendez-vous. Il me regardait, visiblement soulagé que je l'ai remarqué - j'imagine - mais en même temps, une pointe d'agacement amusé se lisait sur son visage à cause de mon manque de réactivité. "Bientôt, il faudra que je monte sur scène et que je parle dans le micro pour que tu me remarques et que tu sortes de tes pensées..." souffla-t-il.

Je suis sorti de ma rêverie et me suis levé de ma chaise pour rejoindre mon ami avec un grand sourire niais dirigé vers le plancher du bar, comme une excuse silencieuse pour mon inattention. Filips arborait un sourire complice, faisant écho au mien.

"Tu es toujours aussi imposant, on te remarque de loin... Mais quelle prestance, mon cher!" dis-je sarcastiquement en attrapant le verre de whisky sour qu'il me tendait.

"Go take a long walk off a short pier, Leon!" cracha-t-il amicalement en anglais, le petit bonhomme, avant de se lever et de m'étreindre.

"Toujours aussi petit?" dis-je en lui tapant dans le dos. "Ça fait une éternité, non? C'est un vrai plaisir de te revoir après tout ce temps."

"Bien une décennie, je dirais!" Il sourit en me détaillant de la tête aux pieds. "Geez Louise! Mais t'as pas pris une ride, mon vieux!" s'exclama-t-il perplexe.

"Ahaha, c'est dans les gènes, mon ami! Toi, tu as pris un sacré coup de vieux, un léger début de calvitie, il semblerait?" riais-je en frottant son crâne dégarni.

"Non mais, mon vieux, je rigole pas! T'as pas changé d'un pouce, ça fait 10 ans! Combien d'années cela te fait maintenant?" Il semblait vraiment concerné par la situation. C'était reparti."Je vais sur mes... 32? Non, mince, le compte est mauvais... 36."

"Dang it, j'en ai 4 de moins, je fais beaucoup plus vieux... Mais..."

"Alors, avec Laura?" le coupai-je avec enthousiasme. "Enfin marié!" Il fit surpris un instant, puis ses yeux s'emplirent d'amour et de fierté. Que les gens peuvent être beaux lorsqu'ils sont amoureux.